Chapitre 26 : La Véritable Magie

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Les échos cataclysmiques de la confrontation entre Alistair et Gustav faisaient rage depuis des heures. Des collines avaient été rasées, des lacs asséchés, et pourtant la fureur ne faiblissait pas. Rien n’était plus terrible, dans la violence, mais surtout pour les sentiments, qu’un affrontement fratricide. L’amour se mêlait à la colère, faisant rejaillir tel un geyser des émotions à la pureté immaculé. La terre malmenée, déchirée, en portait les stigmates, expression tangible des cœurs à vif. Les responsables qui la surplombaient ne lâchaient rien. Ils étaient le pinacle du plus noble art, les apex du monde occulte. Tous deux incarnaient une facette de la thaumaturgie. Liberté contre Ordre. Insouciance contre Sérieux. Au-delà des sorts, c’était un affrontement entre deux idéaux, deux visions de l’Univers antinomiques et aux aspérités pourtant similaires. L’espoir de mettre un terme définitif à la souffrance.

Ce n’était pas la première de leur confrontation. Leur premier débat. Il y en avait déjà eu tellement avant, sans qu’aucun des deux ne parvienne à convaincre l'autre. Mais aujourd’hui, tous deux le savaient. Cette histoire commune touchait à sa fin. Le vainqueur emporterait tout, pendant que le perdant disparaîtrait. Alors ils s’abandonnaient à la fureur. Et le fragile équilibre qui s’était instauré, si ténu, si friable, finit par être rompu.

Les pages du livre cessèrent de tourner, alors qu’un arc-en-ciel d’éléments destructeurs fusa vers le Roi Savant. Gustav n'avait jamais ignoré cette réalité. Son absolue rationalité avait été la source de sa toute-puissance, la raison qui en faisait le père fondateur de la Thaumaturgie, l’Architecte. Mais elle connaissait une limite. Depuis tout ce temps, jamais n’avait-il perdu face à Alistair. Aujourd’hui cependant, ce frivole et désinvolte personnage, à l’insouciance sans limite, avait comme prévu fini par le surpasser.

- C’est ma défaite, Sirius, accepta Gustav.

Aucun bouclier ne s’interposa, et le sort frappa de plein fouet le Roi Savant. Décontenancé par la brutalité de ce dénouement, Alistair fixa, incrédule, la poussière soulevée par l’impact. En lui naissaient des sentiments contraires, allégresse de la victoire, tristesse insondable. Mais au plus profond de son être, il savait que le plus dur était à venir. Ce succès ne marquait pas la fin, mais le début du véritable affrontement.

Le bruit du clairon déchira les tympans d’Alistair. Quatre coups résonnèrent, annonçant le règne de l’Âme. Au travers de la fumée qui se dissipait, une silhouette solitaire se tenait là, bien droite. Un frisson de peur et d’excitation parcourut l’échine du Rêveur quand l'Architecte s’adressa à lui. Cette fois, son frère ne faisait plus semblant.

- Tu es sans contestation le meilleur mage de l’histoire. Mais tu le sais mieux que personne. Les Magiciens sont sans égal. Rien ne surpasse la Véritable Magie.

- Ald ! Il est encore temps de mettre un terme à cette folie ! Le garçon ne se soumettra pas à toi ! Même en me vainquant, jamais tu ne feras tienne la Première Magie ! hurla Alistair pour couvrir les violentes bourrasques qui s’étaient soulevées.

Gustav apparut distinctement, immaculé. Mais ce n’était plus le Roi Savant. Une couronne lumineuse flottait au-dessus de sa tête, et dans son dos s’était formé un cercle d’énergie traversé par quatre traits épais. Il rayonnait, et pourtant ses yeux s’étaient vidés de toute émotion. L’humain avait définitivement disparu, remplacé par un monstre du passé, un être ayant transcendé sa condition de mortel, surpassant la divinité : celui qui Transgresse, le Quatrième Magicien, Aldebaran Einzbern.

- Il finira bien par comprendre, affirma Aldebaran. Et si malgré tout, il persiste dans sa puérile rébellion, alors je n’aurais pas d’autre choix que de l’asservir entièrement. J’en ai les moyens.

Il disait la vérité. Dorothée, Mikhael, Élise… ramener à la vie l'un des proches du garçon était suffisant pour capturer son cœur. Car tel était la nature de la Quatrième Magie. Celle de commander à l’Âme, de transgresser la chair, de surpasser la mort.

D’un claquement de doigts, Aldebaran fit trembler la terre. Des entrailles déchirées de la caverne émergèrent des milliers de corps, habités par les plus remarquables héros de l’Humanité. Mais ce n’était que des coquilles dépourvues de tout libre arbitre, l’esprit complètement lobotomisé par la toute puissante Quatrième Magie. Les orbites éteintes regardèrent toutes en direction de Alistair, qui contempla avec un mélange d’effroi et de fascination la plus formidable armée du monde se dresser pour lui faire face.

- Je ne montrerais plus la moindre pitié ! assura Aldebaran.

Le Rêveur fixa avec une profonde tristesse l'Architecte. Au paroxysme de cet affrontement, il réalisait qu’il s’était trompé sur les sentiments véritables de son frère et comprenait maintenant que ce n’était pas l’ambition, mais le désespoir qui guidait les actes d’Aldebaran. Au-delà de cette façade contrôlée et déterminée, le Quatrième Magicien était gangrené par la rage et la douleur. Plus que quiconque, il avait été affecté par la chute des Magiciens et la fin de leur rêve. Durant des millénaires, Aldebaran s’était démené pour perpétuer l’existence de cet idéal agonisant, acceptant même de salir profondément son être. Alors que les morts se jetaient sur Alistair, celui-ci plongea ses pupilles dans celle de l'Architecte avec mélancolie et compassion.

Aldebaran eut un instant d’hésitation, mais avant d’avoir pu retenir sa main, son frère avait déjà disparu sous une montagne de corps. Lentement, ses épaules relâchèrent la pression et un voile de fatigue ternit l’acier de son regard.

C’est donc bien terminé, Sirius. Même toi es incapable de trouver une solution nouvelle à cette équation parfaite et inaltérable.

Un bref éclat brilla, captant l’attention du Quatrième Magicien. La voix qui s’exprima n’était pas la sienne.

- C'est bon, Ald. Ta longue solitude prend fin aujourd'hui. Jusqu’à la ruine complète de ce rêve, nous marcherons ensemble, proclama Alistair.

La bouche d’Aldebaran s’entrouvrit sous l’effet de la surprise. Pendant un instant, il éprouva du soulagement à l’entendre, à le savoir encore vivant, avant de se reprendre et de commander à son armée de héros l’anéantissement définitif de son ennemi. Mais c’était déjà trop tard. La brève seconde d’égarement du Quatrième Magicien, le seul depuis des millénaires, allait avoir des répercussions gigantesques. Dans l’obscurité d’une cage de chair et d’os, Alistair planta fermement son bâton devant lui.

Au même moment, dans une chambre du palais impérial du Dixième Étage, Aizen Klein, l’actuel Sixième Magicien, se redressa, surprit. L'impossible avait lieu. Un fantôme du passé venait de l’éloigner du Chemin, le privant momentanément de sa Magie. Mais au lieu de paniquer, il eut un sourire plein d’admiration.

- Sirius… Ainsi donc, vous protégiez depuis tout ce temps une minuscule braise...

Il se précipita sur la terrasse, écartant les bras face au vide.

- Que cette ultime scène soit la plus grandiose de toutes ! exulta-t-il.

Son regard contemplait ce que seul un Magicien pouvait voir, accompagnant sa prière silencieuse.

Et que cette chaleur agonisante réchauffe une dernière fois le cœur gelé du Roi des morts.

Au Sixième Étage, six coups de clairons annoncèrent le règne de l’Esprit. Aldebaran admira, interdit, la naissance d’un nouveau Miracle. Suspendu au cœur d’une tempête florale aux couleurs chatoyantes, Sirius s’était éveillé, une couronne de pétales lumineux lévitant au-dessus de sa tête et un cercle d’énergie flottant dans son dos, barré de six traits. Devant un tel spectacle, les émotions longtemps accumulées et réfrénées du Quatrième Magicien remontèrent avec la violence d’un torrent déchaîné. Il en oublia ses ambitions, sa douleur millénaire. Seul comptait maintenant la victoire, le refus de perdre face au prodige.

De l’autre côté, Sirius contemplait, admiratif les exploits d’Aldebaran. L’adoration qu’il éprouvait était celle d’un jeune frère pour son aîné. Plus que quiconque, ce que désirait le Rêveur était l’approbation de l’Architecte. Ce simple sentiment était la dernière pièce essentielle. L’infime probabilité permettant d’apporter une solution nouvelle à la plus absolue et inaltérable des équations.

Réalisme et Jalousie.

Insouciance et Amour.

Idéal.

L’Étage se contracta, hurlant. Il n’y avait plus le moindre endroit où se cacher. Dans les villes et villages, la population terrifiée fuyait vainement les vagues de destruction, cherchant désespérément la sécurité. À la capitale assiégée, où jusqu’à présent les vestiges des Esprits luttaient férocement contre les forces des Einzbern, la panique était similaire. Les fières créatures se repliaient pitoyablement pendant que Dicezor déployait toute son énergie dans un immense bouclier protecteur autour de la citadelle.

À l’épicentre de ce cataclysme biblique, les responsables n’appartenaient plus tout à fait à ce monde. Au cœur d’un ouragan éthérique, les Magiciens se livraient à une bataille échappant à toute logique. À chaque interaction, les lois fondamentales de l’Univers étaient bafouées. D’un côté, des fleurs inconnues se changeaient en formes et matières invraisemblables, créations fantasques d’un esprit génial. De l’autre, les plus grands combattants de l’Histoire progressaient en ordre de marche, armée d’artefact mythique capable de détruire des pays entiers.

La réalité se tordit, les plans d’existences se fissurèrent. Personne ne put dire combien de temps l’apocalypse dura, mais quand finalement moururent les dernières braises de colère, le Septième Étage n’était plus qu’un champ de ruine.

  Étendu sur le sol, les bras écartés, le Rêveur contemplait les nuages qui flottaient paisiblement. C’était un sentiment étrange que d’envier des structures gazeuses, dépourvues de conscience, et pourtant c’est bien ce qu’il ressentait. Sa main se referma sur son bâton, et il se redressa péniblement en s’appuyant dessus. Il inspira un grand coup avant de se diriger vers son adversaire. Celui-ci était à genoux, la tête basse, demeurant immobile même après avoir été appelé par Alistair.

- Ald. Je...

Alistair hésita, ne sachant pas quoi dire. D’ordinaire si éloquent, si confiant, il se retrouvait pantois, incapable de formuler correctement ses sentiments.

- Qu’attends-tu ? l’interpela Aldebaran. Achève-moi.

Ses mots exprimaient la résignation, la lassitude. Cette défaite avait brisé le Quatrième Magicien, qui n’aspirait à plus rien si ce n’est sa propre fin.

Alistair en avait conscience, c’était là sa seule opportunité. Sa victoire avait été possible grâce aux derniers fragments de la Sixième Magie qu’il avait conservés depuis tout ce temps. Dorénavant, il n’y aurait plus accès, et en cas de nouvelle confrontation, il ne l’emporterait certainement pas. C’était maintenant qu’il devait accomplir son devoir. Inspirant, il leva son bâton, avant de l’abattre.

- À quoi joues-tu ? demanda Aldebaran.

Le Quatrième Magicien observa, dépité, la pointe du bois plantée dans le sol à côté de lui. Une étincelle de colère s’alluma dans son regard mort.

- Tu sais très bien ce qui va se produire si tu me laisses vivre, poursuivit-il.

- Exact.

- Alors pourquoi ? Pourquoi diable refuses-tu d’agir !

Ennuyé par l’exaspération de son frère, Alistair soupira. Sa tête bascula en arrière et il se retrouva à contempler encore les nuages.

- Durant notre affrontement, j'ai tout vu. Tu te voiles la face, mais cela fait bien longtemps que ton cœur a compris que cette voie n’est pas la bonne.

- N’importe quoi ! s’emporta Aldebaran.

Pris d’une ardeur inhabituelle, le Quatrième Magicien se redressa pour empoigner son interlocuteur par le col. Son visage d’ordinaire si placide était maintenant déformé par la rage. Pour autant, Alistair ne s’en formalisa pas. Il attrapa le poignet de son frère en se confrontant aux pupilles enflammées.

- Cesse donc de te comporter comme un imbécile ! Aurais-tu oublié à qui tu t’adresses ? J'ai vu dans ton esprit ! Aucun, absolument aucun de tes secrets ne m'a échappé !

La pression se relâcha et Aldebaran recula, maintenant désemparé. Alors qu’il titubait, presque assommé par cette estocade verbale, Alistair lui saisit l’épaule pour le forcer à rester debout.

- Ne fuis pas ! Écoute ce que j’ai à te dire ! (il expira longuement avant d’adopter un ton plus doux.) Ald, des millénaires d'expiations ne suffiraient pas pour alléger le poids de tes crimes. Ce que tu as fait, ce que tu lui as affligé, subsistera, et jamais le pardon ne te sera accordé. Mais tu peux encore te sauver toi.

- Que racontes-tu ? balbutia Aldebaran, en proie à la confusion.

Même si la Sixième Magie l’avait définitivement abandonné, les pupilles dorés d’Alistair brillèrent plus intensément que jamais.

- Aide-moi. Aide-moi à protéger Gabriel de ceux qui le convoitent.

  Au lendemain du procès, conformément à la décision prise, Gabriel et les autres furent escortés par Karna et Kunti jusqu’aux limites de la cité. Mis à part Agdhim, dont le regard était déjà tourné vers les montagnes, les adieux furent particulièrement émouvants. Alors que Kunti serrait les filles dans ses bras, le Roi Héroïque se rapprocha de Gabriel.

- Tiens, dit-il en lui confiant une carte ainsi qu’un petit cube. Avec ça, vous serez en mesure d’activer l’un des portails indiqués dessus. Le prochain étage est le royaume souterrain de la Maison Einzbern. Gustav, le Roi Savant, s’était opposé à ta capture, mais méfie-toi de lui. Il a toujours été le plus secret d’entre nous, complotant avec une longueur d’avance à chaque événement.

- C’est noté, acquiesça Gabriel en s’en saisissant.

- Je suis navré que votre séjour connaisse une fin aussi brutale. Mais je suis tout de même heureux d’avoir constaté que tu partageais nos convictions. Quand tu estimeras que ton voyage est arrivé à son terme, tu seras le bienvenu.

Ces paroles, et le sourire sincère qui l'accompagnait emplirent le jeune homme d’espoir. Il serra la main tendue de Karna avec détermination.

- Merci pour tous. Je reviendrais avec plaisir.

Il manqua soudain de trébucher quand Kunti se jeta sur son dos en l’enlaçant au niveau du cou.

- Tu as intérêt à le faire ! s’écria-t-elle. N’essaye pas de te défiler en prétextant que ta présence nous menace ! Qu’importe si l’Empire te convoite, ici tu seras en sécurité. Nous prenons toujours soin des nôtres.

Au terme de la première journée de marche, le groupe bivouaqua à proximité du chemin qui les menait au pied d'un massif de grande envergure. Ils ne veillèrent pas tard et se couchèrent tôt pour repartir à l’aube. Avec un rythme soutenu, ils commencèrent rapidement l’ascension des premiers cols. Leur long périple solitaire fut parfois émaillé de rares, mais précieuses rencontres, et chacune d’entre elles fut l’occasion de partager des histoires autour d’un frugal festin. Ce retour à l’aventure, la vraie, eut des effets positifs sur eux et plus particulièrement pour Agdhim. Progressivement, celui-ci récupéra des couleurs et sa morosité s'adoucit. Quelques traces du séjour à Karnal persistaient encore, mais ses amis se réjouissaient de retrouver ce personnage joyeux et attachant qui leur était si cher.

Une semaine passa, puis une seconde et finalement l’objectif fut tout proche. Si la carte ne mentait pas, alors ce devait être probablement leur dernière soirée au Cinquième Étage. Pendant que les filles dressaient le camp et se reposaient en profitant d’un panorama grandiose, Agdhim et Gabriel s’enfoncèrent dans une forêt de conifères nichée sur un petit plateau en haute altitude, à la recherche de combustible pour la nuit. La conversation était légère et amicale, jusqu'à ce qu'Agdhim adopte une attitude plus sérieuse.

- Gabi, je voudrais m’excuser pour le tort que je vous ai causé récemment.

L’intéressé se pencha pour ramasser une branche tout en lui adressant un signe de la main. Cela faisait un moment que le jeune Magicien avait pardonné à son acolyte, et plus que quiconque, il souhaitait laisser derrière eux cet accident.

- Bah ! Ne t’inquiète pas ! On a vite compris que tu n’étais pas très à l’aise là-bas. Avec tout ce qu’on a vécu auparavant, c’est normal de se montrer méfiant.

Tout en rassurant son ami, Gabriel façonna discrètement une boule de neige. Subitement, il se retourna pour le prendre par surprise. Mais il se figea en découvrant le visage illuminé d’Agdhim.

- N’est-ce pas ? Une telle farce ne peut être vraie ! s’enthousiasma le jeune nomade.

Gabriel fronça les sourcils. Au fond de lui, une perfide incertitude, née de leur précédente altercation et qu’il essayait vainement de faire taire, recommençait à monter. Il secoua la tête, tant pour réfuter le propos que pour repousser ses idées sombres.

- Ce n’est pas ce que j’ai dit. Je peux comprendre que tu ne partages pas ce point de vue, mais j’apprécierais que tu ne t’en moques pas, expliqua Gabriel.

Sans attendre de réponse, il retourna à sa corvée, tout en luttant intérieurement pour étouffer son inquiétude. Mais à peine attrapait-il une autre branche que ses oreilles captèrent le son du bois qu’on lâche. Serrant les dents, il se redressa avant de faire face à Agdhim. Désemparé, celui-ci contemplait Gabriel avec une déchirante tristesse.

- Comment peux-tu être aussi naïf après tout ce que l’on a vu et vécu ?

Le cœur de Gabriel s’accéléra. Cette pensée, idiote, futile, sans fondement, l’obsédait maintenant. La bouche sèche, il eut du mal à articuler plus d’un mot.

- Agdhim ?

- Qui est responsable de la mort d’Amélia ? De ta famille ?

- Je ne vois pas où tu veux en venir.

Devant la fureur, cette même fureur qu’il avait découverte récemment chez Agdhim et qui déformait à nouveau son regard, les entrailles de Gabriel se tordirent de douleur. Insensible au teint livide de son ami, Agdhim s’emporta.

- L’homme est un loup pour l’homme ! C’est inscrit dans nos gènes et rien ne peut aller à l’encontre de cette malédiction !

Il se rapprocha et attrapa les épaules tremblantes de Gabriel. Sa poigne était ferme et intense, comme les mots qui sortaient de sa bouche.

- Mais toi, tu as le pouvoir d’inverser ce cycle de haine éternelle ! De purifier une bonne fois pour toutes l’Humanité !

Horrifié par cette ferveur maladive, Gabriel se dégagea. Ce n’était plus de l’incertitude, mais de la panique qui s’emparait de lui. Ce fanatisme, il le connaissait. Ces mots, il les avait entendus, des dizaines, des centaines de fois. Instinctivement, il avait déjà compris, mais son esprit fuyait encore cette réalité.

Non ! Ce ne peut pas être vrai !

- Je… je rentre au camp, balbutia-t-il en tournant les talons.

Alors qu’il s’apprêtait à partir, la voix étrangement calme d’Agdhim le figea sur place.

- Gabi, laisse-moi te ramener chez toi.

La forêt devint anormalement silencieuse. Chaque être, chaque particule, portait le poids de la tension de l’instant. Rattrapé par la raison, Gabriel se retourna lentement. Il sentait son âme qui éclatait en morceau, anéanti par le désespoir.

- Ce n’est pas possible…

Les mains levées en signe d’apaisement, Agdhim se rapprochait doucement.

- Le Maître a appris de ses erreurs. À ses yeux, tu n’es plus un outil, mais un égal. Ensemble, vous pouvez bâtir un monde idéal.

Gabriel vit rouge. Maintenant qu’il ne pouvait plus réfuter l’abominable vérité, ses émotions à nues s’exprimèrent sans filtre.

- Une dystopie ! Un monde privant l’Humanité de son libre arbitre, entièrement soumis à ce salopard ! Voilà ce qu'il cherche à construire ! s’énerva-t-il.

Surpris par cette brutale réaction, Agdhim, dont le calme n’était qu’une fragile façade, se laissa dominer par l’agacement.

- Cesse donc de rêver ! Si nous souhaitons encadrer l’Humanité, ce n’est pas pour notre profit, mais parce que c’est l’unique solution pour parvenir à la véritable paix avec un minimum d’injustice !

Les deux jeunes amis se toisèrent avec mépris et haine, sans qu’aucun ne baisse la tête. Ils étaient dans une impasse idéologique, et rien ne pourrait convaincre l’autre. Ce débat ne pouvait connaître qu’une seule issue. Gabriel observa son interlocuteur se saisir doucement de ses armes alors que lui-même empoignait la garde de sa lame. Il était sur un fil de crête, entre souffrance et colère, prêt à perdre définitivement la raison. Face à lui, malgré son visage désormais stoïque, Agdhim était tout autant en peine. Mais rien ne pouvait entraver la marche inéluctable du destin.

- Je ne reviendrais jamais.

- Alors je n’ai pas d’autre choix que de te forcer.

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