Fixant ce bout de tissu en coton qu'elle avait dans les mains, la jeune Sophie comprenait le bouleversement, le changement irréversible qui s'était opéré. Perplexe face à cette image frappante, ce contraste de couleur, Il lui avait fallu quelques longues minutes avant de réaliser tout ce qu'impliquait cet événement. Ce n'était pas grand chose, ce n'était pas grave. Et pourtant, cela semblait signifier tellement.

Sophie habitait dans un petit village aux ruelles pavées et maisons datant du siècle dernier. Elle y vivait avec son père et ses deux frères. Sa mère, quant à elle, était morte en couche. Leur unique voisine était une vieille dame qui ne parlait que très peu. Elle l'apercevait de temps à autre derrière ses fenêtres, se déplaçant d'une allure assez effrayante, semblable à une sorcière.

Le premier magasin était à 15 kilomètres et pour s'y déplacer, c'étaient toujours des discussions, des arguments à avancer. Mais en cet instant, Sophie ne voulait pas passer par l'interrogatoire paternel, qui se voulait protecteur mais qu'elle considérait intrusif, car ce qu'elle tenait entre ses doigts était personnel, un secret qu'elle souhaitait garder en elle et pour elle. Elle avait 15 ans.

Enfermée dans la salle de bain par un simple loquet sur la porte en bois, elle réfléchissait sur la démarche à suivre. Elle observait cette étrangeté et pensait : "Voilà une chose qui me change à jamais, une chose je ne pourrai jamais plus récupérer.".Sentant une détresse sourde monter dans son jeune corps, elle prit la décision de s'ausculter, de chercher les moindres signes. Cela se verrait-il? Remarquerait-on le basculement?

Il est vrai qu'elle souffrait depuis deux jours du dos et du ventre mais, s'afférant toujours à divers travaux, aidant ses frères et son père dès qu'elle le pouvait, elle n'y avait pas prêté attention.

Et ce matin-là, cette tâche rouge, petite mais lourde, au fond de sa culotte. Elle se pensait en toute intimité. Elle avait simplement oublié qu'elle habitait un village où tout se sait. Sa voisine, la "sorcière" l'observait de sa fenêtre et ne perdait rien des premiers émois d'une petite fille devenue femme.