CHAPITRE 1

    Je me nomme Badou, j’ai 10 ans. Je suis au CM2. Mon papa c’est Émile. Tout le monde l’appelle le vieux Émile parce que ses cheveux sont tout blancs. Mon papa est compliqué, il me gronde quand je fais pas ce qu’il dit, et surtout quand je ne vais pas à l’école; c’est ce qu’il déteste le plus. « Paresseux qui n’aiment pas école !», me crie-t-il quand je ne vais pas à l'école. Il me dit que je dois être comme Tonton Fulgence. Lui c’est son « petit-frère-direct-même-père-même-mère ». Tonton Fulgence est corps habillé, militaire je crois. Son treillis inspire le respect à tout le monde au village. Alors papa veux que j’étudie pour être comme lui, pour être un militaire au treillis imposant. Papa lui, il n’est jamais allé à l’école, mais c’est pas grave. Il dit qu’il est déjà intelligent c’est pourquoi il a mis sept de ses dix enfants à l’école. Pour le faire, il faut être suffisamment intelligent.  

    Tonton Fulgence venait toujours au village et il m’apportait toujours des figurines de petits corps habillés, je crois que ce sont aussi des petits militaires. Il voulais lui aussi que je sois corps habillé. J'ai appris à aimer ce métier de corps habillé. Mais plus maintenant. 

Après il y a eu la guerre, et puis tonton Fulgence est parti combattre et puis il est mort à la guerre. On a pleuré, grand-mère un peu plus. Oui, je m’en souviens aussi, maman aussi à beaucoup pleuré. Tantie Yah a aussi pleuré pendant toutes les funérailles. Le lendemain, le président du pays est venu avec des messieurs de la télé. Il y avait aussi beaucoup de corps habillés, je crois qu'ils étaient tous des amis de tonton Fulgence. Ils ont dit des choses que je n’ai pas bien compris. Ils ont dit que tonton Fulgence était quelque chose du genre « heureux », ou héros ; j’avais pas bien compris. Ils ont parlé aussi de « posthume »; au debut j'ai entendu "costume", j'ai pensé à son treillis, mais non, ils ont répété et j'ai bien entendu : ils parlaient de "posthume". Ils parlaient le bon français. Moi je ne comprends pas bien le bon français. Je comprends mieux le Akan. J’ai compris une chose au moins. Le président à dit qu’il donnait deux Millions à la « famille » éplorée. Ensuite le président est parti avec les messieurs de la télé et les corps habillés. Les 2 Millions, eux, sont restés dans le village. Le problème c’est que personne ne savait exactement dans la main de qui ils devraient rester. Et croyez-moi, ce n’était pas un petit problème.

    Je suis au CM2, le maître m’a demandé d’écrire l’histoire de mon village, mais moi je ne la connais pas. Je vais raconter ce que je connais mieux : l’histoire des 2 Millions.