Le regard
L’exil exalte en moi foules de sentiments
D’ailleurs on ne sait plus qui l’on est maintenant
Pourtant trainant mes pieds comme seul véhicule
Et portant mon fardeau si lourd mais minuscule
Je n’ausculte que moi dans ce pèlerinage
Alors que se meuvent des corps de tous les âges
Je n’attends plus grand-chose et plus vraiment personne
Parfois à une sonnette je me cramponne
Mais on me répond que la solidarité
N’est pas dans cette ville mais de l’autre côté
Alors je marche encore et je vais au hasard
En fuyant ma contrée j’emporte mon bazar
Mon banjo ma boussole et mon sourire doux
Qui ne s’acclimatent pas avec le redoux
Chez moi il fait trop sec, chez toi c’est trop pluvieux
En fait on ne sait pas où l’on sera le mieux
Le pire c’est quand je sais que je suis réfugié
Qu’on me considère comme un sale étranger
Partout on me bouscule, jamais on ne me voit
Ou alors on me jette des yeux qui sont froid
Mais quelques braves gens passent et donnent à manger
Un sourire de miel, des pièces de monnaie
Et je redeviens homme bien que je sois hagard
Parce que l’on m’a couronné d’un vrai regard
Pas celui qui est dur, celui condescendant
Que le premier goujat adresse au mendiant
Pas non plus celui qui se fait petit et désolé
Non celui qui te prend comme humain tout entier
Alors par un seul geste me voilà reconstruit
J’esquisse un sourire et aussi je remercie
Celui qui est passé en me considérant
Non pas comme un pauvre hère ou un insuffisant
Mais comme un seul bonhomme comme un vrai garçon
Qui dans la vie comme toi chante sa chanson
Celle des migrations celle des réfugiés
Car on est tous un jour peu à peu égarés
Sur cette Terre où nous sommes des habitants
Qui se déplacent au gré de la pluie et des vents
Des tsunamis, des cris, des violences, des guerres
De la mendicité dictée par la misère
Pourtant nous sommes dignes comme tous comme toi
Et si tu me regardes alors moi je te vois
Nous sommes cote à cote en cette vie funeste
Mais nous persévérons si tu veux bien je reste
Ami sur ton chemin qui deviendra le notre
Tu vogueras aussi avec moi et les autres
Nous formerons un peuple de déboussolés
Nous fuirons la détresse oublierons nos passés
Nous nous tiendrons la main pour retrouver le nord
Et les yeux dans les yeux, nous marcherons encore
Ainsi nous serons ceux qui auront bien foulé
Le monde, les forêts, les déserts, les sentiers
Arrivant ailleurs nous serons comme chez nous
Car nous aurons la place au fond de nos cœurs doux
Pour accueillir l’autre malgré sa différence
Le fait d’être étranger n’aura plus d’importance
Nous comprendrons les langues et les regards secrets
Qui entre tous les hommes savent nous relier
Annotations
Versions