Prologue : La fin.
Tout est allé très vite. Les informations se sont relayées d’une chaîne à une autre, les scientifiques, perplexes, ne pouvaient rien y faire. Les études, les rapports se sont enchaînés à grande vitesse. Ils étaient tous unanimes, nous avons eu droit au premier accord universel de tous les professionnels : nous allions tous mourir. Les mayas, les scientifiques, les religieux, les apocalyptico-sceptiques, tous les autres, personne n’avait rien vu venir. Ils parlaient d’un morceau de comète qui percuterait la planète de façon à tous nous annihiler. En quelques heures, la panique a gagné la totalité de la population mondiale.
Il n’a fallu que quatorze heures pour convaincre huit milliards de personnes que la fin était proche. Tous, jeunes, vieux, noirs, blancs, gros, maigres, humains ou non, tous les êtres vivants seraient morts d’ici quelques dizaines d’heures, tout au plus. Je ne sais pas exactement comment ils s’y sont pris. Mais tout le monde, sur vingt-quatre fuseaux horaires, chaque personne a eu la conviction que nous vivions nos dernières heures. Tout a cessé de fonctionner : les chauffeurs de bus, de taxi, de métro, les pilotes d’avions les enseignants les policiers les vendeurs les ouvriers les patrons les médecins, oui, même les médecins se sont arrêtés. Certains voulaient rejoindre leur famille, je ne peux pas les blâmer. Moi aussi j’en ai eu envie. La réalité physique m’en a empêchée : des milliers de kilomètres m’isolaient des miens.
Beaucoup ont préféré abréger leurs souffrances et se sont suicidés. J’errais dans la ville quand je les ai vus. Des pendus, pour la plupart. Ils se sont affichés. Pourquoi ? Je ne sais pas. Mais il y en avait beaucoup. Je ne me serais jamais imaginé une telle scène et malgré la stupeur et le vertige qui me tenaient depuis le début de la « situation », j’étais particulièrement sous le choc. J’ai hurlé devant le premier, j’ai pleuré, j’ai tenté de le sauver. Mon instinct m’avait poussé à le surélever, à le dépendre, à le masser. C’était peine perdue ; il commençait déjà à refroidir. Alors j’ai pris conscience de tous les autres corps qui se balançaient, accrochés à des réverbères, des arbres, des abris-bus. J’ai couru pour m’éloigner de la rue le plus vite possible. Je crois que cette rue en particulier avait été ciblée. Elle est devenue « la rue des pendus ».
J’ai marché longtemps seule. Les gens que je croisais étaient pris de folie furieuse pour la plupart. Certains se couraient après avec des armes, d’autres hurlaient. Nous avions tous notre propre façon de réagir à la mort, à la fin, à l’apocalypse. Je ne jugeais pas ces gens. A quoi bon ? Leur démence ne changeait rien au fait que nous finirions tous bientôt. J’ai cessé de regarder les gens et j’ai continué de marcher.
Il y avait un compte à rebours sur mon téléphone. La fin du monde était programmée pour mardi, à 12h48 précisément de mon côté de la planète. J’avais mis une alarme. Au cas où j’oublierais.
Je me suis arrêtée dans un parc. J’en avais assez de marcher. Sur la colline j’étais surélevée, j’avais une vue magnifique. J’ai regardé mon dernier coucher de soleil avec deux autres personnes qui s’étaient assises sur le même banc que moi, sans un mot. Nous sommes restés ensemble. Malgré les multiples conversations que nous avons eues après ça, nous avons mis longtemps à comprendre.
D’abord, nous avons attendu midi. Nous avons regardé la cité sous le zénith et nous avons compté les minutes. Nous ne savions pas à quoi nous attendre. Moi, je m’étais imaginé une vague immatérielle semant la mort par sa simple expansion. Samuel m’a dit plus tard qu’il pensait à une déflagration, ou à une tempête de sable, peut-être les deux. En tout cas nous avons guetté le ciel le soir, et la matinée aussi.
A midi et quarante-huit minutes, il ne s’est rien passé. Nous avons attendu encore un peu, pensant que nos montres avançaient. Nous avons attendu encore une heure, puis deux, et nous avons accepté l’idée qu’il ne se passerait rien. Une étrange sensation nous a envahis, quelque chose qui mêlait de la joie, du soulagement, de la peur, de l’excitation aussi. Ce n’est qu’en baissant les yeux vers les voitures abandonnées, les cadavres, les déchets, vers le fantôme qu’était devenue notre ville, que nous avons compris.
Il y avait bien eu une fin du monde. Nous avions simplement survécu.
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