La brume se dissipait, des cris et des tirs s'élevaient. Les nuages menaçaient d'éclater et le ciel rouge de se déchirer. Haletante et à l'agonie le visage écrasé sur le sol, je n'arrivais pas à me redresser. Au loin sur le côté j'apercevais ce visage familier. Impossible de me souvenir de qui il s'agissait, mais au fond de moi, je savais qu'il fallait que j'aille l'aider. Tout mon être l’appelait, il fallait que je bouge, un tout petit mouvement et je pourrais la sauver. J'avais beau y mettre toute ma détermination je n'arrivais pas à me lever et me poster sur mes genoux. Mes jambes étaient lourdes et une pression sur le dos m'écrasait sur le sol. Lorsqu'une ombre vint se poster derrière elle, les yeux brillants approchant une arme vers sa gorge, le temps ralenti et je hurlais son nom.

*

Dans un sursaut, je me réveillais trempée de sueur, les larmes coulaient sur mes joues. Encore un cauchemar, toujours le même qui me hantait chaque soir. La vision de ma mère morte étalée sur le sol s'accrochait à ma peau et ne me laissait pas une seconde de répits. Comme pour me rappeler mon but en attisant la souffrance constamment.

L'air avait beau être frais et humide, j'étais en feu. Il fallait que j'aille me dégourdir les jambes. D'un bond je me redressais, hors de question que je laisse encore une fois ce souvenir m'attrister, je ne ressentais plus rien, seulement le vide incommensurable. Plus rien ne pouvait m'atteindre. Que pouvait-il y'avoir de pire que de voir les siens mourir ? J'étais à présent seule et je n'avais plus rien à perdre.

J'allais vérifier pour la énième fois le camp de fortune dans lequel je venais de m'installer. Après l'attaque, j'ai été sauvée par des alliés qui m'ont recueilli, nourri et soigné. Ils étaient tous très avenants et souhaitaient vraiment mon bien-être. Des regards curieux me scrutaient parfois quand je sortais de ma tante. Cela faisait plusieurs lunes que j'errais dans ce camp, à plusieurs reprises ces villageois ont tenté de m'approcher, de me parler. Mais je n'avais plus de mots, plus rien n’était cohérent dans mon esprit. Et surtout, je ne voulais pas tisser de lien avec quiconque. L'attachement ne faisait pas parti de mes plans, la souffrance de la perte étant trop intense.

Il faisait nuit et sombre, comme si la lune elle-même s'était endormie, seuls restaient quelques veilleurs aux abords du camp. Chacun passant leur tour de garde et restait à l'affut de la moindre attaque. Les jours passaient dans une tension palpable, et personne ne dormait vraiment à points fermés. Nous étions tous aux aguets, prêts à une attaque et chacun avec des armes sous nos paillasses fabriqués à la hâte et sans désirs réels de rester dans le coin.

Un mouvement brusque dans les buissons me fit sortir de mes songes, je me campais figée, vérifiant les alentours et scrutant l'endroit où j'aperçus une tignasse rousse quelques secondes auparavant. D'un pas léger et rapide, je rattrapais le petit curieux et l'agrippa par le col de son t-shirt. Ce dernier se débâtit et tenta de me mordre. Il n'était pas plus haut que trois pommes mais se montrait téméraire et plein de ressources.

- Lâche-moi !

- Il en est hors de question.

Je me surpris moi-même à entendre le son de ma voix. L'enfant que je maintenais fut aussi interloqué que moi.

- Ah ! Tu parles enfin ! Quand je pense que tout le monde disait que tu avais avalé ta langue, ou qu'on te l'avait coupé ! Mes amis vont être choqués quand j'vais leur apprendre ça ! Ah !

- Et visiblement toi, tu es très bavard.

Il s'arrêta de parler et me scruta dans les yeux, il se détendit légèrement et son visage se tordis. Je cru d'abord qu'il allait crier, mais il s'esclaffa, se tordant de rire.

- Tu peux me déposer à terre ? me dit-il après s'être remis de ses états. Je pris conscience à cet instant que je l'avais soulevé et qu'il était suspendu dans les airs.

- J'm'appelle Michaël, mais tout le monde m'appelle Mika

Je le jaugeai de haut en bas, il ne devait pas avoir plus de dix ans, l'âge de l'une de mes sœurs... Il dut apercevoir l'ombre sur mon visage et me pris la main, ce qui me glaça le sang. Je n'avais pas touché la main de quelqu'un de vivant depuis le décès de ma mère. Il senti ma réticence et jugea bon de lâcher ma main.

- Faudra que tu t'habitues au contact et que tu t'ouvres un peu plus si tu veux survivre.

Il était très perspicace ce petit.

Je ne sus dire si c'étaient ses yeux aussi roux que sa chevelure tressée, ou son air décontracté face à la situation ou encore sa détermination dans son regard. Mais quelque chose se fissura en moi quand il me sourit, il me faisait penser à ma sœur et je savais que j'avais assez de place dans mon cœur pour l'y rentrer et peut être aimer à nouveau.