Chapitre 12
La sonnette de l'entrée retentit dans l'appartement, faisant sursauter Ace. Il croisa son regard dans le miroir ; il arrivait finalement à Mr. Parfait d'être à l'heure. Il camoufla ses pensées secrètes derrière son éternel masque indéchiffrable et s'empressa de s'habiller : survêtement et débardeur blanc. Il sortit de la pièce en se recoiffant sommairement avec ses mains et se précipita vers la porte.
— Tu as de la chance, j'allais sonner une seconde fois !
— Bonjour à toi aussi.
— Salut, souffla Tyler dans un sourire. Tu as vu, je suis à l'heure.
L'ombre d'un rictus se profila sur les lèvres d'Ace, ce qui ne manqua pas d'échapper à Tyler.
Le jeune homme portait une tenue décontractée, jean noir et t-shirt blanc. Ace était surpris, c'était la première fois qu'il le voyait sans ses chemises et pantalons spéciaux « gosse de riches ». Mais la montre à son poignet et la marque des habits le rassura : Tyler restait toujours le même. Un vrai Mr. Parait, avec ses cheveux blonds qui semblaient incroyablement doux au toucher, ses yeux cobalt et son sourire de petit con.
— Tu comptes me faire entrer ou tu préfères continuer à me regarder comme tu le fais ?
Ace serra des dents pour éviter de trahir son embarras. Il fit un geste de la tête et se décala. Lorsque Tyler passa à côté de lui, l'effluve de son parfum parvint jusqu'à Ace. Il le trouva agréable.
— C'est donc là que tu vis, lança Tyler en regardant autour de lui. J'aime bien.
Ace haussa les épaules. Son compliment sonnait creux et il savait que Tyler ne le pensait pas réellement. À quoi servait de donner son avis toujours bienveillant sur l'endroit où habitaient les autres ? Les trois-quarts du temps, on mentait.
— Je peux te faire visiter si tu veux, proposa tout de même Ace. Même s'il n'y a pas grand-chose à voir.
Tyler hocha la tête. Il déposa son sac à l'entrée et suivit son hôte, qui l'emmena dans la cuisine. Puis, il lui désigna du doigt la porte de la salle de bains et finit la visite par sa chambre.
Tyler entra, et se tut pendant quelques secondes.
— Alors c'est ici qu'Ace Cruz passe le plus clair de son temps.
Sa voix était à peine audible. Ace ne sut que répondre.
— Elle te représente bien.
Il continuait de regarder autour de lui et s'approcha du lit.
— C'est-à-dire ?
— Il n'y a rien de superflu. Pas de bibelots, pas d'éléments personnels.
Il se tourna pour regarder Ace, qui était un peu perdu ; où voulait-il en venir ?
— J'aime beaucoup le tableau, ajouta Tyler.
Ace leva les yeux sur les toiles au-dessus de son lit. Le tableau en question était en réalité un assemblage de plusieurs de diverses tailles, représentant un loup noir. L'arrière-plan était une chaîne de montagne dont les sommets étaient couverts de neige, ainsi qu'un ciel couvert. Le tout était en nuance de gris.
— Ça te correspond bien, le loup solitaire façe à l'immensité de la nature sauvage, reprit Tyler en se postant face au lit pour mieux l'observer.
Ace, posté derrière Tyler, avait les yeux rivés sur lui. Son t-shirt laissait deviner une fine musculature. Ses yeux remontèrent sur son cou. Il voulut s'approcher pour le toucher.
— Je suis déçu, il n'y a vraiment rien qui laisse entrevoir ton jardin secret. Mais ce n'est pas pour autant qu'il n'y en a pas.
Il sursauta presque lorsque le blondinet se retourna et cligna plusieurs fois des yeux. La conversation prenait une tournure qui ne lui plaisait guère.
— Bon, si on allait travailler un peu ? bougonna-t-il.
Il sortit de la chambre, obligeant Tyler à faire de même. Lorsqu'ils repassèrent dans le salon, le blond aperçut une porte baillée.
— Il y a quoi dans cette pièce ? demanda-t-il, curieux.
Ace se retourna légèrement.
— L'atelier de mon ami. Il est en études d'art.
Le petit « ah » que lâcha Tyler le fit se tourner entièrement. Son camarade esquissa un léger un sourire avant de détourner les yeux.
— C'est mon meilleur ami. On se connaît depuis l'enfance.
Aussitôt sortie de sa bouche, Ace se demanda pourquoi il avait ressenti le besoin de donner une explication.
Une lueur de malice brilla dans les yeux de Tyler.
— Ne te sens pas obligé de te justifier, je n'ai rien dit.
— Je t'explique, c'est tout ! s'énerva quelque peu Ace. Je croyais que tu voulais apprendre à me connaître.
Le jeune homme se mordit la lèvre, conscient qu'il en avait trop dit.
— Je le souhaite toujours. Tu as enfin décidé de t'ouvrir à moi ?
— Allons travailler.
Il n'avait pas réfléchi avant de parler. C'était comme s'il s'était obligé à expliquer. Il avait cru que Tyler avait eu besoin d'être rassuré. Sur quoi ? Pourquoi ? Il n'en savait rien. Une sensation étrange envahit son estomac. Peut-être n'aurait-il pas dû l'inviter.
Les deux compères se penchèrent finalement sur leur sujet de mémoire. Ils avaient encore beaucoup de travail à abattre : il fallait continuer à faire des recherches, tant sur Internet que dans les livres que Ms. Pierce leur avait conseillé.
Ils travaillèrent une bonne partie de l'après-midi, ils trièrent, classèrent et prirent des notes. Pour l'instant, aucune once de problématique ne leur venait en tête mais cela ne les inquiétait pas outre mesure : Ms. Pierce leur avait signalé qu'elle allait naître au gré de leurs recherches. Il ne fallait pas travailler à l'envers.
Tyler s'étira pour soulager ses membres fourbus. Un simple regard suffit pour que les deux hommes décidèrent qu'il était temps de s'arrêter. Ace proposa une bière, qu'il accepta.
— On a bien bossé aujourd'hui, soupira-t-il en se laissant aller dans le canapé, la tête contre le dossier.
Son genou heurta celui d'Ace, qui se crispa par réflexe. Ce dernier jeta un coup d'œil au blond, qui ne sembla pas avoir remarqué.
— Tu sais, j'ai réfléchi, commença-t-il. Je pense que je pourrais te pardonner.
Il tourna la tête vers Ace et l'Espagnol crut déceler une lueur de malice dans ses yeux. Néanmoins, il fut soulagé de ces paroles, qui délestèrent une partie de sa culpabilité.
— Merci. Je ne voulais vraiment pas te blesser, j'étais juste... embarrassé par la situation et je n'ai pas mesuré la portée de mes mots.
— À une condition.
Ace leva un sourcil. Il ne venait tout de même pas de se faire piéger ?
— Je veux qu'on devienne amis.
Ace ouvrit la bouche et la referma aussitôt. Il ne savait plus quoi penser : ne l'étaient-ils pas déjà ? Tyler avait fait tout son cinéma dès leur première rencontre pour qu'ils s'entendent.
— Je croyais que tu nous considérais comme tel depuis le début ?
— Nous étions camarades, jusqu'à présent. Ici, on passe un cap.
Le sourire de Tyler n'avait pas quitté ses lèvres.
— Je ne pense pas être en position de refuser, de toute manière. Alors, soit, j'accepte.
— Je ne veux pas te forcer la main, si tu ne veux pas, alors ainsi soit-il. Mais tu ne seras pas pardonné.
— Tu te moques de moi ? s'écria Ace. Laisse tomber, j'accepte parce que je le veux.
Tyler le menait en bateau et il prenait le gouvernail les yeux fermés. Le blond leva sa bière et Ace vint l'entrechoquer avec la sienne, scellant leurs paroles. Son nouvel ami but une gorgée avant de se laisser aller et de fermer les yeux. Il ne cessait de bouger sa jambe, qui entrait en contact avec son genou à chaque geste. Ace restait immobile, ne sachant quelle attitude adoptée. Il ne savait même pas si Tyler en avait conscience, alors que lui pouvait sentir la matière du jean frotter contre sa peau. C'était comme si ses sens étaient exacerbés par sa présence.
— Alors comme ça, tu vis avec ton meilleur ami ? lança Tyler après quelque temps. Ça doit être génial.
Ace essaya de se concentrer sur ses paroles et se força à regarder Tyler pour ne plus penser à leurs corps qui se touchaient.
— Oui, il s'appelle Andreï. Je le connais depuis que je suis gamin, on a fait les quatre cents coups ensemble.
Ace esquissa un sourire.
— Il fait des études d'art ?
— C'est ça. Il veut devenir peintre. (Ace laissa échapper un petit rire) si tu le croisais dans la rue, tu ne soupçonnerais jamais qu'il veut faire de la peinture son métier.
Tyler leva un sourcil interrogateur.
— Est-ce que tu me vois danseur de ballet ?
Tyler gloussa.
— De vrais durs à cuire, mais avec un cœur sensible à l'intérieur, se moqua-t-il gentiment.
Le regard qu'il lui adressa le fit détourner la tête. Ace se sentait bizarre, ce n'était pas comme lorsqu'il parlait à Abby ou Matthew. Avec Tyler, il se sentait... excité, ne sachant jamais à quoi il devait s'attendre avec cet esprit tordu.
Il se tut et joua du poignet pour faire tourner le liquide ambré au fond de sa bouteille.
— Ce que tu m'as dit la dernière fois, quand on était au bar, reprit Tyler, tu le pensais vraiment ?
L'inflexion hésitante dans sa voix serra le cœur d'Ace. Tyler n'affichait rien mais s'il revenait sur ce sujet, c'était qu'il en avait besoin.
— Non, pas du tout ! s'écria Ace. Je te l'ai dit, mes paroles ont dépassé ma pensée. Je me sentais observé et j'ai mal réagi.
Le sourire revient sur le visage pâle du blond, bien qu'une lueur de tristesse dansait au fond de ses yeux.
— Ce que tu fais de ta vie, ça ne me regarde pas. Moi, je prends du plaisir avec les femmes et si toi, c'est avec les hommes, eh bien c'est comme ça.
— ...ou les femmes.
— Ou les femmes.
Ace finit sa bière. En vérité, il ne comprenait pas vraiment comment ça fonctionnait. Était-il possible d'aimer les deux sexes en même temps ? Il fallait bien choisir, à un moment ou à un autre. Comment Tyler pouvait faire pour... coucher avec un homme ? Il chassa immédiatement cette pensée de sa tête, préférant ne pas savoir comment ça se déroulait. Tyler se débrouillait comme il voulait.
— Il se fait tard, je vais rentrer chez moi, s'exclama le blond en se redressant.
— D'accord, je te raccompagne.
Ils rangèrent leurs affaires et Ace ouvrit la porte.
— Merci de m'avoir invité chez toi.
— Merci de m'avoir pardonné.
Tyler sourit. Il se mordit la lèvre, semblait hésiter à ajouter quelque chose.
— Je...
Ace attendit la fin de la phrase, pendu à ses lèvres.
— J'y vais, salut, souffla-t-il.
Il disparut dans l'escalier. Ce n'est qu'une fois la porte refermée qu'Ace se rendit compte qu'il avait cessé de respirer. Il tira sur le col de son t-shirt et fronça les sourcils. Il faisait bien trop chaud dans l'appartement. Il finit par enlever son débardeur mais la température ne baissait pas. Il s’aspergea le visage d'eau fraîche. Il ne comprenait pas ce qu'il lui arrivait. Avait-il de la fièvre ? Il avait dû attraper un virus à la fac.
Il se repassa le film de l'après-midi avec Tyler. Il ne s'était jamais autant senti embarrassé par la présence de quelqu'un. Certes, il n'était pas vraiment à l'aise avec qui que ce soit, mais d’habitude, il arrivait à se contrôler et son mal-être se traduisait par un détachement sommaire. Avec Tyler, ça a été différent. Il avait eu l'impression d'être sur des charbons ardents, le moindre faux pas aurait été fatal. Et en y repensant, il ne savait pas si cela avait été désagréable.
Il avait découvert une nouvelle facette de Mr. Parfait. Il fallait bien avouer qu'elle n'était pas si nulle que ça ; quand Tyler se départait son flegme et de ses travers de clown, il devenait quelqu'un de bosseur, mais aussi appréciable et aimable. Finalement, peut-être qu'être ami avec lui n'était pas quelque chose d'inconcevable.
Quand Ace s'apprêta à débarrasser la bouteille de Tyler, une réminiscence de son parfum parvint jusqu'à lui. Il inspira, et des picotements naquirent au creux de son estomac.
Décidément, il devait couver quelque chose, il allait devoir se ménager un peu.
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