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Il y a bien longtemps, au royaume de Mylvade, vivait un roi renommé pour sa bravoure sur les champs de bataille et son immense sagesse. Il se passionnait pour les livres et l’astronomie ; il était dévoué au bonheur de ses sujets.

Malheureusement, son épouse mourut en couches. Le roi, fou de douleur, refusa de se remarier. Il fit baptiser son fils, et le prénomma Cyrian. L'enfant fut laissé aux bons soins d’une nourrice, puis, quand il eut grandi, confié à la vigilance de gouvernantes et de précepteurs.

Le petit Cyrian se promenait, seul, dans le magnifique château de son père, sur les tourelles et dans la grande salle. Il aurait voulu sortir et voir le vaste monde. Il n’en avait pas le droit.

C’était un petit garçon très éveillé, aux grands yeux couleur de miel et aux cheveux d’un noir de jais. Il aimait se cacher derrière les rideaux, au grand désespoir de ses gouvernantes, de vieilles dames sévères que les facéties du jeune prince n'amusaient guère. Il contemplait les tapisseries et les peintures murales. Il s’émerveillait devant les histoires qu’on lui racontait et les spectacles des jongleurs qui se présentaient à la cour du roi. Mais la présence d'une mère lui manquait ; Cyrian voyait rarement son père car celui-ci, inconsolable depuis la mort de sa femme, ne quittait plus sa chambre, dans la plus haute tour du château.

Le roi passait ses soirées à regarder les étoiles. Il était d’humeur chagrine et de plus en plus malade. Il ne s’occupait plus vraiment ni de son fils ni de régner, et se reposait sur un certain Archibald de Manfreid, son premier ministre et ami d’enfance, qui l'avait accompagné dans de nombreux combats, et passait auprès de chacun pour sage et digne de confiance. Archibald de Manfreid maintenait le royaume à flot et la paix aux frontières.

Cyrian jouait rarement avec les autres enfants. Le premier ministre avait un fils, Alcide, et une fille, Melvina. Elle avait à peu près le même âge que Cyrian. Elle était fluette, plus mince que le jeune prince et surtout plus petite. Cyrian ne savait pas comment attirer son attention. Il se moquait d’elle, la poursuivait, s’amusait à tirer ses longues nattes. Elle l'évitait autant qu'elle le pouvait, mais plus elle l'évitait, plus il pensait la détester et s'ingéniait à inventer de vilains tours. Il se hasarda même à glisser une araignée dans le col de sa robe pour lui faire peur, mais ne le fit qu'une fois, car ce fut lui qui prit peur devant la colère de Melvina.

Alcide, qui était un garçon très calme, défendait sa petite sœur comme il le pouvait. Mais Cyrian était le prince, et, à ce titre, le futur roi. Il le savait d’ailleurs et s’en vantait souvent. Melvina prenait son mal en patience, mais elle le détestait. Selon elle, c’était le garçon le plus insupportable et le plus mal élevé qu’elle pût connaître. Les deux enfants passaient leur temps à se chamailler. Cyrian aimait pourtant beaucoup quand Alcide et Melvina venaient au château, car c'étaient les seuls moments où il ne se sentait pas seul.

Un jour, Melvina vint au château avec une poupée magnifique que Cyrian s’amusa à lui prendre des mains. Il se mit à courir autour d’elle. Elle le poursuivit aussitôt :

— Rends-la-moi !

Alcide restait immobile : il ne pouvait pas s’opposer au prince. Il regardait sa sœur courir et agiter les bras. Cyrian riait aux éclats alors que la petite fille essayait de récupérer son bien. Elle finit par le rattraper et tira sur son pourpoint, mais le jeune prince, sans le faire exprès, laissa tomber la poupée dont la main se brisa.

Melvina se mit à pleurer à chaudes larmes. Cyrian était trop orgueilleux pour ramasser la poupée et s’excuser. Il haussa les épaules.

— Je t’en ferai racheter une autre…

— Tu ne comprends pas ! Ça ne sera pas la même. Je l’aimais beaucoup…

— Une poupée est une poupée ! objecta-t-il. Elle n’était même pas belle…

Melvina en oublia qu’il était le prince. Elle le poussa. Il en devint rouge de colère et s’apprêtait à répliquer quand Alcide intervint :

— Viens, Melvina !

Alcide ramassa la poupée brisée. Il n’eut pas un regard pour Cyrian. Il se contenta de demander à Melvina de le suivre. Tous deux s’éloignèrent. Cyrian éprouvait des remords pour ce qu’il avait fait, mais il n’aurait jamais consenti à les montrer. Il était le prince ; ils n’étaient que les enfants du premier ministre de son père.

Il resta dans le couloir. Il attendit longtemps qu’Alcide et Melvina revinssent le chercher. Il était sans doute allé trop loin, cette fois-ci, mais il n’avait pas fait exprès de casser ce jouet. Il s’excuserait. Melvina lui pardonnerait sa maladresse. Il n’avait nulle envie de lire dans sa chambre ou de se promener. Comme d’habitude, il s’ennuyait, livré à lui-même dans le château de son père.

On vint enfin le chercher : ce fut une gouvernante qui se présenta. Elle lui dit qu’on l’attendait dans la grande salle du château. À sa grande surprise, de nombreux adultes s’y trouvaient réunis autour d’Archibald de Manfreid. Le jeune prince se rebella aussitôt :

— De quel droit siégez-vous en lieu et place de mon père ?

— Votre père est trop malade pour tenir son rang, jeune Altesse, lui répondit Archibald. Mais votre grand-mère nous envoie des ambassadeurs pour que vous vous rendiez dans ses terres. Depuis la mort de son mari, et parce qu’elle n’avait qu’une fille, votre défunte mère, vous êtes son seul héritier.

L’enfant regarda le ministre :

— Qu’en pense mon père ?

— Il ne s’y oppose pas.

— Me serait-il possible de le voir avant mon départ ?

— Il est en vérité bien faible. Mais… j’y consens.

La gouvernante qui était venue chercher Cyrian le conduisit auprès de son père. Celui-ci, alité, ne bougea même pas la tête à son approche. L’enfant s’agenouilla et lui demanda :

— Père, vous qui n’avez jamais voulu que je quitte ce château, voulez-vous vraiment que j’accomplisse un long et périlleux voyage pour rejoindre le royaume de mes grands-parents ?

Le roi ne répondit pas. Cyrian attendit. Son père finit par lui murmurer :

— Un jour… l’amour sauvera le royaume.

Puis ce fut à nouveau le silence. On vint chercher Cyrian pour l’amener aux chevaliers qui allaient l’escorter. Le royaume de Vangles sur lequel régnaient ses grands-parents était au nord et à de longues heures de route de la capitale de Mylvade.

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