Gérard

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Quel con, ce Gérard !

Dans une entreprise de cent-cinquante têtes, ce type avait trouvé le moyen de se faire zéro pote. Le pestiféré du service. Faut dire qu’il en a la dégaine, le Gégé. On dirait que c’est sa mère qui lui achète ses fringues ! D’ailleurs, on le chambre à chaque fois qu’on le croise en arrivant. Hé, Gérard, ta maman a encore oublié de repasser ta chemise hier soir ?

Ah ! Qu’est-ce qu’on rigole.

Bon, lui, il rigole un peu moins.

Il nous a bien fait marrer, hier, pendant la pause de dix heures. Il était là, comme d’habitude, à prendre son café seul dans son coin. Il était tout tranquille jusqu’à ce que Jean-Pierre lui demande comment il trouvait la petite stagiaire, celle avec un gros cul et des seins qui balancent. Gérard est devenu tout rouge, a bredouillé un truc comme « elle est jolie », et a baissé les yeux. Du coup, on a voulu savoir si elle lui filait la trique, le soir, quand il se paluchait dans son lit. Il a rien dit, nous a regardés comme un con, et est devenu violet. Ah ! Tout transpirant qu’il était, le Gégé.

Nous, on s’est bien marrés.

La dernière fois, Franck est venu le voir à son poste. Ça a remué l’open-space, on s’en souvient encore. Et pourquoi ses stats étaient mauvaises, et comment c’était possible de prendre autant de retard sur des trucs aussi simples… Il a bien essayé de se défendre, le bougre. Et vas-y que sa charge de travail augmente de mois en mois, qu’il est le seul à gérer tel type de truc que j’ai pas bien compris, que ça fait un an qu’il demande un renfort… Mais bon, le naturel a vite repris le dessus et le lendemain, on sentait bien qu’il avait reçu une petite fessée de la Teigne. On avait retrouvé notre Gérard ! Celui qu’ouvre pas trop sa gueule et qui fait profil bas.

Mais ce matin, il était pas là. À la pause, on s’attendait à le trouver, lui et son jus de chaussette. Onze heures, toujours pas de Gégé. On commençait à s’inquiéter. Vers la demie, voilà qu’il débarque enfin, la bouche en cœur et la gueule enfarinée. Il s’installe tranquillou à son poste comme si de rien n’était. Ça n’a pas raté : Franck l’a convoqué direct. Ça va faire cinq minutes qu’il est dans son bureau, et ça gueule, punaise ! Ce qu’il est en train de prendre… Avec les copains on se regarde en souriant : on va encore bien se marrer aujourd’hui !

*

**

Quelqu’un a ramené un pétard ? C’est quoi ce bordel ?

Ça vient du bureau de Franck.

Gérard sort comme une furie et… Oh putain !

****

**

Ça se met à courir de partout, à gueuler, y’a trop de gens, le troupeau se masse vers la sortie qui bloque… Non, Gérard ! Non !

**

Jean-Pierre prend une cartouche, sa tête fait un feu d’artifice et il tombe comme un sac à trois mètres de moi. Des collègues sont éclaboussés, ça crie encore plus fort.

****

Je me planque derrière mon bureau, je vois pas bien… Ça tire encore. Combien il a amené de chargeurs ?

***

**

Monique… allongée dans une mare de sang avec trois trous dans le bide. Pascal a pris lui aussi une balle dans la tronche, je ne le reconnais qu’à la couleur de sa chemise. Mon Dieu… Il a plus de face ! Je… je… Non, pitié, non ! Me tue pas !

Gérard, mon Gégé, arrête, on va trouver une solution… Je m’excuse, je m’excuse mon pote, je suis désolé, je me moquerai plus de toi, promis juré ! Je… tiens, voilà, prends ça, cinquante balles, c’est tout ce que j’ai sur moi… Je…

Gérard me regarde et ses yeux vides sont la dernière chose que je vois.

Je sens une pointe entrer dans mon front et puis…

*

...plus rien.

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