Appui
Alteri couvait d’un regard autoritaire Flavia, attendant d’elle qu’elle se donne entièrement à lui, sans aucune réserve. Sa colère contre la jeune fille le disputait au désir intense qui le tenaillait.
De son côté, elle savait qu’elle ne pourrait plus se dérober aux attentes de l’homme. Elle fit d’abord passer au-dessus de sa tête son t-shirt, ce qui ne fut pas chose aisée, car la fine viscose collait à sa peau humide de transpiration. Un doigt fébrile suivit la courbe d’un sein à travers le tissu du soutien-gorge.
— Puis-je aller me laver d’abord, j’ai beaucoup transpiré à cause de la chaleur du dehors ? sollicita Flavia, légèrement intimidée par le charisme magnétique qui émanait du Consigliare.
Celui-ci se rapprocha d’elle, écarta une mèche de cheveux pour dégager la nuque puis y apposa les lèvres avant d’y lécher doucement la chair luisante. Le contact de la langue moelleuse déclencha une vague qui se répandit tout le long de sa colonne vertébrale.
— Ça ne me dérange absolument pas, mais si tu te sens mieux comme ça, tu peux y aller, lui permit-il en s’asseyant sur la banquette du salon.
Comme elle l’avait annoncé, Flavia s’esquiva un moment pour se rafraîchir sous la douche. En s’enduisant de crème savonneuse, elle réfléchissait à ce qu’avait exigé le Consigliare. Elle avait promis à Leandro avant sa mort de toujours lui appartenir, et si son corps avait depuis été touché par d’autres, son esprit avait échappé à la possession. Or, cette fois-ci, elle ne pourrait s’y soustraire, Alteri y serait particulièrement attentif. À bien y penser, Leandro lui avait aussi demandé de rester à l’écart de tout ce qui pouvait ressembler de près ou de loin à un mafieux, et elle lui avait également désobéi. Et elle s’apprêtait à nouveau à le trahir.
À ce souvenir, elle écrasa une larme qui perlait au coin de son œil, geste dérisoire au beau milieu de l’eau qui ruisselait sur son corps. Elle lui rendrait compte directement en temps et en heure, mais elle partirait au moins en l’ayant vengé… non, en lui ayant rendu justice, résolut-elle.
Elle se contenta de se sécher sommairement et d’éponger ses longs cheveux, avant de ressortir drapée dans sa serviette de bain. Le Consigliare était déjà là, à l’attendre dans sa chambre. Ils échangèrent un long regard, questionnant le désir de l’autre. Flavia, submergée par l’intense séduction qui émanait de l’homme, porta sa main à la poitrine, serrant le tissu. Alteri se saisit de cette main et la porta à ses lèvres, avant de les reporter sur celles de la jeune fille. Le baiser, d’abord léger comme une brise, se fit peu à peu dévorant. Une langue s’introduisit dans la bouche de Flavia accompagnée d’un souffle lourd, recherchant la sienne, l’engageant dans une danse enivrante.
La fièvre qui embrasait l’homme se communiqua peu à peu à la jeune fille, qui y répondit avec une ferveur croissante. Par moment, Alteri interrompait le baiser pour observer sa maîtresse, s’assurant qu’elle ne s’abandonnait pas à l’idée d’être avec un autre, puis reprenait de plus belle, dénouant la serviette pour libérer le corps gracile. Il l’entraîna sur le lit et retira sa chemise en arrachant presque les boutons. Flavia le regardait se dénuder, observant pour la première fois son corps aux muscles tressés, parfaitement sculpté en V. Sa carnation mate paraissait se dorer davantage dans la lumière du soleil couchant. Il était d’une beauté mâle et sereine évoquant celle des statues de l’antiquité, bien qu’il débordât en ce moment de désir.
Se penchant sur le visage de la jeune fille, il l’embrassa longuement, puis suivit la ligne du cou pour se diriger ensuite vers les monts des seins. Ses lèvres se portèrent sur les aréoles, les suçant avidement, puis s’attardèrent longuement sur la pointe des mamelons. Si Flavia n’osait pas encore rendre les caresses dont elle était accablée, ses paupières se crispaient sous la sensation, et sa respiration s’affolait devant le plaisir qui déferlait en elle. Les mains de l’homme se glissant sous ses fesses, les soulevèrent et écartèrent les cuisses, pour offrir son intimité à sa vue. Le corps de Flavia semblait à l’orée de l’adolescence, avec ses formes à peine esquissées, et son duvet blond et ras qui couronnait son clitoris.
Malgré cela, il se dégageait d’elle une délicate aura de féminité qui l’attirait irrésistiblement. Au milieu de ce tableau digne des peintures de Botticelli, les lignes blanches des cicatrices juraient horriblement sur la peau laiteuse. Alteri ressentit le besoin de les faire disparaitre, et pour cela les recouvrit de baisers.
À ce contact, la chair de Flavia se couvrit de frissons et afin d’encourager ce mouvement, l’homme concentra son attention sur le bourgeon du clitoris, y passant et y repassant encore une langue affamée. Flavia s’agrippa à son coussin, emportée par l’exquise sensation. Sentant tout le corps de la jeune fille réagir à cette douce stimulation, Alteri ne put résister à l’envie de goûter la rosée de son excitation. Il appliqua un baiser vorace sur la fente, l’entrebâillant sous l’action de sa langue.
Flavia arqua son corps, ouvrant complètement les cuisses, il lui en fallait davantage. Ramenant le visage de l’homme vers elle, elle déposa âprement ses lèvres sur les siennes et s’emparant de la ceinture, elle la dégrafa d’un geste sec. Abaissant vivement le pantalon qui formait le dernier obstacle face à l’envie qui la pressait, elle s’empara de la verge dressée.
Alteri poussa un râle de victoire à cet aveu, elle le désirait, lui, et non un autre. Il pouvait le lire dans le regard mourant qu’elle lui adressait. Il ne comprenait pas pourquoi la posséder l’obnubilait depuis qu’il avait posé les mains sur elle, mais le sentiment de plénitude qu’il ressentait dans ses bras lui donnait maintenant la réponse.
Flavia n’impliquait pas seulement son corps quand elle faisait l’amour, elle se donnait entièrement, et cette sensation était nouvelle pour lui, qui était pourtant blasé des plaisirs de la chair.
La jeune fille ne se livrait pas à une chorégraphie de figures imposées ou à une recherche de la performance, elle n’essayait pas non plus de le satisfaire à tout prix. Elle vivait simplement la communion des sens, sans artifice, avec sincérité et naturel, et cela transcendait toutes ses précédentes expériences.
Cela le frappa quand il entra en elle, en tentant de calquer son ardeur sur la sienne, prenant garde à chacune de ses réactions. Pour une fois, il était uniquement attentif au désir de l’autre, tout comme Flavia l’était au sien. Il éprouva donc une satisfaction intense quand elle agrippa d’un bras ses épaules et de l’autre ses fesses pour l’attirer contre elle. Il la pénétrait maintenant de sa langue et de son sexe, plaquant son large corps sur le sien, comme s’il essayait de se fondre en elle.
De son côté, Flavia l’invitait à intensifier le va-et-vient, se cambrant pour ressentir le membre au plus profond d’elle-même. Ils s’enflammèrent ainsi mutuellement jusqu’à atteindre l’orgasme, presque simultanément.
Un sentiment de culpabilité foudroya presque au même moment la jeune fille, qui se recroquevilla sous l’homme, honteuse de s’être ainsi laissée aller, trahissant le souvenir de son amour passé.
Mais deux bras puissants la firent rouler de côté pour ensuite la serrer tendrement sur la poitrine d’airain, alors que des lèvres pressaient doucement sa tempe.
Ils restèrent là, immobiles, un long moment. Alteri tentait de réconforter Flavia, qu’il sentait désemparée. Mais l’exhalaison tiède qui effleurait son torse réveilla sa concupiscence et ses doigts se crispèrent sur la taille frêle. Malgré le remords qui aiguillonnait la jeune fille, se sentir à nouveau désirée l’émut profondément. À son corps défendant, elle se positionna sur lui, et baisa le contour de la mâchoire carrée, provoquant une étreinte frénétique. Elle se détesta de même quand elle y répondit en se redressant sur lui pour s’appesantir sur le sexe à nouveau gonflé de désir. Mue par un besoin incontrôlable de le sentir en elle, elle le chevaucha passionnément jusqu’à ce qu’il se relève pour s’accoler à sa poitrine.
Grisé par la sensation de la chair qui oignait la sienne d’un voile de sueur, et qui l’enrobait dans un berceau de douceur, il se répandit à nouveau en elle.
La fatigue eut raison d’eux pour quelques heures, mais dès que le soleil darda sur leurs paupières ses premiers rayons, il fut pris d’une nouvelle envie de la posséder et lui fit encore longuement l’amour, unissant inlassablement son corps au sien, perdant le compte d’orgasmes qu’elle lui avait donnés. Enlacé à elle, il ne pouvait se résoudre à la quitter, car il pressentait qu’il n’aurait pas de seconde chance de s’abandonner à cette jouissance de la chair et de l’esprit. S’abaissant jusqu’aux hanches tremblantes de la jeune fille, il baisa le ventre qu’il avait rempli peu à peu du fruit de sa jouissance.
Flavia était ébranlée jusqu’au tréfonds de son être par toutes les douces attentions dont elle avait fait l’objet. Elle ne souhaitait pas non plus qu’il s’en aille car ces moments l’avaient comblée de tout ce qui lui avait manqué ces derniers mois. La séparation serait d’autant plus cruelle.
Bien entendu, elle pouvait accepter ce qu’il lui avait proposé, lui appartenir, noyer sa peine dans l’infinie tendresse dont il l’enveloppait. Mais cela revenait à renier son profond amour pour Leandro et sa volonté de châtier l’effroyable individu qui l’avait supprimé, et qui continuait à répandre le malheur sur tout le pays. Son dessein la dépassait, allant au-delà d’une simple vendetta. C’était la Justice qui l’exigeait, avec toute sa cruelle nécessité.
Sentant que le moment de se séparer approchait inéluctablement, Flavia osa enfin poser la question qui lui brûlait les lèvres.
—Avez-vous pris une part dans la décision d’éliminer Malaspina et Leandro ?
Émergeant enfin de son agréable torpeur, Alteri se tourna vers elle.
— Pourquoi tiens-tu à le savoir ? Tu sais que je suis le conseiller du Boss et tu dois te douter qu’il me consulte toujours avant de décider quoi que ce soit ?
À cette mention, Flavia sentit son cœur se serrer douloureusement. Même si c’était l’évidence même, elle ne pouvait croire que l’homme qui l’entourait de son affection à cet instant pouvait être responsable de sa souffrance. Alteri perçut cette déception et éprouva le besoin irrépressible de justifier.
— Si tu veux tout savoir, je n’étais pas personnellement favorable à cette élimination. Mais Malaspina jugulait tellement le trafic de drogue que cela laissait trop de place aux mafias concurrentes, qui gagnaient sans cesse du terrain. Et ce que ne tolère pas le Boss, c’est que son autorité soit disputée.
De plus, je pense qu’il a pris ombrage de la formidable réputation qui auréolait Malaspina, bien en dehors de Naples. Il a un ego considérable, vois-tu, l’image d’un capo si respecté, admiré même dans toute la profession, presque omnipotent, avait fini par ternir la sienne. Je l’ai rencontré une fois, sans qu’il sache qui j’étais, et j’avoue avoir été moi-même impressionné par sa personne. Il était l’exact opposé de ce qu’est le Boss, aussi extravagant qu’il est discret, aussi juste et pondéré que le Boss est sadique.
Flavia baissa les yeux à ses mots, prise d’une subite amertume. Le mafieux saisit ce mouvement et en devina la cause.
—Est-ce que c’est lui qui t’a lacéré le corps de la sorte ? s’enquit-il soudainement.
—Je lui avais désobéi… murmura-t-elle dans un souffle, après un long moment de silence. Je ne lui en veux pas, il était comme ça, ajouta-t-elle immédiatement en voyant les sourcils de l’homme se froncer.
— Il avait lui aussi une face sombre, je suppose que c’est la règle dans notre milieu, mais je ne vois rien qui puisse justifier une telle barbarie, répliqua-t-il en lui prenant une nouvelle fois les lèvres.
— Vous n’avez jamais ordonné de torturer quelqu’un ? Est-ce que cela ne revient pas au même que le faire soi-même ? répartit-elle, rompant le baiser.
— Tu le défends malgré tout. Tu as dû profondément l’aimer, j’espère qu’il a apprécié cela à sa juste valeur, déclara-t-il gravement.
— Je ne sais pas… Je ne crois pas, il m’a juste prise comme il l’a fait pour beaucoup d’autres. J’aurais voulu toucher son cœur, mais c’était impossible, il était inatteignable.
Alors qu’elle disait cela, elle pensa : « Celui qu’il aimait, c’était Leandro, c’est sûr, même si je n’ai jamais vraiment su de quelle façon ».
— Mais il m’a sauvé, et je lui dois la vie. Il m’a épargnée parce que j’étais une innocente à ses yeux, il me l’a dit, affirma-t-elle avec ferveur.
— Je doute pourtant qu’il n’ait rien ressenti pour toi.
—Pourquoi dites-vous cela? Il a eu des dizaines, voire peut-être des centaines de femmes, j’en ai vu certaines, elles étaient superbes, alors que moi…
—Tu es peut-être différente, mais ça veut aussi dire que tu as quelque chose qu’elles n’ont pas.
—De quoi parlez-vous ? demanda Flavia, sincèrement étonnée par les dires de l’homme.
— Tu portes une certaine forme de pureté, d’absolu qui assouvit les besoins profonds d’un homme…enfin, c’est difficile à expliquer. Je crois qu’en te mutilant, il a aussi voulu te marquer, pour signifier à tous que tu lui appartenais, pour toujours. Mais c’est vrai que tu es trop innocente pour comprendre ça. En tout cas, si tu je t’avais eue le premier, je ne t’aurais jamais laissée repartir, lui assura-t-il, en l’enveloppant dans un regard impérieux.
Flavia demeura mutique, réfléchissant au sens des paroles d’Alteri, elle était pourtant certaine que Malaspina ne l’avait jamais aimée, mais qu’il avait estimé son courage dans les derniers moments.
— Je te le demande une dernière fois, ne retourne pas chez le Boss. Il te fera endurer des tourments pires que tous ceux que tu as déjà connus. Laisse faire les hommes de Malaspina, ils pourront aussi bien se débrouiller sans toi. Est-ce qu’ils sont au courant de qu’il t’a déjà infligé ? Pourquoi est-ce qu’ils te laissent subir tout cela ?
La voix de l’homme s’amplifiait au fur et à mesure de sa diatribe, se teintant progressivement de colère.
— Je suis assez grande pour décider de ce que je peux faire ou ne pas faire. Ils comptent sur moi et c’est à moi de faire le nécessaire pour qu’ils puissent agir le temps venu. Je vous ai dit que je me moquais de ce qui pouvait m’arriver tant que je parvenais à mes fins, se révolta Flavia, en se détachant du Consigliare.
Celui-ci la dévisagea, mi-navré de se sentir éconduit, mi-impressionné par la détermination dont elle faisait preuve. Sentant qu’il ne pourrait faire plier sa décision, il se résigna, et sans mot dire se rhabilla.
Puis, après avoir embrassé une dernière fois son front, il la quitta.
Annotations