Ace coupa le moteur. La vieille voiture de son père émit une plainte avant d'abdiquer. Le silence envahit l'habitacle, aussi pesant que le poids dans sa poitrine.

— On n'est pas obligés, Ace, je ne veux pas te forcer à...

— Tu sais que tu ne forces jamais. Viens.

Il détacha sa ceinture et sortit. Le vent le cueillit et il resserra son manteau autour de sa taille. Il leva la tête ; le ciel était menaçant, il avait neigé une bonne partie de la journée, une fine pellicule de blanc enveloppait le paysage.

Il tourna la tête quand il entendit la portière claquée. Tyler le rejoignit et ils se tinrent debout devant le portail en fer forgé ouvert. Son cœur battait fort dans sa poitrine. C'était stupide de croire que Tyler allait rencontrer Isabela Il devait se rendre à l'évidence : elle ne pourrait jamais lui parler, ni lui sourire.

Il sentit la main de Tyler se glisser dans la sienne. Il accueillit avec gratitude sa chaleur, resserra ses doigts.

Ils se mirent en route. Ils suivirent le chemin de gravier entre les pierres tombales. Chacune représentait une famille endeuillée qui avait perdu un être cher. Il lut quelques noms, des noms qui appartenaient autrefois à des personnes. Dorénavant, il ne restait que de la pierre froide et des souvenirs plein la tête, tant est qu'on pouvait encore se rappeler d'eux.

Tyler dut sentir le flot d'émotions qui manquait de la submerger car il serra sa main dans la sienne.

Ace n'avait même pas besoin de réfléchir, ses pieds le guidaient d'eux-mêmes. Il avait fait ce trajet tellement de fois, après les cours. Il pouvait le faire les yeux fermés.

Enfin, l'endroit se dévoila. Il entendit son sang battre à ses oreilles et son regard se voila un instant. Il sentit la fracture de son cœur s'ouvrir à nouveau quand il l'aperçut. Mais cette fois-ci, la vague de douleur ne survint pas.

Il commença à neiger. des flocons volèrent autour d'eux avant de s'échoir sur le sol gelé. Certains se posaient sur la pierre et fondaient aussitôt. Ace aimerait pouvoir disparaître aussi vite qu'eux.

Il se force à relever les yeux et accrocha du regard le nom inscrit. Il s'éclaircit la gorge, chassa l'air qui pesait aussi lourd que le plomb dans ses poumons.

— Holá mamá, soy yo. Estoy con Tyler, te hablé de él. Quería conocerte. Es mi novio, mamá.

Bonjour maman, je suis avec Tyler. Je t'avais parlé de lui. Il voulait te rencontrer. C'est mon petit copain.

La voix de son ami s'éleva après la sienne..

— Bonjour, Isabela. C'est un réel plaisir de vous rencontrer.

Ses paroles rebondirent entre les pierres, emplirent l’atmosphère. Ace ferma les yeux. Il refoula les pensées qui manquaient de le submerger. Il s'interdit de s'imaginer ce futur qui aurait pu exister, dans un autre monde.

— Votre fils est un homme courageux et bienveillant, continua Tyler à ses côtés. J'ai appris à le connaître et je sais maintenant que c'est une personne incroyable.

Ace rouvrit les yeux. Il ne vit que son profil, le regard droit devant lui. Pourquoi disait-il tout ça ? Le blond sentir son regard sur lui, il tourna la tête. La lumière qui brillait dans ses iris le fit frissonner.

— Merci d'avoir veillé sur lui tout ce temps. Si vous le voulez bien, je prends le relais. Je vous promets que je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour le rendre heureux.

La boule grossit, obstrua sa gorge. Il manqua de s'étouffer, dut reprendre sa respiration. L'air lui brûla ses poumons. Pourquoi faisait-il une promesse qu'il n'était pas sûr de tenir ? Il ne pouvait pas le croire. Il ne devait pas le croire. S'il l'abandonnait à son tour, la douleur serait insoutenable.

— Je sais que votre fils n'est pas de mon avis, ajouta Tyler dans un petit rire.

Il lisait en lui comme dans un livre ouvert.

— Mais il sait que je peux être têtu quand je veux.

Le sourire qu'il lui adressa avait la force d'une tornade mais la douceur du coton. Le visage de Tyler se brouilla, il essuya rageusement ses larmes. Il s'était juré de ne pas pleurer.

— J'aime votre fils, madame, chuchota soudain Tyler. Je suis tombé amoureux de lui. Je ne sais pas trop quand, mais depuis un bon moment, déjà. Je ne lui demande pas que ce soit réciproque, je souhaite juste qu'il me laisse l'occasion de lui montrer à quel point la vie peut être belle et qu'il la mérite.

L'univers du brun bascula. Son cœur tambourina dans sa poitrine, une tempête le ravagea de l'intérieur. Ace sanglota, le visage ravagé.

Soudain, le monde se tut. Seul les hoquets de l'Espagnol persistaient dans l'air. Il accrocha le regard de l'homme qui se dressait devant lui. Il fût alors happé par la force sereine qui émanait de lui, par son regard azur qui lui promettait mille et un rêves. Il savait qu'ils pourraient devenir réels, qu'il ne tenait qu'à lui d'y croire et de franchir ce pas. Il devait quitter le passé, vivre enfin pour l'avenir. Son cœur lui hurlait de saisir la main tendue qu'on lui offrait.

À travers ses larmes, il aperçut le sourire du blond. Il vit son visage si merveilleux qui affichait une tranquillité assurée, ses yeux bleus qui lui promettaient tout ce à quoi il aspirait.

L'évidence le frappa de plein fouet. Il en eut le souffle coupé. Un sourire bête naquit qu'il ne put réprimer naquit sur ses lèvres. Il avait été un parfait idiot pour croire qu'il ne tomberait pas, qu'il resterait insensible. Maintenant, il ne pouvait plus revenir en arrière. Il ferma les yeux un instant, se délectant à l'avance du goût des mots sur sa langue qu'il s'apprêtait à prononcer.

— Je t'aime aussi.

Un immense soulagement l'envahit. Le voile de noirceur dans lequel il vivait depuis des années vola en éclats. Il avait enfin prononcé ces mots. Il avait franchi le pas.

Il voulait les répéter encore et encore, une envie irrépressible de le crier à la face du monde entier le secoua.

Il était amoureux de Tyler Scott.

Il l'avait toujours aimé, il avait été aveuglé par la douleur.

Un poids s'enleva de sa poitrine, un rire monta en lui. À présent, il en était certain.

Il l'aimait d'aussi fort qu'un homme puisse aimer.

— Je t'aime tellement, Tyler, chuchota-t-il.

Il s'approcha de lui, cueillit son visage entre ses paumes. Il essuya du pouce les larmes qui mouillaient la peau douce de son petit ami, plongea son regard dans ses yeux azur. Il voulait qu'il comprenne à quel point il tenait à lui, à quel point il était important. Il le lui prouverait chaque jour.

À son tour, il lui offrait son cœur.

— Tu as sauvé ma vie. Te quiero, cariño.

Le fantôme d'un sourire flotta sur les lèvres de Tyler. Il ferma les yeux, attendit ; une larme dévala sa joue. Une larme de bonheur.

Ace se pencha et l'embrassa. Ses lèvres avait le goût de l'espoir.

Il avait trouvé sa raison de vivre.

FIN