Chapitre 38
Plusieurs jours étaient passés depuis qu'Ace et Tyler s'étaient unis. Depuis, leur relation s'était intensifiée un peu plus bien que l'Espagnol n'aurait pas cru cela possible : il passait son temps les yeux rivés sur l'écran de son téléphone, à s'échanger un nombre incalculable de messages avec son compagnon. La grande majorité n'évoquait pas les cours ou le projet à deux.
Bien entendu, ses amis remarquèrent ce changement et il passa à la moulinette spéciale Abby. Ace n'était pas rentré dans les détails, il n'en avait pas eu besoin pour que la jeune femme et Matthew comprennent aisément. Ils le félicitèrent de ce cap franchi, même s'il n'y voyait rien de spécial. Ni lui ni Tyler avait perdu sa virginité.
Ils sortaient du cours de droit public, la tête en compote et une envie irrépressible de dormir – la faute à la matière particulièrement ennuyante et incompréhensible, lorsqu'Ace reçut un message de Tyler lui demandant de se retourner.
Le blond était appuyé contre le mur du couloir, en pleine conversation avec un type qu'Ace ne connaissait pas ainsi que de Morgan. Mais il comprit qu'il n'écoutait que d'une oreille lorsqu'il croisa son regard et lui fit un clin d'œil. Il l'incita à venir d'un hochement de tête. Abby aperçut au même moment son copain et les rejoignit.
Alors que ses pas le rapprochaient de Tyler, il se mit soudain à douter. Comment devait-il se comporter ? L'homme qui était avec lui devait être un camarade de classe, il ne le connaissait pas, d'autant plus qu'ils se trouvaient à la fac. Mais il ne voulait pas le blesser en le considérant comme un simple ami.
Il n'eut pas le temps de se poser plus de questions ; faisant fi de toutes les préoccupations du brun, il l'embrassa d'un baiser chaste.
— Les amis, je vous présente Daniel.
Tout le monde le salua avant que la conversation ne se lance sur la difficulté des cours du second semestre. Ace respira à nouveau. Il avait encore beaucoup de mal avec les démonstrations publiques, il le savait, et il remerciait Tyler de prendre les initiatives. Non pas qu'il redoutait les réactions de ses pairs, il saurait bien les faire taire, mais parce qu'il était embarrassé de sa situation. Voilà que celui qui était si fermé et qui avait eu des propos déplacés fréquentait un garçon, maintenant. La situation était cocasse.
Profitant que la discussion allait bon train, Tyler se pencha vers lui :
— Il faudrait qu'on se voie pour travailler notre oral pour le Mémoire. Mais en dehors de chez moi.
Ace se mordit la lèvre. Ils avaient assez usé de ce prétexte pour se voir, et avaient tout fait, sauf étudier.
— Tu finis tôt aujourd'hui ?
— Vers quatre heures.
— Je te propose le café de Maria après les cours.
— Pas de souci.
Il se souvint de la dernière fois qu'il y avait mis les pieds. Ça c'était mal terminé, mais aujourd'hui, tout avait changé. Tout compte fait Maria avait raison et il semblait que le bar eût des propriétés magiques. Tous les garçons qui l'avaient fréquenté avec Tyler n'avaient-ils pas eu une histoire avec lui ?
XXX
Ace venait de quitter ses amis lorsqu'une voix féminine le héla. Il se retourna pour apercevoir Vanessa descendre l'escalier. Elle lui fit un geste et il s'arrêta. Il se sentit soudain coupable d'avoir complètement oublié son existence. Chose plus étrange encore, la jeune femme ne s'était pas manifestée depuis la dernière fois qu'ils avaient partagé une chambre. Cela remontait bien avant les vacances d'hiver.
— Dis donc, tu es pressé aujourd'hui, s'exclama-t-elle lorsqu'elle arriva à sa hauteur.
Ses joues étaient rougies par le froid mordant de janvier. Elle portait un cache-oreilles et des mitaines rouges. Elle avait enfilé un épais col roulé en laine et un long manteau.
— Désolé, je ne t'avais pas vue.
Elle fronça les sourcils avant de lui sourire.
— Tu vas où ?
— Rejoindre un ami pour un projet de classe, lui répondit-il, poliment.
Elle hocha la tête et son regard se perdit derrière Ace.
— Tu voulais me dire quelque chose ?
— Pourquoi tu ne m'as pas recontactée ?
Ace ouvrit la bouche, surpris.
— Je... je ne sais pas. Tu ne l'as pas fait non plus, alors je me suis dit que ce n'était pas la peine. Et puis, la dernière fois ne s'était pas super bien passé, je t'ai planté.
— Est-ce que tu as rencontré quelqu'un ?
Dépourvu, Ace resta silencieux. Vanessa lut la réponse sur son visage. Elle lui sourit pauvrement.
— Tu sais, je t'ai vu avec ce garçon, Tyler. En même temps, lui et toi ne passez pas inaperçu, les deux plus beaux hommes de la fac.
Son rire résonna dans l'air frais de la fin de journée.
— Et puis Daniel le connaît et il m'a dit pour... plus tôt.
Soudain, Ace comprit. Il déglutit, cherchant ses mots.
— Je savais que Tyler aimait les hommes aussi, mais je ne pensais pas que... enfin, j'ai été surprise que toi aussi. Tu n'en as pas l'air du tout, ajouta-t-elle dans un sourire figé.
— Ça ne se lit pas sur mon visage, oui, rétorqua-t-il d'une voix sèche.
Vanessa cilla.
— Désolée, je ne voulais pas...
Ace balaya ses excuses de la main.
— On n'a pas eu l'occasion d'en parler, Vanessa, et je t'avoue que ça m'est tombé dessus sans vraiment que je m'y attende. Et comme notre relation était ce qu'elle était, je n'ai pas trouvé nécessaire de t'en parler.
Elle hocha la tête, tritura ses gants.
Je comprends, répondit-elle d'une petite voix.
La fragilité de la jeune femme le frappa de plein fouet. Il savait qu'elle était attachée à lui et il avait répondu à ses attentes mais il n'avait pas su lire en elle jusqu'au bout, peut-être parce qu'au fond, il ne s'intéressait pas à elle comme il l'aurait dû. Il l'avait fréquenté plusieurs mois, connaissait son corps et ses envies, mais ignorait tout de sa vie, de ses goûts, de tout ce qui faisait d'elle une personne à part entière. Elle lui avait fait part plusieurs fois de ce qu'elle ressentait, certes maladroitement, mais elle en avait eu le courage.
La honte broya ses entrailles et un malaise l'envahit.
— On s'est fait beaucoup de mal, tu ne crois pas, souffla-t-il.
Vanessa releva la tête, les yeux brillants.
— Enfin, je t'en ai fait beaucoup. On n'a pas su se parler correctement. J'étais indisponible émotionnellement, et on s'utilisait en se faisant plus de mal que de bien.
La lèvre de la jeune fille trembla mais c'est un sourire qui naquit sur ses traits.
— Peut-être. Ou peut-être n'étions-nous simplement pas faits pour avoir plus.
Elle reprit après un silence :
— Tyler et toi, vous... ?
— Oui, c'est mon petit ami.
Il s'interrompit brusquement. Que venait-il de dire ? Il voulut rectifier ses paroles, parce qu'il n'était pas sûr qu'elle soit exacte et surtout, parce qu'il n'avait pas l'intention de la blesser. Mais déjà, une expression incertaine passa sur le visage de Vanessa, juste avant qu'elle ne se reprenne.
— Je suis contente pour toi, Ace. Sincèrement. Tu as changé, je te connais plus que tu ne le crois, et je le vois. On n'aurait jamais pu avoir cette conversation, quelques mois plus tôt.
Il lui rendit un sourire crispé.
— Je ne regrette rien, dans tous les cas. On s'est bien amusés. J'espère qu'on pourra rester amis, dans le futur.
— Bien sûr.
Vanessa hocha la tête et lui sourit.
— Je ne te retiens pas plus longtemps, tu vas être en retard sinon. À plus, Ace.
Elle s'éloigna, ses talons martelant le bitume. Le jeune homme prit une grande goulée d'air pour chasser la boule dans sa gorge. Il ne savait pas encore vraiment ce qu'il venait de se passer. Avait-il enterré une hache de guerre ? S'était-il créé une nouvelle amitié ? Quoi qu'il en soit, quelque chose venait de se terminer. C'est le cœur plus léger qu'il rejoignit le café où l'attendait Tyler.
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