Sur ma carte d'identité

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Ma carte d’identité est un leurre. Une tromperie sur la marchandise. Pourtant je souris à mon interlocuteur. Je joue le jeu. Oh ! Votre prénom est très original ! Ça vient des Iles ? Non. C’est basque, Ainhoa est un petit village à côté d’Espelette, un des plus beaux village de France. Je souris. J’ai répété cette phrase un millier de fois, à la caisse pour avoir quelques points de fidélité, à l’école de ma fille, pour acheter une voiture, lors des examens médicaux. En formation quand on énumère les participants, je suis le blanc, la pause, l’hésitation, l’incompréhension, je suis le prénom qui s’écorche, qui s’accroche, qui se déforme. « Aloha » « Aninhoa » « Ainhoa »… Ca finit en Stéphanie, car ça au moins c'est facile à prononcer (histoire vraie).Toujours les mêmes difficultés pour le prononcer et je souris. Ainhoa – AIE (comme lorsque l’on se fait mal) – NHOA (comme Yannick Noah). Depuis, la génération Z ne connait plus ce joueur-chanteur-entraineur, et je perds mon temps à expliquer qui il est.

Ce n’est pas dur lorsqu'on le sait. Le « i » tréma à son importance. Le détail qui change tout.

Je précise être d’origine basque ET espagnole. Oh ! le caractère, me dit-on ! Je souris toujours. Puis j’achève mon interlocuteur en signalant que je suis née à Tahiti, Papeete plus précisément. Oh ! Vous en avez de la chance ! Le coup de grâce. Ma carte d’identité me prête de fausses qualités, crée une personnalité erronée. Elle plante un décor dans lequel je n’ai jamais évolué, du moins, je n’en ai pas le souvenir. Je ne sais plus à quoi ressemblent les plages de sable fin, pourtant j’y ai fait mes premiers pas. Je n’ai jamais habité au pays basque mais dans le Béarn, ce que je me garde bien de préciser.

J’ai beaucoup déménagé. Tahiti, Lyon, Paris (Trappes, Fontenay le Fleury), Mourenx, Lyon à nouveau, Toulouse. J’ai l’accent de ces villes en bagages. Le vocabulaire chantant des filles du sud. À moi les chocolatines et les poches. Je suis un caméléon, à l’aise à la campagne comme en ville. Je ris dans les fêtes de village comme je sais me tenir dans les endroits plus huppés. Mais je n’aime ni l’un ni l’autre. Je suis de celles qui restent en retrait pour croquer les scènes de vie. Car je suis comme ça. Juste une spectatrice de la vie.

Ma carte d’identité dit aussi que je fais un mètre cinquante-neuf, que j’ai les yeux marron. Traitresse. J’aurais aimé atteindre le mètre soixante. La faute à la génétique. Mes frères ont gardé égoïstement les centimètres qui m’étaient dus. C’est ainsi, je resterai donc petite.

Maudite carte qui ne sait pas se taire !

Ce qu’elle ne dit pas, mon corps le révèle. J’ai encore un visage juvénile, sans aucune ride, seuls mes cheveux blancs trahissent mon âge. Trente-sept ans. Je rêve d’avoir la chance de vieillir. De voir ma peau se tanner, se tacheter, se détendre. J’aime les histoires qui se lisent sur la peau. La mienne n’est pas encore achevée mais j’ai déjà sur moi quelques marques du temps.

La varicelle m’a laissé quelques traces ici et là. Un peu d’eczéma sur la cheville, une tache foncée sur la cuisse, cadeau d’un choc émotionnel lors de mon redoublement en 4 ème.

Mes ongles sont rongés depuis toujours. Par ennui, par nervosité. En poursuivant l’inventaire de mes marques, il y a ces deux grains de beauté sur chaque omoplate. Je les aime. Ils sont mon héritage. Mon père les avait, ma grand-mère aussi. Tout comme ma fossette sur le menton , celle de mon père. Je la supporte moins, je la trouve trop masculine.

Et il y a les marques que la vie m’a offertes. Deux grossesses, la chance de porter la vie en moi, de la personnifier, même effrayée, j’ai eu plaisir à être enceinte. À voir mon ventre s’arrondir, s’étirer jusqu’à craquer. Encore une fois je ne regrette pas.

Si l’on est observateur on peut voir une cicatrice sur mon cou. Ne vous laissez pas distraire par le rouge à lèvres, ce n’est qu’une diversion. Une opération, une thyroïde cancéreuse en moins, me voila délestée d’un organe dont j’ignorais l’utilité.

La couleur est au centre de ma vie. La joie, le bonheur d’avoir une petite famille, ces moments de délire à danser la musique à fond. Je me fiche d’avoir quelques kilos en trop, je me fiche de ne pas correspondre aux canons de beauté actuels, je me fiche de ne pas avoir un tas de followers sur Instagram, je m’en fiche du superficiel, de l’artificiel. Ce n’est pas ça que je souhaite garder en mémoire. Je veux me souvenir du rire de mes enfants quand je les fais sauter dans mes bras, de ma roue bancale pour épater ma fille, des chansons que je massacre avec ma fausseté légendaire, des repas que nous partageons chaque soir comme un rendez-vous sacré. J’ai fait le choix de ne pas être dans le paraître, de me délester de mes chaînes, de fuir les postures. Et c’est un combat de chaque instant.

J’accepte les aléas avec sagesse, comme des offrandes à chérir. Je suis fière de mon histoire. Et je continuerai à sourire, à rire, car rien n’est plus beau que les choses simples que la vie nous offre. Je ne suis pas ce que ma carte d’identité dit de moi. Je n’ai rien d’original, d’atypique. Et ça me va très bien ainsi. Je suis moi, imparfaite et souriante.

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