Chapitre 2 - L'invitation pour Noël

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En guise de dessert, Paula entreprit de vider le pot de glace au miel qui restait dans le minuscule compartiment congélateur du réfrigérateur. Elle s’installa dans le canapé laissant à Shany la tâche de nettoyer la vaisselle. Puis, en même temps qu’elle passait son doigt le long de la paroi, elle demanda :

« Tu ne rentres pas à New York pour Noël ? »

Shany secoua la tête. Elle fit la grimace mais Paula l’ignora, arquant

« Problème d’argent ? fit-elle en léchant le bout de crème glacée qui trônait sur son index.

— Non. Enfin… Oui et non… Sûr que si j’avais eu plein d’argent, j’aurais fait un premier aller-retour pour l'occasion et un second pour le jour de l’An mais bon…. Ce ne serait pas très raisonnable, mes finances ne sont pas extensibles à l’infini.

— C'est que t’as quelque chose de prévu entre le 25 et le 31 ? Sinon tu pouvais sécher les cours pendant une semaine. Ce n'est pas comme si tu étais à la traîne de ce côté-là. Sinon à quoi ça sert d'être une bonne élève ?

— Oui, j’ai une mini-soutenance organisée par mon directeur de thèse. La date est fixée de longue date et ce serait du plus mauvais effet si je demandais à la décaler. Avec tout ce qui s’est passé ces derniers mois, je n’avais pas la tête à ça et je m'en suis rendu compte bien trop tard. Ee toute manière, j'ai pris les deux semaines qui suivent le jour de l'an . Ça compensera.

  • Si tu le dis… » fit Paula en suçotant son index, sans cacher un air pensif.

Elle resta quelques secondes silencieuse, puis posant le pot de glace sur la table basse, elle attrapa son téléphone. Elle envoya un message, attendit encore quelques secondes puis après avoir lu ce qui était sûrement la réponse, elle se retourna de nouveau vers Shany et plissant les yeux avec un air conspirationniste, elle demanda :

« Du coup, est-ce qu’un week-end en Bretagne au bord de la mer pour fêter Noël, ça te dit ? Ce sera mieux que de tourner en rond dans cet appartement. A moins que tu préfères squatter une fête avec n’importe qui de notre cher microcosme parisien ? Si tu retires ceux qui vont en famille, ceux qui ne font rien, il y a quatre-vingt-dix pourcents de chances pour que tu tombes sur une soirée où il y aura Mathieu ou n’importe quel pékin de sa tribu et ça… C'est pas bon. Formellement déconseillé par le docteur Kerembellec, spécialisé dans les cœurs brisés depuis dix-huit cent cinquante-deux… » fit Paula en se posant la main sur sa poitrine.

Shany grimaça. La simple évocation de ce prénom lui donnait de l'urticaire. Shany avait rencontré Mathieu, son ex, aux Etats-Unis, deux ans plus tôt alors qu’elle était encore en quatrième année. Ce qui était au début un petit flirt de soirée avait tourné bien vite en l’espace de quelques semaines en vraie relation. Au départ, Shany y était allée à reculons car consciente que sa formation pouvait en pâtir en cas de complication. Mais le petit Mathieu avait su amener ses pions et l’avait mise échec et mat. Et très franchement, c’était bien. Shany était heureuse. Heureuse au point de, deux ans plus tard, décider de le suivre en France après qu’il eut obtenu son diplôme. Pourtant, cela n’avait pas été simple : ni à prendre la décision, ni à la mettre en œuvre. Quitter l’université de Columbia pour intégrer une université à l’étranger, qui plus est, alors qu’elle entamait sa dernière année de doctorat, relevait pour beaucoup d’un coup de folie. Elle avait tenu bon et était ainsi venue à Paris en septembre. Où cela l’avait conduite ? Une trahison et une désillusion. Paula avait raison : au fond d’elle, Shany pensait rester terrée quelques jours à l’appartement. Et ce n’était pas la chose à faire, elle le savait. Elle accepta donc la proposition.

« C’est cool, fit Paula, apparemment satisfaite d’elle-même. Je te promets que tu ne le regretteras pas et en plus… Tu n’es jamais allée en Bretagne ? »

Shany secoua la tête, tout en se demandant s’il ne fallait pas plutôt la hocher. Elle détestait les questions sous la forme négative.

« Non mais il paraît que c’est très joli. Enfin… En été, je n’ai vu que des photos en été. Pas sûr qu’en hiver, ce soit la même chose.

— Ce sera toujours mieux qu’ici ou dans ton New York natal, tu vas voir ! Tu vas respirer.

— Je ne suis pas née à New York, tu sais…

— Ah ? T’es née où alors ?

— À Saint-Albans dans le Vermont.

— Euh, je ne vois même pas où c’est sur une carte, ça, le Vermont !

— C’est sur la côte Est, un état à la frontière du Canada avec un climat continental, c’est-à-dire un été chaud et humide et un hiver froid, voire très froid dans les Montagnes Vertes... Un climat qui s’apparente à une ville telle que Minsk.

— Ha oui, je comprends, mais ça tombe bien, Miss Météo, tu peux t'adapter à toutes les températures ! »

Paula se replongea quelques instants sur son téléphone. De toute évidence, elle était en pleine discussion textuelle. Shany était toujours impressionnée par la dextérité dont faisait preuve son amie avec un clavier tactile de quelques centimètres carrés et qui contrastait complètement avec celle qu’elle n’avait pas sur un clavier d’ordinateur. Il y avait quelque chose de fichtrement irrationnel dans cet état de fait.

« Ça y est, M’zelle, votre réservation est faite. » fit Paula en reposant son téléphone et reprenant son pot de glace.

« Euh mais c’est chez qui que tu m’emmènes ? Moi je t’ai dit oui sur le principe mais j’ai aucune idée dans quoi tu m’embarques là !

— Nanana, t’inquiète pas, c’est la famille…

— Si c’est chez tes parents, ça va être un peu bizarre, non… Ils ont peut-être autre chose à faire…

— Qu’est-ce qui devrait être bizarre ? Ce n'est pas chez mes parents mais chez mon frère dans l’ancienne maison de famille. Si cela peut te rassurer mais ils seront là, mes darons. Cela dit, pourquoi veux-tu que ce soit bizarre ? C’est toi qui es bizarre. Je te jure que des fois, tu me fascines… Y a des choses parfois qui devraient te choquer et ça te passe à cent quinze mille au-dessus de la tête et d’autres où tu bogues pour d’obscures raisons. On devrait faire un reportage sur toi, je te jure et passer ça dans Alien Theory… Ça ferait un carton, c’est sûr !

— Si c’est pas chez tes parents mais que c’est dans ta famille…

— Stop, Shan… C’est bon, arrête de faire pédaler tes neurones dans le vide et viens plutôt me faire des câlins et des bisous. Il est tôt mais, mon Rémy n'étant pas fidèle au poste, je suis en manque donc va falloir que tu te sacrifies pour combler les espaces libres… »

Shany leva les yeux au ciel.

« Je sens que la soirée et la nuit vont être longues… »

Et elle se jeta sur Paula qui tenta vainement de se protéger avec le pot de glace vide.

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