La baie

4 minutes de lecture

Obéissant, le singe revint auprès de son ami. Oscar lui expliqua ce qu’il attendait de lui, et Cebus disparut en direction des arbres qui bordaient la plage. S’enfonçant dans la végétation luxuriante de la jungle, il naviguait entre les racines des plus grands arbres de la forêt vierge, prenant bien soin d’éviter celles qui ressemblaient de trop à un anaconda ou à toute autre sorte de serpents, qui infestaient les lieux. Plante-Fièvre-Tag-Urgent se disait-il. Même si ce n’était que la fin d’après-midi, il faisait déjà presque nuit, au pied des arbres, tant l’épaisseur de la canopée absorbait la lumière du soleil. Au bout de quelques centaines de mètres, il grimpa dans un ficus, utilisant les nombreux troncs secondaires de l’arbre, issus de racines aériennes, comme autant d’échelles de bois pour rejoindre le feuillage touffu du Moracée.

En haut, il trouva des figues mûres, et se laissa appâter par l’odeur sucrée des fruits. Assis sur une des branches hautes du ficus, Cebus dégusta son goûter en observant les bruits étranges de la forêt. Autour de lui, c’était un flot ininterrompu de bruits en tous genres. Au loin, une femelle singe araignée sautait de liane en liane pour rejoindre ses petits, utilisant sa queue musclée comme un cinquième membre pour se balancer. En dessous de lui, une bande de ouistiti à toupet se disputaient les faveurs d’une femelle. Un toucan survola la cime des arbres, se rendant d’un noyer du Brésil à un autre, de son vol caractéristique.

Soudain, Cebus se rappela les paroles d’Oscar ! Plante-Fièvre-Tag-Urgent. Il glissa deux figues dans les poches de sa veste de velours noire et abandonna son festin pour continuer son ascension vers la canopée, grimpant aux lianes d’un hévéa qui culminait à plus de trente mètres de hauteur. Plante-Fièvre-Tag-Urgent, répétait-il sans cesse dans sa tête. Il fallait qu’il trouve cette plante miracle, et vite, car Oscar comptait sur lui. Plante-Fièvre-Tag-Là ! Il vit soudain l’arbre qu’il cherchait depuis quelques minutes : un carapa. Il était situé à une centaine de mètres de lui, mais les yeux perçant du capucin distinguaient nettement les fruits jaunes de l’arbre dont l’écorce était utilisée par les indiens d’Amazonie comme fébrifuge. Il couvrit la distance en quelques minutes, voltigeant de branche en liane et de liane en branche, parfaitement à son aise dans son milieu naturel.

Cependant, alors qu’il s’apprêtait à rejoindre l’arbre sauveur, il tomba nez à nez avec un singe hurleur. Le primate au pelage roux mesurait deux fois la taille de Cebus et près de trois fois son poids, et il semblait bien décidé à lui barrer la route. Il retroussa sa lèvre supérieure, dévoilant ses canines acérées, et cria en direction de Cebus. Le capucin, bien qu’impressionné par la taille de son congénère, n’était pas prêt à abandonner pour autant, et il se ramassa sur lui-même, prêt à bondir sur son adversaire, tout en poussant des petits cris de colère. Ce duel verbal dura quelques minutes, et le combat semblait inévitable, aucun des deux primates ne voulant céder de terrain, mais, alors que Cebus simulait une énième attaque en hérissant tous les poils de son dos, le singe hurleur fit demi-tour, disparaissant dans la verdure. Le capucin renonça à poursuivre le couard, savourant bien assez sa victoire, et désormais concentré sur la tâche qui lui incombait : récupérer l’écorce qui sauverait Tag.

Mais son répit ne fut que de courte durée, car, alors qu’il s’apprêtait à descendre le long du carapa, le ciel s’assombrit, et le soleil disparut sous une ombre gigantesque. Relevant la tête, Cebus aperçut ce qui avait causé la fuite du singe hurleur : une harpie féroce. L’oiseau, qui mesurait près de deux mètres d’envergure, était le plus grand rapace de la forêt, et le singe était son plat préféré. Cebus tenta désespérément de fuir, mais il était trop tard, les serres de la harpie se refermèrent sur lui, et l’oiseau l’emporta dans les airs. Il tenta de se débattre, en vain, les serres de près de dix centimètres de longueur le retenant prisonnier. A tire-d’aile, la harpie le ramenait vers son nid, où sa progéniture affamée au duvet blanc comme neige attendait impatiemment son déjeuner.

Mais, alors que la mère battait des ailes pour ralentir l’allure avant d’atterrir dans son aire, un violent choc la propulsa en arrière, et elle lâcha instantanément le singe qui chuta inévitablement vers le sol, cinquante mètres plus bas. Reprenant ses esprits, la harpie tenta d’identifier son mystérieux agresseur.

C’était Leevi, la chouette lapone de Wardin.

L’animal s’était jeté sur la ravisseuse de Cebus, enfonçant dans son poitrail ses serres acérées. Les deux oiseaux engagèrent alors une bataille féroce, tout en perdant de l’altitude et en se rapprochant dangereusement de la cime des arbres. Ils heurtèrent les premières feuilles de plein fouet, la violence du choc séparant les deux rapaces qui continuèrent de filer vers le sol. Cebus, lui, continuait sa chute mortelle vers le rivage désert et asséché d’un affluent de l’Amazone, ne trouvant aucune branche à laquelle se rattraper. Alors, un éclair brun-roux fendit le ciel, le rattrapant à toute vitesse. La silhouette familière de Balaïkhan fondait sur lui, et le rattrapa quelques mètres avant qu’il ne touche le sol. Le capucin atterrit sur le plumage doux et soyeux de l’aigle, qui reprenait déjà de l’altitude. Une fois rétabli au-dessus de la canopée, Balaïkhan prit la direction du Renard, bientôt rattrapé par Leevi qui s’était remis de sa chute, tandis que derrière eux, le cri de la harpie féroce déchirait l’air, le rapace meurtri et privé de dîner reprenant sa chasse crépusculaire.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Timothée Pinon ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0