Humiliations
Flavia tenait ses yeux fermement rivés au sol, figée par l’arrivée du Boss. Bien qu’elle se piquât de ne pas craindre ce qui pourrait advenir, sa proximité la glaçait jusqu’au sang. Elle avait l’impression qu’il la poignardait de ses yeux qu’elle devinait assassins derrière son masque. Si elle s’en défendait, le supplice de la précédente soumise du chef de la Fiammata, auquel avait fait allusion Maddalena faisait peser sur son esprit une chape de ténèbres qui la terrifiait malgré elle.
Sans même jeter un regard de son côté, elle savait qu’il se dirigeait vers elle, sa somptueuse maîtresse au bras, et il en émanait une menace diffuse qui se faisait presque palpable au fur et à mesure qu’il approchait.
De loin, elle n’avait pas vu que le Boss, contrairement à son habitude, portait un demi-masque blanc, semblable à un loup qui découvrait des lèvres fines et un menton saillant soigneusement rasé. Ses longs cheveux noirs, ondulaient, libres, sur ses larges épaules et il arborait un costume croisé et une chemise, tous deux noirs, sur lesquels ressortait vivement une cravate blanche.
Flavia n’en avait discerné qu’une large silhouette noire qui s’avançait inexorablement pour la piétiner.
Pour contenir le frisson qui commençait à la parcourir, elle s’attacha à comprendre ce qui se passait autour d’elle afin d’en tirer un maximum de renseignements, qui pourraient peut-être être utiles à Marco, espérait-elle. Des escarpins ou des sandales à talons aiguille ornés de strass dansaient autour de mocassins qu’elle jugea trop grossiers pour appartenir à quelque membre de la Fiammata, se rappelant de leur élégance quand elle les avait observés au penthouse de la Piazza della Consolazione.
Justement, d’élégants derbys et de fins richelieus commençaient à se mêler aux invités déjà présents à la suite du Boss, et une paire de brogues marron la contourna pour se positionner face à elle, ainsi que de splendides sandales à hauts talons dorés et des souliers à double boucle bleu marine.
Le Boss avait dû prendre place face à elle pensa-t-elle, et Alteri n’était pas loin car elle avait aperçu à sa droite ses bottines de chevreau camel. Deux femmes devaient l’entourer, elle en apercevait les chevilles gracieuses, parées de bracelets scintillants, qui se blottissaient entre les mollets musclés que moulait le costume de prix du Consigliare.
À cette vue, elle ressentit une profonde mortification. Le sentiment d’humiliation l’avait épargnée jusqu’à maintenant mais il venait faire sentir son dard venimeux en ce moment.
Pourquoi son esprit ne se bronzait pas contre ces atteintes ? Qui étaient toutes ces personnes pour elle et que lui importait d’être ainsi avilie face à elles ?
Non, c’était autre chose qui l’aiguillonnait sans qu’elle sache pourquoi, c’était l’amère déception de ne rien valoir qu’elle avait refoulée, après que les deux hommes qu’elle aimait l’aient abandonnée l’un pour l’autre. L’implacable sentiment de s’annuler entre leurs deux corps qui se recherchaient mutuellement à travers elle.
Une larme vint s’écraser sur la laine moelleuse du tapis et Flavia inclina davantage la tête pour la cacher, contractant ses muscles de toutes ses forces pour réprimer le sanglot qui cherchait son chemin de sa poitrine à sa gorge.
Le Boss avait-il compris ce qui se passait dans sa tête et voulait-il enfoncer le clou ?
Toujours est-il qu’elle entendit sa voix grave s’élever, froide et tranchante comme une lame.
— Mon cher Volodia, j’ai pris l’initiative de commander pour toi ces excellents cigares, car je sais que tu les aimes.
Tout en disant cela, il saisit une sobre boîte de bois brut, disposée à ses côtés sur un guéridon en terrazzo serti de cuivre, et la tendit à un homme au visage anguleux, à la peau comme piquée de marques anciennes de vérole. Le col largement ouvert de sa chemise de satin faisait apparaitre une chaîne tatouée faite de têtes de mort qui formait une arche autour d’une réplique de la cathédrale rouge Saint Basile avec ses innombrables bulbes.
— Voilà les Cohiba Lanceros, je sais que pour vous autres russes, seuls les cubains sont valables… Pour ma part je préfère les Fuente Opus X Viento d’Amor, mais je ne te ferai pas l’affront de t’en proposer car ils viennent de République dominicaine.
Alteri détourna le regard, se demandant si le Boss essayait délibérément de se moquer des goûts du Russe en lui opposant les siens, aussi raffinés que les cigares qu’il avait choisis étaient exagérément couteux, même face à un Cohiba.
En effet, si le cigare choisi par le vor était sans conteste le plus connu car il était utilisé comme gage de respect par le gouvernement cubain pour ses invités de marque, celui pour lequel avait opté le Boss était le plus rare, avec son tabac issu d’une culture d’exception et reconnu par les amateurs à travers le monde, dont les plus illustres.
C’était jouer avec le feu, pensa le Consigliare, car l’humilier publiquement serait forcément contre-productif pour leurs relations, voire carrément catastrophique s’il comprenait les manœuvres sournoises du Boss.
— Qu’est-ce que tu veux boire avec ? demanda-t-il pour la forme, car sans attendre la réponse du Russe, il poursuivit.
— Je te recommande fortement l’Amarone della Valpolicella, un vin paillé de Vénétie. Il est fabriqué avec des raisins qu’on laisse se dessécher sur pied pendant des mois, ce qui lui donne un fort taux d’alcool, mais son goût corsé et dense et sa texture onctueuse présentent des arômes de fruits rouges et de chocolat qui s’accordent très bien avec les cigares que nous avons tous deux choisis. Tu me permets ?
Sa déclamation semblait affable, mais il claqua autoritairement des doigts, indifférent à l’opinion du vor, pour que leur soient apportées des coupes de ce breuvage.
De son côté, Alteri s’abstint d’intervenir mais l’arrogance de son supérieur le consternait, il la considérait comme un manque d’intelligence et de finesse. Cependant, il lui avait toujours vu en faire autant avec ses interlocuteurs et personne ne viendrait le contredire ouvertement tant qu’il occupait son éminente position, même des caïds russes.
Sans mot dire, impavide, le vor prit le cigare et le verre. Conformément aux habitudes étranges des grands fumeurs de cigare, il se préparait à tremper la coiffe dans l’Amarone, quand le Boss l’arrêta d’un geste.
— J’ai une meilleure idée pour donner un parfum incomparable à ce cigare dont tu dois connaître par cœur les saveurs.
Il s’interrompit alors pour se retourner vers son conseiller.
— Brenno, tu m’as dit que ma petite chienne était délicieuse, n’est-ce pas ?
Alteri se crispa à cette question, arrêtant les caresses dont l’accablaient ses deux compagnes d’un soir, redoutant les suites qu’entraînerait sa réponse.
— Oui, certainement, déclara-t-il, perplexe.
— Je suppose donc que son jus est également exquis…Voyons voir s’il amplifiera notre plaisir de fumer.
Sur ces mots, il s’approcha de Flavia et celle-ci sentit subitement des doigts fouiller brutalement son intimité.
— Tu es sèche alors que tu devrais mouiller, comme la chienne que tu es, gronda-t-il, mécontent.
Que s’imaginait-il, pensa Flavia, que ces circonstances pouvaient l’exciter ? S’attendait-il à ce qu’elle puisse ressentir du plaisir, humiliée comme elle l’était ?
Les doigts reprirent bientôt leur rude introspection alors qu’une main s’abattait brusquement sur ses fesses.
Sous la violence du coup, Flavia fut près d’être projetée vers l’avant mais elle se retint de justesse en s’agrippant aux brins du tapis. Elle serra les dents pour ne pas gémir sous la brûlure de sa peau endolorie. Mais la main continuait à asséner régulièrement sa punition, s’arrêtant de temps à autre pour caresser la zone empourprée par ce martèlement incessant.
Les yeux de la jeune fille s’embuèrent, cédant à la souffrance qui commençait à la submerger. Mais elle fit face et elle se reprit brièvement en invoquant dans son esprit la détermination sans faille qu’elle avait vue en Marco. Ceci dit… curieusement, une autre sensation se faisait jour, écho lointain du passé. Elle commençait à être grisée par la succession des morsures de la main qui l’embrasait, et du doux contact de la large paume qui repassait sur les marques qu’elle y avait laissées.
Elle constata avec rage que le va-et-vient qui malmenait sa vulve était peu à peu facilité par le fruit du plaisir qui montait dans son bas-ventre et en détesta ce corps traître qui se soumettait à l’intrusion.
Sentant la fente de Flavia s’humecter progressivement sous ses doigts indélicats, le Boss poussa un discret feulement de satisfaction. Il les retira de l’antre désormais accueillante et les présenta devant le visage de Flavia.
— Goûte-toi, petite chienne, et décris-moi la saveur de ton jus. Puis, tu me nettoieras consciencieusement les doigts, lui intima-t-il en décomposant les mots.
Un silence s’installa autour de la jeune fille, chacun se demandant si elle s’exécuterait avec docilité.
Pendant ce temps, Flavia fixait les doigts luisants, reliés par des filets translucides, se répétant l’ordre qui venait de lui être donné, stupéfaite. Elle ne pouvait se défiler, le calice devait être bu jusqu’à la lie, résolut-elle. Elle y porta donc les lèvres, timidement d’abord, puis, réalisant que ce n’était pas si désagréable qu’elle l’appréhendait, sa langue s’affaira bientôt à en lécher minutieusement chaque parcelle.
Mais la main se retira sèchement.
— Alors ? gronda l’homme, peut-être exaspéré par la stimulation qu’avait provoquée la bouche gourmande de son esclave.
— Je dirais que c’est très doux, presque sucré… balbutia-t-elle, très gênée de ses propres paroles.
— Très bien, répondit simplement le Boss.
Sur ce, elle sentit quelque chose s’insinuer en elle, restant à l’orée de sa fente et en raclant les bords.
Et il porta le cigare à ses lèvres, dont une serveuse s’empressa d’allumer le pied. Il tira une profonde bouffée, alors que l’assistance le dévisageait, dans l’attente de son verdict.
— Tu as dit vrai, petite chienne, tu es délicieusement sucrée, et ta saveur met parfaitement en valeur la richesse aromatique unique de mon Opus X, avoua-t-il, suscitant l’intérêt général.
Une vague de murmures se fit entendre, même chez les prostituées, médusées de ce spectacle inédit.
— J’aimerais bien gouter, moi aussi, sollicita une voix empreinte d’un fort accent guttural.
— Mais bien sûr, cher Volodia, ce soir ma chienne est à la disposition de tout le monde, vous pouvez l’user comme bon vous semble.
Et commença dans les entrailles de la jeune fille un balai d’incursions incessantes, chacun voulant essayer cette manière originale de déguster son figuredo ou son parejo. Elle se mordit les lèvres car elle s’asséchait progressivement, et les mafieux inséraient leur vitole de plus en plus loin en elle pour rechercher le liquide sirupeux qui sublimerait le fumet du tabac.
Un temps infini parut s’écouler avant que tous les mafieux de l’assistance aient pris leur part de son intimité, mais elle ne put s’en réjouir car le contact rugueux du criollo de la cape des cigares l’avait passablement irritée. Certains hommes contemplaient, émoustillés, la teinte rose soutenue dont s’était parée la fente de la jeune fille, alors que leurs escortes se pendaient à leurs bras pour ramener l’attention vers elles.
La discussion allait désormais bon train entre le vor et le Boss et Flavia tâcha de se concentrer sur elle pour essayer d’en tirer quelque chose. Entre deux banalités, il était question de la prostitution dans le sud, les Pouilles, notamment le Basilicate, ainsi que la Calabre, où ils n’arrivaient pas à placer leurs filles.
Le Russe se demandait quel genre de prostituées était commercialisé là-bas, quelles filières y avaient droit de cité, et le Boss lui promit de s’en enquérir auprès de ses alliés calabrais, sans en penser un mot. Cela l’arrangeait au fond, que ses partenaires mais déjà rivaux n’étendent pas plus leur zone d’activité.
Pendant qu’ils conversaient, la réception avait évolué progressivement pour ne plus ressembler qu’à un immense lupanar. Les hommes étaient vautrés sur les canapés et les femmes, lovées entre leurs cuisses, à quatre pattes, ou à cheval sur eux leur prodiguaient de leurs langues et de leurs corps experts tous les soins nécessaires pour les emmener vers la jouissance. Leurs râles entremêlés couvraient désormais les notes de basse et de piano de la mélodie ambiante, même les plus appuyées. Ainsi, tous respiraient lourdement, occupés uniquement à donner et recevoir du plaisir, et parfois des gémissements en émergeaient, provoqués par une étreinte trop brutale, mais également par le sifflement du fouet, qui était administré par quelques sadiques pour satisfaire leur cruauté.
Perturbée par l’atmosphère saturée d’effluves de sueur, de parfums et de fluides de cette orgie aux proportions babyloniennes, Flavia ne sentait presque pas les contractures de ses muscles mis à rude épreuve. La pression exercée sur les points d’appui, paumes et genoux, ne lui causait plus de souffrance, ces parties étant, heureusement pour elle, quasiment anesthésiées. Par contre, elle redoutait que survienne quelque faiblesse car ses épaules étaient agitées par moments de légers spasmes qu’elle ne parvenait pas à contrôler. A son corps défendant, son esprit était emporté dans ce fleuve de volupté et si la chair de poule avait entièrement dressé le duvet de sa peau, ce n’était pas à cause de la fraicheur ambiante.
Au milieu de ce concert enivrant, elle distingua néanmoins un souffle rauque qu’elle avait déjà entendu, qui la tira de sa torpeur lascive.
Avant même de réaliser ce qu’elle faisait, elle tourna la tête du côté d’où provenait ce son familier, pour découvrir Alteri, une femme entre ses jambes écartées, absorbée dans une langoureuse fellation, tandis qu’une autre couvrait de baisers son splendide torse mat et sculpté. Mais il semblait prendre très peu garde à ces deux belles et à leurs agissements, les yeux rivés sur Flavia. Qu’il était magnifique ainsi, abandonné et pourtant totalement maître de lui-même, cette expression indéfinissable sur le visage ! La jeune fille, troublée par cette attention, détourna brusquement le regard pour le reporter à terre, alors que le sang rubéfiait ses joues.
Cependant, le Boss avait surpris ce mouvement, et un rictus cruel déforma ses fines lèvres, alors que Maddalena ondulait gracieusement sur son sexe turgescent.
— Chienne — et il appuya lourdement sur ce nom —on t’a donné la consigne de ne pas bouger, il me semble ? Est-ce qu’une table bouge ?
Flavia se tut sous l’accusation que contenait implicitement ce rappel, elle avait fauté et elle le savait. Rien ne servait de se récriminer, c’était pure perte et cela aggraverait son cas.
— Quelle pourrait être la sanction pour cet inqualifiable manquement, mon cher Volodia ? demanda-t-il d’un air dégagé.
À cette question, le Russe réprima le traitement cruel qui lui venait à l’esprit, car il avait été exaspéré par la morgue du Boss, et il avait fort envie de le contredire. Il opta donc pour une solution médiane, la moins épouvantable qui lui vint à l’esprit, après avoir réfléchi un moment.
— Ta petite chienne nous a aidés à améliorer la saveur de notre cigare, je crois maintenant qu’elle peut nous servir à l’éteindre. Elle pourrait aussi éteindre les désirs de mes hommes.
La suggestion du vor fit déferler à travers le corps de Flavia un tremblement qu’elle parvint difficilement à contenir.
Un sourire mauvais détendit alors les lèvres du Boss, qui avait perçu ce réflexe de terreur.
— Fort bien, je te reconnais bien là, toi et ton inégalable imagination, affirma-t-il, très satisfait par la sanction. Le Russe lui rendit son sourire avec froideur, mais en son for intérieur, il jubilait d’avoir dupé son insolent interlocuteur, et se rejeta en arrière dans le canapé en prenant une bouffée.
Flavia planta ses ongles dans les franges du tapis, s’attendant à une vague de douleur qui la frapperait inévitablement. Et celle-ci ne fut pas longue à venir, le Boss étendant sa main munie de l’Opus X vers la fente de Flavia et y écrasant impitoyablement le purin incandescent qui subsistait.
La brûlure foudroya la jeune fille, qui se mordit les lèvres jusqu’au sang pour rester silencieuse et ne pas donner à son tortionnaire le plaisir de percevoir toute l’étendue de sa souffrance.
— Elle est à qui le veut, conclut le Boss en ricanant, mais je ne sais pas s’il est de tes hommes qui ont envie de baiser une table basse.
À ces paroles, Alteri fronça imperceptiblement les sourcils, pris d’une soudaine envie de massacrer cette épouvantable ordure, mais si son poing se serra convulsivement, il ne fit pas un geste pour défendre Flavia, trop conscient de son propre intérêt dans cette affaire. La vengeance était un plat qui se mange froid, pensa-t-il, furibond mais calculateur comme toujours.
Le vor leva alors sa main d’un geste négligent et une main saisit sans aménité la natte de Flavia, alors qu’une chaussure lui écartait impitoyablement les genoux. Deux tintements de boucles de ceintures claquèrent et peu après, un sexe venait se placer face à Flavia et un autre se positionnait entre ses fesses.
Presque simultanément, deux membres lui emplirent la bouche et sa vulve, forçant le passage, et la pilonnèrent sauvagement. Le gland de l’homme vint taper contre la glotte, provoquant un mouvement de rejet dans la gorge qui se contracta, mais il ne s’en émut pas, écartant de plus belle les mâchoires pour favoriser le va-et-vient. Aveuglée par les perles qui suintaient de ses paupières, secouée par des hanches qui percutaient les siennes à un rythme soutenu, Flavia entraperçut avec effroi d’autres paires de mocassins derrière ceux de l’homme qui la malmenait, semblant alignés en file indienne.
Marco, au secours ! pria en silence son esprit désespéré, sachant que sa supplication resterait vaine.
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