Le 2 mars

Je m'inquiète de plus en plus pour Henriette. Je savais que son cancer s'était généralisé, mais d'après ce que m'ont dit les médecins, elle en a pour très peu de temps. Je pourrai la voir dans deux ou trois jours, mais elle sera très affaiblie. Et, je ne sais pas comment, mais je sens qu'il faut vivre ces instants avec elle. J’espère que je serai capable de dépasser le chagrin que va me causer sa mort, qui est désormais imminente et inéluctable.

Le 4 mars

Ça y est je pourrai la voir demain. Après toutes ces nuits d'inquiétude, où je ne pouvais que prier pour Henriette, une évidence est venue à moi. J'en ai beaucoup parlé avec Charles… J'ai décidé de me faire baptiser ! On est allé voir un prêtre tous les deux. Il m'a conseillé de fréquenter l'aumônerie du lycée, et il m'a dit que me faire baptiser étais la meilleure idée que j'avais pu avoir. C’est selon lui une expérience intense, mais qu'il fallait me préparer avec sérieux, et que cela prendrait près de deux ans. Je me sens prête et, pour tout dire, assez impatiente de commencer. Charles m'a amené à l'aumônerie. J'y ai trouvé des jeunes de mon âge. Ils étaient tous très sympa, et on sentait qu'il y avait une fraternité authentique entre eux… je pense que je vais me faire de vrais amis parmi ces gens d’une bienveillance à laquelle je ne suis pas habituée à Paris.

Le 6 mars

Ça y est, j'ai enfin pu voir Henriette. Ça a été un choc de la voir aussi diminuée. Elle avait du mal à parler, respirait avec difficulté. J’ai tout tenté pour lui changer les idées. Et à un moment, elle a esquissé un sourire, même si rire lui était de toute évidence douloureux. Mais je pense que ça lui a fait du bien. J'ai demandé au Docteur : elle pouvait survivre encore deux jours comme quelques semaines. Au fond de moi, j’ai accepté, comme elle apparemment, cette épée de Damoclès. Je lui ai promis de lui rendre visite tous les jours.

Le 7 mars

Je continue à prier, mais la santé d'Henriette s'aggrave de jour en jour. Elle ne peut plus parler, mais je sais qu’elle comprend ce que je dis. Je le perçois dans son regard.

Le 8 mars

C'est terrible. Elle souffrait tellement, que le service de soins palliatifs l’a plongée dans un coma artificiel. Jamais plus je ne pourrai converser avec elle. Mais je continue de lui parler. Je suis persuadée qu'elle m'entend, et que ça lui fait du bien.

Le 10 mars

Hier Henriette est morte. Au début, j'ai été effondrée. Mais j'ai vite repris le dessus. Je pense que la cérémonie des funérailles m’aidera à faire le deuil… L'enterrement aura lieu dans deux jours. J'en ai parlé à Charles, il m’a immédiatement proposée de m'accompagner. Je l’aime de plus en plus : il est si attentionné. Il ne cesse de m’étonner par sa délicatesse. Il m’aide dans tous les aspects de la vie. C’est un roc sur lequel je peux m’appuyer.

Le 12 mars

Chère Cassandra

Ça y est, l'enterrement a eu lieu. C'était sobre et beau à la fois.
Mais ce moment de recueillement passé, je suis entrée dans une grosse phase de doute. Je sais qu'on est le dernier mois. Je vois bien où tu veux m'emmener. Effectivement je souhaiterais que ma vie soit une vie au service des autres. Aider les gens : oui, mais les sauver me comblerait plus encore

Chère Cassie,

Je t'ai laissée tranquille ces derniers mois. Il fallait que tu vives toute seule ta foi naissante, ainsi que ton travail avec Henriette. Effectivement, comme je t'ai toujours encouragée à le faire, tu trouveras ton bonheur en aidant ton prochain… La question est : que veux-tu faire ?

Tu m'avais manquée Cassandra… honnêtement, je ne sais pas ce que je peux faire. J'ai pensé à du bénévolat, j'ai pensé au métier d'infirmière, j'ai même envisagé de faire des études de théologie afin d’écrire des livres qui aideraient les gens à être plus heureux… Je t'avoue que là, je suis un peu perdue…

Si tu pouvais m'aider un peu. Toute indication me serait utile.

Ma chérie,

Tu sais au fond de toi-même que tu veux aider, comme tu sais également que tu es née pour sauver des gens… Sachant cela, toutes tes idées sont bonnes, mais tu dois voir plus grand. Pourquoi ne deviendrais-tu pas chirurgienne ?

Chirurgienne ? Mais tu es folle je n'aurai jamais le niveau. Je suis nulle en sciences, et tu le sais très bien.

Ce que je te propose n’est pas simple. Ce n'est ni plus ni moins que sacrifier ta jeunesse. Il faudra que tu travailles et travailles encore. Il y a une réalité où je perdais mes jambes. C'est alors que je me suis lancée à corps perdu dans les études. Et j'y suis parvenue, je suis devenue chirurgienne. Comme je te l'ai dit tout au long de ces neuf mois, je t’ai laissée vivre ta vie de jeune fille, parce que je savais que ce moment viendrait où je te demanderais de devenir adulte avant l'âge, et je me rends compte de l’abnégation que ce choix engendre…

Mais je n'ai aucune facilité en sciences. Je suis même carrément nulle.

C'est là que tu dois poser ton premier geste fort. Même si tu passes en première, il faut que tu redoubles ta seconde. Je sais ce que tu vas me dire, je vais perdre mes amies.
Ne t'inquiète pas, les plus fidèles resteront, et je t'assure que tu t’en feras beaucoup à l'aumônerie du lycée. De toute façon, tu as Charles. Tu devrais lui demander de t’aider à rattraper le niveau collège au cours des vacances d'été dans les matières scientifiques. Et fais-moi confiance tu y parviendras. J'en suis la preuve vivante

Cassandra donne-moi un peu de temps pour y réfléchir. Ce n'est pas rien comme choix. Même si je passe limite en première, est-ce que je suis prête à redoubler ? Je n’en sais rien…

Le 19 mars

J'ai bien réfléchi pendant cette semaine. J'en ai également beaucoup parlé avec Charles. Il m'a dit qu’il était rare d'avoir un métier passion, et que si c'était ce que je voulais réellement, il fallait tout faire pour y parvenir. C'est un passage à l'âge adulte un peu brutal mais c'est pour mon bien. Il a utilisé la métaphore de l'instrument de musique. Lui, joue de la guitare. L’apprentissage a été rude et éprouvant. Mais maintenant il savoure le niveau auquel il est arrivé, et il a rajouté : « no pain no gain ».
Je me donne encore un petit temps de réflexion et je te tiens au courant.

Le 23 mars

Ma décision est prise je redoublerai la seconde et me lancerai à fond dans les études…

Ça me rassure que tu sois devenu docteur. Par définition, ça veut dire que j'en suis capable.

Ça je te l'assure ma chérie. Tu deviendras une grande chirurgienne, et tu sauveras plein de gens. Et jamais tu ne regretteras ce choix.