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Niels repartit vers Myrmid en courant. Il avait compris que soit cette femme lui mentait, soit il y avait quelqu'un d'autre dans ce foutu vaisseau qui avait tiré là-bas. Il sprinta jusqu'à s’époumoner sur seulement une vingtaine de mètres. Il entra dans une salle qui ressemblait à un entrepôt et tout ce qu'il vit fut Myrmid et Milla en train de déchirer des petits pains cylindriques et de les dévorer comme des bêtes. Essoufflé, il demanda, d'une voix plus grave qu'à l’accoutumée :
— Que s'est-il passé ? Qui a tiré ?
— Oh, c'était moi, pas fait exprès, déclara Myrmid, d'un ton extrêmement calme comparé à l’événement et à son attitude envers sa nourriture.
— Ouais. Il m'a tiré dessus. Mais je lui pardonne, il partage le pain.
Niels, ébahi devant une situation si étrange se tourna désormais vers Milla, accroupie, les genoux au niveau de la tête et les bras lui fournissant le met qui semblait divin, d'après son regain d'énergie et sa vivacité concernant l'ingurgitation massive de pitance. Elle ne ressemblait plus à rien, avec son apparence squelettique, la combinaison collante rouge et noire qui laissait tout de même percevoir sa maigreur et qui semblait ne faire plus qu'un avec elle, et sa position maladive de goule insatiable consumant tout ce qu'elle pouvait en un temps record. Les deux mangeaient à une vitesse hallucinante et ne s'arrêtaient pas même pour respirer. Ils enchaînaient les pains, comme si leur vie en dépendait. Niels avait la bouche entrouverte et la mâchoire tombante sans même le remarquer. Il balbutia :
— Euh.. Mais... Qu... Combien vous en avez mangé là ?
— Je sais pas j'ai pas compté, répondit Myrmid la bouche pleine, ne s'arrêtant pas d'avaler.
— Moi j'ai compté, fit remarquer Milla avec la vive intonation d'une psychopathe fière d'elle-même. J'ai compté, j'ai compté ! J'en ai pris trente-quatre ! Trente-quatre ! Trente-quatre ! Trente-quatre ! »
Puis elle rit, le gosier rempli, crachant des miettes de tout côtés. Son rire ne s'arrêta pas, mais elle continuait à s'empiffrer comme elle pouvait. Son gloussement envahit toute la pièce, provoquant une ambiance malsaine, mais qui faisait tout de même ricaner Myrmid. Niels était tout sauf à l'aise et ne comprenait plus rien. Un vertige l'envahit tandis que les rires éclatèrent de plus en plus forts, de plus en plus stridents. Puis tout retomba d'un coup. Toutefois, Milla reprit alors ses paroles de dégénérée, pareil à une détenue d'asile :
— Trente-quatre ! Trente-quatre ! Trente-quatre ! Trente cinq ! Trente cinq ! Trente...
Elle s'étouffa, ce qui suffit pour la faire taire le temps d'une dizaine de secondes. Niels profita de cette interlude :
— Bon, euh... Les mecs, abusez pas trop et... Vous me laissez un pain d'accord ?
— Y'a pas de soucis, affirma Myrmid, les joues rondes et rouges qui donnaient l'impression d'exploser, en train de recracher sans le remarquer ce qu'il venait de manger.
— Trente cinq ! Trente cinq ! Trente-cinq !!! TRENTE CIN... »
Niels repartit vers Herma et les otages, qui désormais étaient ceux qui lui faisaient le moins peur. Il pensait à voix haute « C'est quoi ce cauchemar ? Comment peuvent-ils avoir aussi faim ? »
Niels était déjà dos à l'entrepôt et ne put remarquer Milla vomir. Ce qui ne l'empêcha pas de continuer de manger juste après, tout en répétant le nombre de pains qu'elle avait détruit. Elle essaya d'enfoncer le trente-sixième entièrement d'un seul coup, ce qui lui déchira de la peau du palais et de la gorge, avant de régurgiter une seconde fois. « Trente-six, trente-six !! »
Niels ferma les portes derrière lui pour ne plus entendre ces cris horrifiants. Il marchait d'un pas vide. Sidéré, il avançait et tentait d'oublier ce qu'il venait de voir. Que tout ceci n'était qu'un mauvais rêve, une illusion. Il réussit, d'une manière très surprenante, à s'en persuader.
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