Voilà, j'ai osé franchir le pas qui me séparait de la résidente de la chambre 20. Je vais tenter de retranscrire notre discussion…

-Bonjour Madame, je m'appelle Robert de fort.

-Enchantée. Moi c'est Cassie Washington.

-Il me semble qu’Esperanza vient vous voir et me délaisse quelque peu…

-Esperanza ?

-Oui la chatte qui a élu domicile dans nos deux chambres, sur cette île abandonnée.

-Île abandonnée pour l'EHPAD. Quelle métaphore intéressante !

-Mais ce n'est pas une métaphore, c'est une île à part entière.

-Oui je comprends, enfin je crois…

-Vous avez appelé la chatte Esperanza ? Moi je l'appelle Sweetie parce qu’elle m'apporte de la douceur.

-Moi aussi, c'est de la tendresse pure qu'elle me donne, et j'en ai besoin de manière inconditionnelle.

-Et bien pas de problème, je pense qu'on peut organiser une garde alternée, pas besoin de tribunal pour cela.

-De tribunal ?

-C'était un trait d'humour.

-Ah ! Excusez-moi dame Washington, j'ai du mal avec le second degré.

-Que faisiez-vous dans la vie monsieur de Fort ?

-J'étais libraire et vous ?

-J'étais chirurgienne.
Mais peut-être voulez-vous une tasse de thé ?

-Ma foi, pourquoi pas. Vous êtes fort urbaine dame Washington.

-Qu'est-ce que vous préférez ? J'ai du thé vert, aux fruits rouges au citron et à l'orange

-Tout cela m'a l'air très bon. Je vais essayer des fruits rouges.

-Je fais chauffer l’eau. Je suis à vous tout de suite.

-Vous ne regrettez pas votre vie d'avant, celle où vous étiez libre, loin de cette île maudite ?

-Non pas vraiment. Vous savez, je me suis longtemps occupée de personnes âgées qui se trouvaient souvent au bord de la mort, alors ça ne me gêne pas de côtoyer ces personnes pour le temps qu'il me reste à vivre. Et puis j'ai ma fille qui vient me voir aussi souvent qu'elle le peut. Elle habite Paris, ça fait une trotte de là à Gourdon.

-Vous venez de Paris ?

-Oui, mais j'ai voulu passer mes derniers moments dans ma ville natale.
Vous êtes sur quel livre en ce moment ?

-Avec les drogues qu’ils me donnent, je ne parviens plus à lire… alors j'écris sur tout ce que je vis et ce que je ressens.

-Un écrivain ! Il faudra que vous me montriez ça.

-C'est que c'est très personnel, je ne suis pas certain de vouloir le partager.

-Ce n'est pas bien grave. Quand vous vous sentirez prêt, je serais ravie de lire vos écrits. L'eau est chaude. On va bientôt pouvoir boire ce thé.

-Merci dame Washington. Ouh là, c'est brûlant

-Ah ah ! La patience est une vertu qui manque à beaucoup de gens, moi la première, je dois bien l'avouer.

-Pourrais-je vous demander d'où vient ce nom anglo-saxon Madame ? Vous n’avez pas d’accent.

-Bien sûr. Ma mère était bien française, mon père lui était anglais. La rencontre serait une longue histoire à raconter, digne d’un roman à l’eau de rose. Tiens voilà Sweetie/Esperanza! Vous voyez, elle vient nous voir tous les deux.

Écoutez, on va dire ça : quand elle est chez vous, très bien elle y reste, et quand elle vient chez moi, vous n'avez qu'à me rendre une petite visite. Cela me ferait plaisir.

-Peut-être qu'un jour vous me raconterez l'histoire de la rencontre de vos parents, et peut-être que moi aussi je me sentirai prêt pour vous laisser lire mes écrits…

C'était délicieux dame Washington ! Il faut que je réfléchisse, mais je pense que je reviendrai vous voir.

Nous nous sommes serrés la main. Je suis rentré dans mes pénates avec Esperanza qui me suivait. Je pense que dame Washington est réellement gentille, qu’elle est sans faux-semblant.
Ça deviendra peut-être une belle amitié, même si je suis toujours méfiant envers les autochtones.