Chapitre 1: juillet
Le 2 juillet
Cher journal étrange,
Je ne sais pas comment m'adresser à toi, alors je vais faire comme si j'écrivais dans un vrai journal intime… On verra ce qui se passera !
Aujourd'hui j'ai 15 ans. Chaque année mon anniversaire tombe pile le jour de la fin des cours, le début des vacances d'été. C'est comme si j'étais prédestinée à profiter de la vie et c'est vrai que j'ai une forte tendance à la procrastination, voire même à la fainéantise. Surtout en ce qui concerne l'école. Je ne suis pas mauvaise dans les matières littéraires, mais pour le reste, ce n’est pas la même histoire. Je suis passée limite en seconde.
C'est ma grand-mère, Camille, qui s'occupe de moi depuis la mort de ma mère il y a un an…Mamie Camille remplace maman autant qu'elle le peut. Elle compte beaucoup dans mon cœur. Mon père s est remarié. Mais je ne supporte pas sa nouvelle femme, et elle me le rend bien. C’est à cause d’elle que je me suis retrouvée chez mamie. Elle m'a pour ainsi dire foutue à la porte ! Mais à toute chose malheur est bon. Je suis bien mieux chez ma grand-mère…
Aujourd’hui, avant mon départ pour le dernier jour d'école, mamie m’a regardée bizarrement. Elle qui est toujours plongée dans les bouquins, les avait délaissés, pour prendre un petit-déjeuner avec moi lors duquel elle garda le silence. Je n'y fis pas plus attention que cela, et partis à l'école toujours aussi insouciante. Quand je suis rentrée à la maison, ma grand-mère m'attendait avec ce même air étrange… C'est là qu'elle m'a raconté son histoire ainsi que celle de ma mère, et d'un fameux journal, celui dans lequel j'écris actuellement.
-Ma chérie, aujourd'hui c'est le jour de tes 15 ans, m'a-t-elle dit. C’est un jour particulier pour les femmes de notre famille, un jour charnière qui marque le début de notre vraie vie, celle que l'on souhaite au plus profond de nous-même. Et pour t'aider dans cela, il y a ce journal, un vieux livre que l'on se transmet de mère en fille le jour de nos quinze ans.
Elle me tendit un livre énorme et ancien que j'hésitai à ouvrir.
-Ouvre-le, il est à toi désormais. Et quand le moment sera venu, tu le transmettras à ta fille.
Quelle ne fut pas ma surprise ! Le livre était rempli de notes manuscrites qui semblaient remonter à plusieurs générations. Mais devant mon air interrogatif, ma grand-mère poursuivit :
-Grâce à ce journal, tu pourras entrer en communication avec ton moi du futur, dialoguer avec lui, et faire les bons choix dans la vie. Ce choix si spécial qui fera ton bonheur. Pour moi ce fut l'écriture, pour ta mère, les arts plastiques. C’est à toi de déterminer comment tu mèneras ta vie, quelle trajectoire lui donner.
Il faut dire que mamie avait toujours été originale, et était devenue écrivain à une époque où les femmes étaient mal vues dans ce genre de milieu. Mais elle avait son lectorat, et effectivement elle paraissait heureuse de la vie qu'elle avait menée. Il en était de même pour ma mère. Elle était devenue professeur d'arts plastiques, et avait fait quelques expositions, ce qui lui avait procuré une certaine notoriété locale, et surtout, c’est ainsi qu’elle avait séduit mon père. Je regardai de plus près le journal. Pour chaque femme de la famille, il y avait deux écritures. Une plutôt jeune et l'autre plus adulte. C’était ahurissant, apparemment deux personnes identiques, mais à des périodes différentes parvenaient par je ne sais quelle magie à communiquer.
Mais voyant le doute dans mon regard, ma grand-mère me dit simplement :
-Il n'y a rien à comprendre. Tu dois juste me croire… Ce journal est important. Il l'a été pour moi et pour ta mère, il le sera pour toi. Tu dois juste écrire tout ce qui t'arrive, toutes tes pensées dans ce livre, comme si c'était un journal intime. Et tu verras : tu auras des réponses à tes questions.
Je me suis saisie du journal, je suis remontée dans ma chambre, et voilà que je commence à écrire moi-même dans ce livre mystérieux.
Chère Cassie, c'est moi, Cassandra. Je sais que ce diminutif me plaisait à l'époque. Aussi stupéfiant que cela puisse paraître, mamie t’a dit la vérité… je suis toi dans quelques années.
C’est dingue !... Bon, je veux bien vous croire toutes les deux, mais à une condition : dis-moi le secret le plus honteux que je cache, et que je suis la seule à connaître, et donc toi aussi, si tu dis vrai.
À ton âge ? Facile : le jour où tu as volé des bonbons à la boulangerie. Ce n'était pas grand-chose, quelques euros seulement, mais je sais que tu te sens encore coupable d'avoir été une voleuse, même si ce n'était qu'une fois dans ta vie.
Je commence à croire à votre histoire de livre magique…Si tu es moi dans le futur, tu sais que j'ai beaucoup de mal avec la mort de maman…
Oui je sais ma chérie…
C'est absurde. Elle ne méritait pas une telle mort. Putain de cancer !
Je suis désolée Cassie. Tu mettras du temps à t'en remettre, et tu comprendras qu'il n'y a rien à expliquer. C'est comme ça, c'est tout. Il faut que tu continues d'avancer, ne serait-ce que pour elle, en sa mémoire…
Je te laisse pour aujourd'hui. Ça fait beaucoup trop d'émotions et de choses à digérer. Je réessaierai demain, et on verra si la magie opère encore, et si tu pourras toujours me répondre.
Le 3 juillet
Chère moi-même,
J'ai bien réfléchi. Apparemment mamie dit vrai. J'ai relu les quelques lignes du journal d'hier, et je sais ce que je vais faire de ce livre. Tu vas pouvoir tout me dire sur mon futur. Tu vas m'aider à tricher au bac ! Tout va être plus simple maintenant… Mais j'y pense tu connais les tirages du Loto…
Chère Cassie,
Ce n'est pas aussi simple. Je peux t’aiguiller, t'aider à trouver ta voie, mais je ne peux pas tout te dire. Ça fausserait trop l’avenir.
PS : tu ne possèdes ce journal que pour une durée de neuf mois… Le temps d’un enfantement. Car je suis là pour t’aider à renaître à toi-même, alors excuse-moi pour le bac… quant au loto, « lol » comme on disait à ton époque !
Le 4 juillet
Chère Cassandra,
J'étais sérieuse pour le loto. Mais bon, si tu ne veux pas me dire tout de mon futur, c'est que moi-même je ne veux pas me le dire. Il doit donc y avoir une bonne raison…
Allô ?
Toc, toc.
Il n'y a personne ? Cassandra, c'est moi Cassie. Bon si tu ne veux pas me répondre, je réessaierai demain.
Le 5 juillet
Chère Cassandra,
Hier tu ne m'as pas répondue. J’ignore pourquoi. Je ne sais pas si tu seras là aujourd'hui.
Chère Cassie,
Je suis vraiment désolée pour hier, mais sache que je ne pourrai pas te répondre à chaque fois. Il faudra quand même que tu continues d'écrire dans le journal, pour que je puisse t'aider le plus précisément possible.
Le 6 juillet
Chère Cassandra,
Aujourd'hui on est allé se baigner dans le lac. C'était un jour de grosse chaleur et l’après-midi a été super agréable. Tous les garçons étaient là, et ma meilleure copine aussi. Tu te souviens d'Émilie ?... Et tu dois te souvenir surtout de Cyril. C'est le garçon que j'aime depuis deux ans en secret… il est tellement beau ! Bon c'est loin d'être le premier de la classe, mais c'est le premier à nous faire rire. Moi en tout cas il me fait marrer. J'adore son humour et il a un visage d'ange.
Chère Cassie,
Je me souviens parfaitement d'Émilie et de Cyril. Ce sont deux personnes qui ont énormément compté dans ma vie. Mais protège-toi de Cyril, c'est tout ce que je peux te dire…
Comment ça me protéger ? Tu pourrais m'en dire plus ?
Allô E.T. téléphone maison !
Ok, je dois me débrouiller toute seule avec ça alors.
Le 7 juillet
On est retourné se baigner avec les potes aujourd'hui. C'est vraiment l'été. Cyril était magnifique avec son torse musclé et sa gueule d'ange… Je ne sais pas pourquoi tu m'as dit ça, mais quelque chose de nouveau est arrivé dans ma vie. Ça me fait du bien, et je me contrefiche de tes avertissements énigmatiques. Cyril et moi on s'est embrassés : mon premier baiser. Je suis sur un petit nuage. Je n'écouterai pas tes messages de mauvais augure. Je suis persuadée que je peux changer le futur, et aimer le beau Cyril.
Le 8 juillet
J'ai parlé de Cyril avec Émilie. Je lui ai avoué qu'on s’était bécotés. Émilie était contente pour moi. Elle sait que je lorgne sur lui depuis des années.
Le 9 juillet
Ça y est c'est officiel on sort ensemble. Cyril en a parlé à ses potes, et toutes les filles me jalousent. Eh oui c'est moi qui ai attrapé le beau gosse !
Le 11 juillet
Je suis désolée, je n'ai pas écrit hier dans le journal. Mais de toute façon, tu ne me réponds plus. Alors je ne vois pas vraiment l'utilité de le faire. Mais bon, je continue. Je l’ai promis à mamie.
Hier il s'est passé quelque chose de grave. Nous étions retournés au lac, et Paul, qui sait pourtant nager, a eu un accident, une hydrocution ont dit les pompiers. Mais ce qui est incroyable, c'est que personne n'a réagi au début. Voyant que personne n’intervenait, je me suis lancée. Je l'ai rejoint et j'ai réussi tant bien que mal à le ramener sur la rive. Mais il avait avalé beaucoup d'eau. Heureusement que j'avais suivi le stage obligatoire de secourisme. J'ai pu lui faire du bouche-à-bouche, et après un temps qui m'a semblé une éternité, il a recraché l'eau. C'est dingue, je lui ai sauvé la vie !
Chère Cassie,
Je me souviens très bien de ce moment. Mais j'aimerais que tu me refasses sentir ce que j'ai ressenti à l'époque. Partage- moi ce que tu as éprouvé au fond de ton cœur…
Ce fut une sensation bizarre. Dès que j’ai vu que Paul allait se noyer, je me suis dit : mais personne ne réagit bordel ?! Excuse-moi ce mot un peu cru. J'étais sidérée et puis je me suis dit : si personne n'y va, moi j'y vais ! Le temps d'hésitation m'a semblé une éternité. Je pensais en accéléré. Il fallait que je fasse quelque chose, c'est tout. Je crois que c'est l'adrénaline que j'ai ressentie quand j'ai plongé et ramené Paul au bord du lac. Mais il ne respirait plus. Je devais le sauver, c'était plus fort que moi. Alors j'ai essayé de reproduire ce qu'on m'avait appris lors du stage, mais je n'avais qu'une peur : ne pas y arriver et que Paul meure dans mes bras. Là ce n'était pas un mannequin en plastique, c'était une vie que j'avais entre mes mains… Alors, dépassant ma pudeur, je lui ai fait du bouche-à-bouche, et un massage cardiaque. Au début, j'ai cru que ça ne servait à rien, j'étais désespérée. J'allais avoir la mort de mon ami sur la conscience. Mais après un instant, Paul a recraché l'eau et, aussi extraordinaire que cela m'a semblé, il est revenu à la vie. Je l'avais sauvé… c'est dingue, j'ai sauvé un homme ! Quand les pompiers sont arrivés, ils m'ont félicitée et ils m'ont dit que, sans moi, il serait mort.
Mes camarades étaient tout penauds d'avoir hésité à plonger, mais les pompiers nous ont expliqué que c’était un phénomène classique : quand il y a du monde qui peut prendre la décision, chacun se dit : un autre le fera, et donc le temps de réaction peut-être très long.
Ils me félicitèrent une dernière fois, et j'ai rougi. C'est un sentiment bizarre, un mélange de fierté et de pudeur, mais j'avais l'assurance d'avoir fait quelque chose de grand, d'important.
Effectivement tu peux être fière de toi… et tu as envie de revivre cela ?
J'avoue que je me suis sentie bien après. J'ai eu la peur de ma vie, mais oui, je suis fière de moi. A toi je peux l'avouer.
Peut-être que cela se reproduira.
Peut-être ?
C'est à toi de le décider.
Comment ça ?
Si tu le désires, je pourrais te donner des informations afin d'aider des gens, d’être utile, et pourquoi pas de sauver des vies.
C'est vrai que ce que j'ai ressenti était énorme, mais ce sont de sacrées responsabilités. Laisse-moi du temps pour y penser…
Le 14 juillet,
Chère Cassandra,
J’ai beaucoup réfléchi. J'ai eu besoin d'être seule donc, désolée, je n'ai pas écrit depuis trois jours. Ma décision est prise ! Si tu peux m'aider à sauver les gens, je suis preneuse. En tout cas, je veux bien essayer. On verra bien…
Si tu es décidée, je dois te prévenir d’un événement qui va se dérouler ce soir. Nous sommes le 14 juillet, le jour du feu d'artifice, et malheureusement un artificier va se blesser grièvement avec les explosifs. Il sera défiguré. Si tu t'en sens capable, aide-le. C'est Stéphane, l’employé municipal qui s’occupe des différentes animations en ville. L'accident aura lieu ce soir à 23h précises, de l'autre côté du lac. Bon courage à toi, fais ce que tu peux…
Le 15 juillet
Chère Cassandra,
J'ai réussi à prévenir Stéphane à temps. Il ne me croyait pas au début, mais à force d'insister, il a contrôlé une dernière fois les feux d'artifice, et quand j'ai vu l’effroi dans son regard, j'ai su que je l'avais sauvé et lui aussi.
« Je ne saurai jamais comment te remercier » : ce furent ses mots. J’étais très émue. C’était la deuxième fois que je sauvais un homme. Et je te remercie à mon tour. Tu m’as permis de l'aider. Sans toi, ça aurait été une catastrophe.
Chère Cassie,
C'est à moi de te remercier. A l'époque, j’avais assisté à l’accident, impuissante. J'avais gardé les coupures de journaux de cette époque. Et tu as changé le passé, me créant par là même un nouveau souvenir.
C'est bien sympa tout ça, mais j'aimerais que tu m'aides à vivre des moments plus simples. Tu sais, je ne recherche pas la gloire, je veux vivre la vie pleinement, le plus simplement possible. Ce qui m'importe ce sont mes amis, Émilie et Cyril, ce sont là mes priorités. J'espère que tu le comprendras.
Je me souviens très bien de moi à ton âge. Et si c'est ton souhait, je vais te laisser continuer à savourer la vie à pleines dents, comme une adolescente est en droit de le demander.
Je ne te dirai qu'une chose : profite bien de l'orage !
Le 17 juillet
Chère Cassandra,
Je n'avais pas compris ta dernière phrase, mais aujourd'hui tout s'est éclairé.
Effectivement il y a eu un orage. Ça a éclaté sans qu'on le voie venir, et je me suis retrouvée seule avec Cyril à l’abri d’un arbre. On s'est embrassé longuement. J'ai apprécié ce moment de tendresse et d'intimité. Puis, il m'a proposée de faire l’amour quand je serai prête. Je n'ose pas en parler à mamie. Je n'ai que toi vers qui me tourner. Tu es la seule adulte en qui j'ai confiance…
Chère Cassie,
Je me rappelle très bien ce moment de bonheur sous l’arbre, durant l'orage. C’est à toi de faire un choix.
Mais toi, tu l'as fait avec Cyril ou non ?
Je ne te répondrai pas. Je te l'ai dit, je n'ai pas envie de tout fausser.
T'es vraiment chiante, Cassandra. Je ne pensais pas devenir aussi prise de tête.
Tu me fais toujours autant rire. C'est du moi tout craché à ton âge. Mais tu comprendras quand tu seras à ma place. Je ne peux pas tout te dire.
Le 20 juillet
Chère Cassandra,
J'ai beaucoup réfléchi et j'en ai discuté avec Émilie. Je pense que je vais dire oui à Cyril. 15 ans c’est peut-être un peu jeune. Mais j’ai plusieurs amies qui l’ont déjà fait... Emilie notamment. Je ne sais pas si je suis prête, mais je l’aime… je lui ai dit d'ailleurs et lui aussi me l’a dit, même s’il a du mal à prononcer ces mots.
Maman me manque…
Il me semble qu’elle aurait approuvé, tout en me mettant en garde. Mais rassure-toi, on se protégera.
Même si j’hésite à avoir mon premier rapport, je sais que faire l’amour sans préservatif serait une monumentale erreur. Heureusement, il y a des distributeurs automatiques en ville. J’aurais trop honte d’entrer dans une pharmacie pour en demander.
Toujours silence radio, Cassandra ? Bon ben je vais me débrouiller toute seule.
Tu sais c'est là que j'aurais besoin de toi. Mais bon, tu dois avoir tes raisons.
Le 31 juillet
Ça y est je l'ai fait !
Au début, on était un peu maladroits tous les deux, mais ça a été merveilleux. Cyril s'est révélé plus tendre que je ne le croyais. On a pris notre temps. On a bien réfléchi ces derniers jours, et lorsqu'on a pris cette décision, on baignait tous les deux dans le bonheur. C'était la première fois pour lui aussi.
J'en suis encore bouleversée.
Chère Cassie,
L'émotion que tu as ressentie hier est encore pour moi un des plus beaux souvenirs de ma vie. C'était ma première fois. Je me souviens que je voulais partager mon bonheur avec tous mes amis. Et je suis contente que tu te sois tournée vers moi.
Mais Cassandra, tu m'avais pourtant mise en garde contre Cyril. Je ne comprends plus…
Tu comprendras bientôt.
Tu ne pourrais pas m'en dire plus ?
Non savoure ce moment de bonheur c'est tout…
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