Patient zéro

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Montréal.

J’encaissai le coup. Patient zéro. Moi seul. Antidote. Cinq éprouvettes. Formule. Large diffusion.

Ça tournait dans mon esprit et me foutait la nausée. Je regardai le professeur, ses yeux fouillaient mes réactions, mon comportement. Qu’est-ce qu’il croyait, que j’allais me jeter à son cou et lui rouler une pelle ! Enfoiré de savant ! Il en fallait toujours un pour se croire au-dessus de l’humain, toujours un pour bidouiller avec la vie des autres. Et ce coup-ci, l’autre c’est moi ! Je secouai la tête, ce type était vraiment dingue.

Sans un mot, je me dirigeai vers la sortie lorsqu’un bruit dans l’entrée attira mon attention. Un « clac » sourd suivit d’un bourdonnement. Je connaissais ce son. Instinctivement, je me jetai au sol puis roulai derrière le bureau.

La porte explosa dans un fracas assourdissant. Le souffle projeta des fragments de bois dans toutes les directions, certains se plantèrent dans le corps du professeur, mais son exosquelette le maintint debout. Sous le souffle, la mallette se coucha, je l’empoignai puis risquai un regard sur le côté du meuble. J’aperçus cinq hommes vêtus de noir et armes en joue. Le faisceau de leur laser de visée balaya la fumée de l’explosion. Un gars se dirigea vers les diodes bleues, un autre sur la gauche, un troisième dans notre direction. Les derniers restèrent au centre. Un sifflement. Deux balles vinrent se ficher dans le corps du professeur. Les projectiles laissèrent deux auréoles rouges au niveau de son thorax, mais il ne tomba pas.

Un des hommes brisa le silence. En russe, il indiqua que Dovnîk était mort, mais qu’il ne voyait pas la mallette. Une voix lui ordonna de la chercher, mais de faire attention. Une autre personne se trouvait dans la pièce.

Ma voiture dehors ! Merde, ils savaient pour ma présence.

Le gars, flingue levé, s’approcha du bureau. J’ouvris un tiroir. Ma main fouilla l’intérieur et attrapa un coupe-papier. Une arme dérisoire. Il contourna le bureau. Lorsque sa jambe apparut, je détendis la mienne en visant un genou. Un craquement sinistre. Je me levai, empoignai son arme et plantai le coupe-papier juste en dessous de la jugulaire de son casque. Il émit un gargouillis et s’affala au sol. Une balle frôla ma tête, une autre fit voler en éclat un angle du bureau. J’attrapai le flingue du mort et couru dans un angle de la pièce. Mon premier tir se logea dans la main du type qui me visait. Le second traversa sa visière. La balle se ficha entre ses yeux. Les trois types restant se regroupèrent, aucun mot ne trahit leur position.

J’entendis le bruit d’une goupille éjectée de son logement puis le roulement de la grenade. Je sortis de l’angle où j’étais caché et courus vers l’opposé. Le souffle de la grenade me projeta contre un mur, je me ramassai par terre à moitié étourdi. Ces gars étaient tarés, ils avaient balancé une grenade dans la pièce de la mallette. Tous les trois, un par un, entrèrent, mais la fumée de l’explosion me cachait. Leur laser par contre était bien visible. Je m’agenouillai puis tirai. Un type tomba. Une rafale dans ma direction m’obligea à bouger et à me mettre à l’abri. Je restai caché contre un meuble, mais ne voyais plus le bureau.

« J’ai la valise », gueula un Russe.

Je plongeai en avant, fis un roulé boulé puis tirai, tuant un quatrième gars. J’entendis celui avec la mallette courir vers la sortie, je me lançai à sa poursuite. L’entrée traversée, je me ruai dehors, à la poursuite d’une bagnole qui reculait dans l’allée. La caisse reculait plus vite que je ne courais, mais arrivée en bas, elle glissa sur le verglas et s’encastra sur un des piliers du portail. Le gars sortit en boitant, il se déplaça rapidement en direction d’une fourgonnette qui avançait vers lui portes arrières ouvertes. Il s’engouffra à l’intérieur. L’engin disparut en quelques secondes.

En passant à côté de ma voiture, je constatai que tous les pneus étaient crevés et me demandai comment j’allais partir de ce trou. À l’intérieur, la forte odeur de poudre brûlée me piqua le nez. Les explosions avaient tout ravagés, des nappes de fumée persistaient. Dans la pièce, le corps de Dovnîk était toujours debout.

Comment était-il venu jusqu’ici ?

Pas à pied ! Son véhicule se trouvait quelque part. Je sortis et passai de l’autre côté de la maison, mais ne vis aucune bagnole. Dans le garage peut-être. J’ouvris la porte. Bingo, un pick-up Ford F150 attendait sagement, mais je constatai le verrouillage des portières. Le prof devait avoir les clés sur lui.

Figé sur son squelette de carbone, Dovnîk semblait sourire. La délivrance de celui qui a accompli sa mission peut-être. Jusqu’au bout, il aura essayé de me convaincre, et j’avoue que sans l’intervention des Russes, je crois que jamais je ne l’aurais cru. Cet enfoiré avait raison, il ne disposait que de peu de temps afin de m’exposer la situation dans laquelle il m’envoyait. Se servir de moi n’était pas idiot, surtout connaissant mon passé. Cependant, face à cinq types déterminés, je n’avais pas été en mesure de garder la mallette. Cela ne me ressemblait pas, mais je n’avais plus le niveau, Dovnîk m’avait surestimé. Je grimaçai devant mon échec, mais ce n’était plus mon problème, ma vie était ailleurs maintenant. Qu’ils aillent tous au diable !

Je passai mes mains sur le thorax du prof, puis dans la poche de l’unique jambe de son jean. Je trouvai les clés du Ford.

De retour au garage j’ouvris le pick-up et m’installai au volant. En bas de l’allée, j’enclenchai le GPS puis entrai mon adresse à Montréal. Le logiciel moulina un instant, j’en profitai pour régler le retro intérieur. J’y vis un type dont le regard fuyait son reflet, un mec qui baissait les bras devant l’adversité. Je cognai contre le tableau de bord. Merde ! Ce n’était pas moi, ça ne l’avait jamais été. Je ne pouvais pas laisser ces gus se barrer avec le seul remède à la folie de Dovnîk. De rage, j’enclenchai la marche arrière et reculai jusqu’à la maison. À l’intérieur, je récupérai une arme puis me posais une question. Par où étaient partis les Russes ?

Maintenant qu’ils avaient la mallette, ils allaient quitter le territoire au plus vite. Pas par un aéroport civil, trop de contrôle, trop compliqué. Un bateau ? Non, le Saint-Laurent était à moitié gelé. Je m’installai dans le pick-up lorsque ça me fit tilt. L’ancienne base canadienne, c’était là que j’étais en formation ! Dans mes souvenirs, le complexe disposait d’une piste d’atterrissage et d’un hangar. Je dézoomai sur la carte du GPS jusqu’à apercevoir un semblant de tarmac. Là, à environ dix bornes ! Je me souvins que je passais par les bois pour y aller, mais en courant. J’y serai plus vite avec la bagnole. Cependant, un autre problème se posait. Comment trouver un laboratoire afin de synthétiser l’antidote ?

J’attrapai mon portable.

– Montréal assurance j’écoute.

– Janet, c’est moi.

– Dis donc, ton rendez-vous a dû bien se passer avec la mère Dutreau.

– Janet, écoute-moi. Ce n’était pas Madame Dutreau.

– Mais je l’ai eue au téléphone ! Quelle drôle de voix tu as !

– Je t’expliquerai. Prends de quoi noter s’il te plaît et sois attentive.

– Que se passe-t-il ?

Je ne répondis pas.

– Lucas, que se passe-t-il ?

– Janet, laisse-moi parler. D’abord, tu appelles ce numéro : 0033 09 810 005 447.

– Ce n’est pas possible, il y a trop de chiffres.

– Appelle ce numéro, et présente-toi comme Jielm Fortyseven.

– Qui ça ?

– Jielm Fortyseven ! C’est mon vrai nom.

– … OK Lucas, et après ?

– Tu demandes à parler à L’Organisation. Quand tu l’auras au téléphone, répète mon nom et dis-lui qui tu es. Ensuite tu lui demandes de trouver un laboratoire proche de Montréal capable de fabriquer du sérum en grande quantité et rapidement.

– Hein, mais qu’est-ce que tu me racontes ? Quel sérum, quel laboratoire ?

– Laisse-moi parler Janet. Dis-lui aussi que Dovnîk n’était pas mort. Il comprendra tout de suite.

– Moi je ne comprends rien !

– Je n’ai pas le temps de tout t’expliquer Janet, c’est ma vie d’avant qui refait surface. Laisse à L’Organisation mon numéro de portable.

À l’autre bout du fil, je l’entendis sangloter.

– Janet !

– Oui.

– Je te promets de t’expliquer plus tard. Mais, lorsque tu auras fini avec le téléphone, je veux que tu te mettes à l’abri.

Elle sanglota plus fort.

Je n’avais pas eu d’enfant, encore moins de relation avec une personne pour en avoir. Pourtant, je considère Janet comme ma fille, et je sais que pour elle, je suis un peu comme son père. L’entendre sangloter me brisa le cœur. J’en ai fait du mal dans ma carrière, pris la vie à des gens qui devaient en avoir, eux, des enfants. Quel salopard j’avais été ! Une machine à tuer, ni remords ni sentiments. Je ne regardais pas en arrière, tous les gens que j’avais flingués n’étaient que des contrats et un paquet de pognon. J’avais dû en provoquer des pleurs et des cris de douleurs. Une épouse, des enfants, une famille. Je savais qu’il n’y avait pas pire douleur que la perte de quelqu’un qu’on aime. Ça faisait plus de mal qu’un coup de poing, qu’une entaille de couteau, qu’une balle.

Alors, pourquoi cacher mes sentiments, pourquoi me taire. Janet était loin d’être idiote.

– Lucas, dis-moi ce qu’il se passe.

– Janet, sur mon bureau, il y a les clés de ma maison. Prends-les. Au rez-de-chaussée, sous l’escalier et au fond du placard tu trouveras une porte métallique. Cette porte donne sur un escalier qui mène à un abri. Dans cet abri tu as de quoi tenir trois semaines, voire cinq si tu te rationnes un peu. Il y a une télé, une radio et un téléphone d’un genre spécial. Moi seul en connais le numéro. Je t’appellerai tous les jours. Si je n’arrive pas à la stopper, dans une dizaine de jours une épidémie va déferler sur le continent Nord-Américain. Il faut que tu sois en sécurité. Je viendrai te chercher.

Elle ne dit plus rien, sûrement secouée par la nouvelle. Je voulus la rassurer, mais pour l’instant, ce n’était pas possible.

– Janet, je t’aime ! Appelle le numéro que je t’ai donné, et s’il te plaît, fais ce que je te dis.

– … Papa, moi aussi je t’aime !

Avant de bifurquer sur la route qui mène à la base,j’enclenchai le mode tout terrain puis engageai le pick-up sur une piste enneigée. J’avançai jusqu’à une vingtaine de mètres du grillage de protection qui entoure la base. Au loin, j’aperçus la voiture de tout à l’heure, mais ne vis personne. Ils étaient sûrement à l’intérieur du hangar à attendre que quelqu’un ou quelque chose vienne les chercher.

J’allais attendre moi aussi. Attendre que la nuit tombe pour passer à l’action, pour redevenir celui que j’étais, un sale type, un tueur impitoyable, sans remords et déterminé. Un enfoiré de première.

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