Chapitre 4 : Le Premier Étage

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  Plusieurs minutes furent nécessaires à Gabriel pour qu'il se remette de son ascension de la mer étoilée. Troublé et désorienté par la débauche d'émotion, il retrouvait petit à petit son calme une fois les astres dépassés. Celle-ci ne marquait pas la fin. Au-delà se trouvait une multitude de couloirs verticaux, où toute magie disparaissait. Désormais, un éclairage blanc sans relief l'accompagnait, au son mécanique des poulies et autres rouages. Cette brutale transition avait été étonnamment douloureuse, et il ne s'en remit qu'au terme de cette ultime étape. Alors que l'ascenseur approchait du plafond, celui-ci s'ouvrit lentement, inondant progressivement la plateforme d'une lumière bien naturelle. Avant même de voir ce qui se trouvait au-delà, Gabriel reconnut la caresse réconfortante des rayons printaniers.

- Nous y sommes, annonça l'administrateur l'accompagnant. Bienvenue, cher candidat, au Premier Étage de la Tour.

Quelques mèches de sa chevelure noir de jais dansèrent au passage d'une légère brise, alors que l'enivrant fumet de l'herbe grasse titilla ses narines. À nouveau désemparé, il contemplait ce qui ressemblait à tout, sauf un intérieur. La baie d'arrivée des navettes était construite dans un paysage insoupçonné, une gigantesque plaine vallonnée s'étendant bien au-delà de l'horizon. Dans le vaste ciel bleu, ponctué de nuages laiteux volaient des oiseaux sous la lumière d'un astre semblable au soleil. Après quelques pas hésitants, le jeune homme se retourna vers son guide, méfiant.

- Nyeme, à quoi rime cette farce ?

L'homme qui s'était présenté comme son superviseur s'étonna sincèrement. Ses sourcils de quarantenaire se froncèrent et ses lèvres esquissèrent une moue déformant la cicatrice qui les traversait.

- Une farce ? Quelle farce ?

Agacé, Gabriel tendit le bras vers la plaine, comme une évidence.

- Celle-ci ! Pourquoi donc suis-je à l'extérieur ?!

Après un court silence gênant, son interlocuteur eut un petit rire.

- Tiens donc, et pensez-vous que ce genre de paysage existe sur Terre ? dit-il en désignant un point à l'horizon.

Récalcitrant, Gabriel se retourna tout de même pour découvrir un tronc. Mais il n'en était pas proche. Celui-ci se trouvait loin, très loin, si bien que l'on ne pouvait pas voir sa base. Il se confondait avec le lointain, et pourtant, il restait si grand, si massif, que l'esprit du jeune homme ne comprit pas immédiatement. Et c'est en identifiant ce qui l'entourait qu'enfin il prit la mesure des choses. Des montagnes spectaculaires, aux pics enneigés, n'étaient que des cailloux face aux gigantismes de racines émergentes du sol. S'étendant dans toutes les directions, elles compressaient la roche, broyaient les monts, dominaient les falaises.

Déjà sous le choc, il se rendit alors compte que le sommet de ce monstre végétal n'était même pas visible. Si quelques effrayants branchages offraient un maigre aperçu, le reste était caché au cœur d'une vaste mer nuageuse. Complètement écrasé par l'ampleur de l'arbre, il ne remarqua pas que son guide s'était rapproché.

- Rassurez-vous, vous êtes bien au sein de la Tour, lui susurra-t-il.

Surpris, Gabriel fit volte-face. Les mains levées en signe d'apaisement, l'homme poursuivit tout en reculant.

- Simplement, elle ne correspond pas à la vision que vous vous en êtes faite. La Tour n'est pas à proprement parler un bâtiment. C'est un ensemble de mondes, séparé en étages, dont la superficie surpasse aisément celle de votre Terre.

- Plusieurs mondes ?!

- Oui, mais ce n'est pas le lieu pour en parler. Je rentrerais dans le détail une fois arrivé aux logements.

Invitant le jeune homme à le suivre, il se dirigea vers une place où stationnaient des véhicules étranges. Dépourvus de roues, ils avaient une apparence particulière, épurée et aérienne, sans qu'il soit possible de déterminer l'avant ou l'arrière. Quand ils grimpèrent dans l'un de ces engins, celui-ci se mit à léviter silencieusement au démarrage, s'élevant à une dizaine de mètres d'altitude. L'accélération fut progressive, jusqu'à atteindre une grande vitesse. L'appréhension initiale de Gabriel s'estompa peu à peu devant la remarquable stabilité de la machine, et il s'autorisa finalement à contempler le paysage défilant en contrebas.

Ils survolèrent plusieurs forêts séparant champs et hameaux paisibles. Dans les vastes étendues herbeuses se prélassaient d'imposants herbivores que le jeune homme ne reconnaissait pas. Plus loin, ils croisèrent de mystérieuses ruines, grignotés par une végétation exotique et qui semblait se mouvoir. Ces plantes essayaient de capturer tout ce qui s'approchait d'elles, s'étirant péniblement jusque dans les cieux où dansaient oiseaux et autres créatures volantes dans un ballet mortel. Encore plus haut, à des altitudes inaccessibles, l'ombre gigantesque d'un dirigeable se dessinait, escortée par une nuée d'aéronefs plus petits. Instinctivement, Gabriel tendit la main pour s'en saisir, en vain. Une figure familière apparut dans son esprit. Celle de Élise.

J'aurais tant aimé que tu vois ce paysage... songea-t-il, amer. Qu'importe les obstacles, je ferais tout pour te ramener.

- Nous arrivons à destination. Je vous invite à vous placer devant pour profiter au mieux du panorama, lui conseilla Nyeme.

Secouant la tête, Gabriel quitta la barrière sur laquelle il s'était accoudé, et rejoignit l'avant pour découvrir la gigantesque cité portuaire se profilant. S'étendant bien au-delà des anciens remparts, elle était construite sur plusieurs niveaux et s'accommodait remarquablement bien du relief escarpé. Au centre de cette mégapole se dressaient de hautes tours de verre surplombant de vastes et larges avenues grouillantes d'activités. Partant de ce quartier, la modernité dévorait tout sur son passage, consommant progressivement l'architecture archaïque des périphéries. La vénérable pierre façonnant de vieilles bâtisses côtoyait désormais les matériaux avancés de structures plus évoluées.

- Voici Techillah, la cité du Commencement, l'éclaira Nyeme.

C'était à n'en pas douter une place urbaine intrigante, pleine de vie. Mais quelque chose d'autre avait capturé le regard de Gabriel. Projetant sa vaste ombre sur une partie de la ville, flottait un bien étrange château. Il synthétisait à l'extrême le contraste architectural qu'il surplombait, véritable conflit entre le passé et le futur. Immobile, il était retenu par de lourdes et massives chaines ancrées dans le sol.

- Et ceci est l'endroit où nous allons, ajouta Nyeme. Re'Shiyth, la citadelle volante. C'est dedans que l'on déterminera si vous êtes digne de réaliser l'Ascension.

Adossé contre la vitre de l'ascenseur qui l'amenait jusqu'à Re'Shiyth, Gabriel observait d'un air morne la cité s'étalant en contrebas. Le film de la journée se rejouait dans sa tête, s'arrêtant sans cesse à un moment précis. En sortant de la salle couverte de sang, il avait attiré sur lui les regards. L'un d'eux l'avait particulièrement bouleversé. Rien que d'y repenser charriait à nouveau ce flot chaotique de sentiments contraires. Il avait beau la chasser, l'image de ces pupilles émeraude, si pures, ne cessait de lui revenir. Ce regard inquiet, mais profondément bon, l'avait transpercé de part en part, réveillant sa culpabilité.

Tu n'avais pas le choix ! C'est comme ça que tourne le monde !

Pourquoi éprouvait-il ce besoin impérieux de justification pour une banale inconnue ? Même en essayant de se raisonner, la honte persistait, le poussant à vouloir expier un crime inexistant.

- Vous allez bien ? demanda Nyeme.

Celui-ci l'observait avec un sourire respirant la fausse politesse. Gabriel accompagna sa réponse d'un geste de la main.

- On ne peut mieux.

Soucieux de ne pas prolonger l'échange, Gabriel refoula ses sentiments. Son administrateur l'indisposait profondément sans qu'il ne puisse réellement l'expliquer. Il y avait une vague sensation de déjà vu, même s'il était certain que c'était bien leur première rencontre. Le cerveau du jeune homme, bombardé d'informations, tournait à plein régime.

Je ne peux pas continuer à fuir éternellement la conversation. Cette personne est pour le moment la seule à même de m'offrir des renseignements. Je dois absolument en profiter.

Expirant, il releva la tête pour se forcer à lui parler.

- Dites, si vous m'amenez jusqu'ici, c'est que j'ai bien réussi l'épreuve n'est-ce pas ?

- Tout à fait, obtempéra Nyeme.

- D'accord... (il hésita avant de reprendre). Une chose me taraude. J'ai vu des gens sortirent seuls, comme moi, et d'autres en groupe. Pourquoi ?

- Simplement parce que l'épreuve comptait deux bonnes réponses. (visiblement ravi par la soudaine curiosité de son protégé, il poursuivit.) J'en profite pour vous faire une fleur : au sein de la Tour, nous croyons qu'il existe toujours plusieurs manières de résoudre un problème.

Tout en rangeant dans un coin de sa tête l'information, Gabriel repensa à l'homme qu'il avait tué, à la triste résignation qui l'animait juste avant sa mort.

Vous comprenez maintenant ? C'est cette maudite Tour qui nous a obligés à faire ça ! avait-il dit.

Amer, Gabriel réalisait désormais qu'il partageait le même regret. Pour échapper à sa culpabilité naissante, il ferma les yeux et inspira profondément. Immédiatement, les paroles de son odieux mentor résonnèrent en boucle dans son crâne.

Tu n'es pas comme eux. Ils ne sont que des insectes. Est-ce que tu te préoccupes de la mouche ou du moustique qui tournent autour de toi ?

Malheureusement, l'endoctrinement était imparfait. Progressivement, les images des corps sans vie gisant dans le sang supplantèrent l'axiome d'Aldebaran.

- Nous sommes arrivés, annonça Nyeme. Si vous voulez bien me suivre.

Lorsque se soulevèrent ses paupières, Gabriel constata avec surprise que des gouttes de sueur perlaient de son front. Il resta assis quelques secondes supplémentaires, avant de se décider à bouger.

Lorsque les portes de l'ascenseur s'ouvrirent, elles révélèrent une grande cour en extérieur. À cette altitude, les puissantes bourrasques handicapaient d'autant plus ceux sujets au vertige. Ce n'était pas le cas pour Agdhim, visiblement émerveillé par le panorama. Aucune barrière de sécurité n'entravait la vue sur la ville et ses alentours. Ce n'était cependant qu'une façade. Intérieurement, le jeune homme ne cessait de cogiter, stressé par la scène à laquelle il avait assisté auparavant. Son sentiment d'urgence était d'autant plus accentué par la description que lui avait faite son maître de son pire ennemi.

Momus. Le Bouffon des Dieux. Trois informations caractérisaient cette chose. Premièrement, sa capacité a accaparé les souvenirs et apparences de n'importe qui. Deuxièmement, sa folie, extrême et chaotique, le rendant complètement imprévisible. Troisièmement, son obsession irrationnelle pour Gabriel.

Peut-être n'était-ce pas lui ? espérait-il.

Maudissant son impuissance, Agdhim ne pouvait s'en remettre qu'au hasard. Pour le moment, il se laissa porter par les événements. Suivant leur guide, lui et les autres pénétrèrent dans un vaste vestibule. L'architecture unique promise par les observations au sol était d'autant plus mise en valeur par l'absence de mobilier. De très vieilles pierres rectangulaires, aussi larges qu'un buffle, côtoyaient l'acier des parois. Au plafond, poutres de bois et arcs métalliques s'entrelaçaient sans logique apparente. Durant le trajet, Yakha avait apporté un début d'explication à cette étrangeté. Re'Shiyth était l'un des plus anciens bâtiments dans la Tour, un château ayant accueilli toutes les générations précédentes de candidats. Elle avait également mentionné un groupe, les Conquérants, comme étant passée par là, même si elle ne s'était pas étendue plus longtemps sur le sujet.

Durant leur progression, ils croisèrent d'autres personnes émergeant de nombreux couloirs à mesure que s'intensifiait l'anachronisme. Celle-ci atteint son paroxysme à l'arrivée. Tous ceux ayant réussi l'Épreuve étaient amenés dans cette nouvelle pièce aux dimensions gigantesque. Le sol en marbre blanc contrastait avec la modernité des murs. Ces derniers étaient parsemés de luminaires argentés, qui complétaient l'éclairage de luxueux lustres dorés suspendus depuis un haut plafond ouvragé. Sur certaines portions, de grandes fresques peintes étaient désormais à moitié effacées, retraçant une histoire tombant lentement dans l'oubli. Sur toute une façade, de larges baies vitrées s'ouvraient sur un spacieux balcon où fleurissaient de nombreuses roses à la robe pourpre. Malgré la foule bruyante, l'endroit pouvait encore accueillir des centaines de personnes supplémentaires.

Yakha les invita à se mêler à la masse, avant de rejoindre ses collègues. En progressant avec le groupe, Agdhim scruta les visages en nourrissant l'espoir de retrouver sa cible.

Il est forcément ici ! Sauf si...

Une vigoureuse claque dans le dos l'interrompit dans ses sombres réflexions. Il manqua de trébucher, avant de se retourner, prêt à en découdre.

- Nino, je ne m'étais pas trompé ! s'exclama Amélia. Quelle joie de te revoir !

En découvrant l'aventurière, l’enthousiasme se subtilisa à l'agressivité et il lui adressa un sincère sourire en se massant le dos.

- Plaisir partagé ! J'ignore pourquoi, mais ça ne m'étonne pas vraiment que tu aies réussi !

- Ahah petit flatteur ! s'amusa-t-elle. Sale épreuve dite donc, je ne sais pas pour toi, mais c'était chaud de mon côté !

À ce moment-là, les compagnons d'Amélia se retournèrent et l'un d'eux prit la parole.

- Chaud pour l'autre imbécile ! dit-il avant de s'adresser directement à Agdhim. Vous l'auriez vu se faire ridiculiser par elle, pour sûr, ça, c'était du spectacle !

- Allons, allons, je n'ai fait que mon devoir, répliqua Amélia

Faussement sérieuse, elle finit par éclater de rire, provoquant l'hilarité des personnes autour. Aghdim lui-même ne put y échapper, et l'espace de quelques secondes, il en oublia sa mission. Lorsqu'ils retrouvèrent leur calme, Amélia regarda le jeune homme droit dans les yeux.

- Dis Nino, es-tu vraiment certain de vouloir te lancer dans une entreprise aussi risquée ?

Décontenancé, Agdhim réfléchit avant de lui répondre, déterminé.

- Plus que jamais.

- Tu ne changeras pas d'avis, hein ?

- Je suis du genre borné, dit-il avec un clin d'œil.

Soupirant, elle abandonna cette façade sérieuse pour une attitude plus naturelle, entre l'amusement et l'inquiétude.

- Il semblerait que j'ai eu tort de m'en faire pour toi. Tu m'es sympathique, nino, probablement parce que j'ai l'impression de me voir plus jeune !

- Vous n'êtes pas si vieille, mylady !

- Quel beau parleur décidément !

Au-delà de l'humour, Agdhim était réellement touchée par ces paroles. D'autant qu'instinctivement, il sentait que cette personne était remarquable à bien des niveaux.

DONG

Surpris comme le reste de la salle, Agdhim et Amélia échangèrent un regard entendu avant de concentrer leur attention vers le fond où était né le bruit ayant éteint toutes les conversations. Il régnait désormais un silence de cathédrale, seulement troublé par le grincement d'imposantes portes métalliques en mouvement. Quand elles s'immobilisèrent, le claquement d'une paire de talons sur le marbre résonna, instaurant une autorité presque surnaturelle. Une femme dépassa les administrateurs qui s'étaient déployés, prenant naturellement leur tête. Ils étaient une cinquantaine, progressant en rang serré derrière leur meneuse, qui brillait d'une aura particulière. Elle avait sensiblement le même âge que Yakha. Sa démarche assurée rehaussait d'autant plus son charisme et la beauté spectaculaire de ses traits gracieux. Ses cheveux lilas clair attachés en chignon surmontaient un regard azur plein de sérénité. Son uniforme, similaire aux autres administrateurs, était assorti d'un long manteau aux épaulettes militaires qu'elle portait à la manière d'une cape. Lorsqu'elle fut proche de la foule, le marbre se souleva et une estrade de plusieurs mètres émergea. Elle s'arrêta au bord, analysant rapidement la situation avant de croiser les mains derrière le dos.

- Bonjour à toutes et à tous. Tout d'abord, félicitations pour votre réussite au test d'admission.

Sa voix pleinement d'assurance était accentuée par des amplificateurs cachés dans le sol.

- Je me nomme Uliriena Alrai et je suis la cheffe des administrateurs du Premier étage. En tant que tel, je suis également la plus haute autorité dans ce château, par conséquent mes ordres sont absolus et ne tolèrent aucune contestation.

Une telle tension émanait de cette affirmation qu'il eût été inconcevable de la remettre en cause. Pourtant, un homme s'extirpa de la foule, les mains dans les poches. Il rayonnait d'une confiance propre aux élus à qui rien n'avait jamais été refusé, similaire à celle de l'aristocrate dans leur groupe.

- Candidat, je vous adresse un seul avertissement avant de procéder à votre sanction. Veuillez retourner avec les autres, ordonna-t-elle.

- À qui crois-tu parler ?

Le ton sec de la réponse dégoulinait de suffisance. Des murmures le concernant parvinrent jusqu'aux oreilles d'Agdhim. Cet arrogant énergumène appartenait à la famille d'un Immortel, les tout-puissants dirigeants de l'Association. Celle-ci était l'organisation régissant le monde de la magie sur Terre, et possédait par conséquent une autorité absolue. Aussi, les maîtres de cette dernière avaient la fâcheuse tendance à se percevoir comme une espèce supérieure, pour laquelle gouverner était un droit de naissance que nul ne pouvait contester.

- Je m'appelle Eugène von Estarch, et, à ce titre, j'exi -

La phrase n'alla pas à son terme. Subitement, le corps du noble représentant des Estarch s'effondra au sol, séparé en deux morceaux parfaitement égaux.

- Bien. Je vais maintenant vous présenter dans les grandes lignes ce qui va rythmer votre séjour ici, annonça Uliriena en rengainant tranquillement une lame argentée.

Alors que l'ensemble des Candidats observaient avec horreur le cadavre, Agdhim eut un sourire mauvais. Le coup avait été si propre, si rapide, que le sang ne commença à affluer qu'au bout de plusieurs secondes, les veines ne réalisant pas immédiatement qu'elles avaient été tranchées. Uliriena l'avait découpée depuis son piédestal, ajoutant une difficulté supplémentaire à cet exploit déjà incroyable. Celle-ci poursuivit son discours, indifférente aux domestiques évacuant les restes de feu Eugène Von Estarch.

- Vous allez être formés et évalués durant un mois. Les bases de notre histoire, ainsi que le déroulement de l'Ascension, constitueront le cœur de cet apprentissage. Pendant ce temps, le château dérivera jusqu'à atteindre le lieu de l'Épreuve. Ce sera le dernier test, celui qui déterminera les élus capables de rejoindre le Second Étage. Voilà pour les grandes lignes, si vous avez des questions, réservées les à vos superviseurs qui seront vos garants durant l'intégralité de votre séjour. Pour le reste, je vous souhaite bonne chance.

Toujours avec élégance, elle tourna les talons et descendit l'estrade qui progressivement s'enfonça dans le marbre. Une poignée d'uniformes s'engagèrent après elle, pendant que les autres se dirigeaient vers la foule. Quand Yakha arriva à la hauteur du groupe, elle ne s'arrêta pas.

- Suivez-moi, je vais vous conduire jusqu'à vos appartements, dit-elle.

Du coin de l'œil, Agdhim vit Amélia partir de son côté. Après un bref salut de main, il se dépêcha de rattraper son groupe en songeant qu'il n'avait pas aperçu sa cible.

- Voici vos quartiers, annonça Yakha.

Pendant qu'elle composait un code sur une interface digitale, ses protégés reprenaient leur souffle. La jeune femme avait imprimé un rythme rapide sans montrer le moindre signe de fatigue. Même Agdhim, confiant dans ses propres capacités, dut essuyer quelques gouttes de sueur. Après l'immense salle de réception, ils avaient emprunté une succession de couloirs caractérisés par un changement complet dans l'architecture : le moderne avait totalement supplanté l'ancien, des murs au plafond. Cette partie était intégralement rénovée, lui donnant une allure futuriste.

Bip.

La porte maintenant déverrouillée, Yakha s'écarta pour les laisser découvrir leur nouveau foyer. Ils pénétrèrent dans une grande pièce aux teintes claires baignant dans la douce lumière d'un ciel crépusculaire sans nuage. Plusieurs canapés et fauteuils confortables étaient disposés ici et là, parfois accompagnés de tables basses. Les fenêtres occupaient un pan tout entier, permettant à l'intérieur de respirer. Dans l'un des coins, un escalier arrondi octroyait l'accès à une large mezzanine. L'ensemble était agréable et propre, moderne, mais résolument chaleureux, ce qui était une vraie bonne surprise. Yakha s'avança pour présenter plus en détail l'endroit.

- Ceci est la pièce centrale. À l'étage, vous trouverez chambres et salles de bains individuels. Pas de conflit inutile, elles sont toutes similaires. Les repas sont servis dans un réfectoire auquel je vous conduirai à des horaires bien précis. Ne vous en faites pas pour ce soir, un plateau par personne a été préparé. Je vous encourage fortement à ne pas vous coucher tard, quiconque ne sera pas présent dans cette salle à 7h00 ne pourra assister aux cours. Ceci étant dit, il ne me reste plus qu'à vous souhaiter une bonne fin de soirée.

À peine franchissait-elle le seuil que la majorité du groupe se précipitait à l'étage, en quête du lit le plus confortable. Refusant de participer à cette futile chasse au trésor, Agdhim se laissa tomber dans l'un des divans. Il accueillit le moelleux des cousins avec un gémissement de plaisir, se délectant d'autant plus en entendant au loin les virulents débats sur l'attribution des chambres. Il n'était pas le seul à avoir fait ce choix. Irenia, la vieille savante qui s'était démarquée dans le cube s'était également installée, lunette sur le nez et livre à la main. Plus loin, à l'opposé des escaliers, Emma s'était approchée des fenêtres pour contempler les paysages défilant en contrebas. Roulant sur lui-même pour mieux l'observer, Agdhim nota à quel point la jeune femme était banale. Elle n'était pas spécialement grande, et sa taille mince ne dévoilait pas de voluptueuses courbes. Son visage, aux traits fins, était plutôt mignon, quoiqu'un peu trop enfantin. Dans son ensemble, elle semblait si fragile, si délicate, qu'Agdhim en venait encore à douter de ce qu'il avait vu.

Difficile d'imaginer une telle personne se battre.

Quelque chose attira son attention et elle décala légèrement la tête. L'odeur enivrante de cerisiers en fleur se répandit alors dans la pièce. Les cheveux noirs élégamment attachés brillèrent au contact des derniers rayons du soleil, et les yeux émeraude s'illuminèrent à mesure qu'un sourire se dessinait sur son visage. Les pupilles d'Agdhim s'agrandirent, troublées par ce changement. Remarquant l'attention qu'on lui portait, Emma rougit et entrouvrit la bouche, sans qu'aucun son n'en sorte. En réalisant que son attitude était à l'origine de ce trouble, Agdhim secoua la tête avant d'essayer de s'expliquer, en vain. La jeune femme avait déjà disparu dans le couloir à l'étage.

- Aaaah, la jeunesse !

Malgré le timbre sérieux de sa voix, Irenia adressa à Agdhim un regard étonnamment moqueur. Avant qu'il ne puisse démentir, la vieille savante quitta à son tour la salle en le laissant seul et en proie à la confusion.

- M-Mais... balbutia-t-il.

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