Chapitre 12 - Passage de la frontière
Ils arrivèrent aux abords de la frontière pour la seconde fois aux alentours de dix-neuf heures.
« Il va nous rester une trentaine de kilomètres, fit Aye. A partir d’ici, nous allons emprunter des petits sentiers. Il va falloir être vigilant. Signalez-moi tout élément qui pourrait vous paraître étrange, peu importe ce que c’est. Il n’y a pas de petites précautions.
— D’accord. Pour être honnête, ça fait plus de deux heures que la nuit est tombée, je n’y vois déjà rien. Pas sûre d’être très utile mais j’essaierai. »
Aye ralentit et sortit de la route principale pour prendre un sentier de terre. Il n’était pas évident à première vue qu’on puisse le suivre en voiture. Le sentier était chaotique, plein d’ornières et de cailloux. Les amortisseurs du véhicule avaient bien de la peine à faire leur œuvre. Impossible d’aller à plus d'une vingtaine de kilomètre-heure. Jennifer regarda par la fenêtre mais il était bien difficile de distinguer quoi que ce soit. C’était la nouvelle lune.
« Aye, vous ne croyez pas qu’on est un peu trop voyants là ? On ne devrait pas plutôt attendre demain qu’il fasse jour ? »
Aye hocha la tête.
« D’ordinaire, je dirais la même chose que vous mais pas ce soir. Il y a eu des mouvements rebelles au nord de la région et l’armée a dû déplacer un maximum de ces hommes là-bas. Et là où nous passons, il y a un trou dans le dispositif de surveillance. Cela n’arrive pas souvent, autant en profiter. »
Jennifer acquiesça. Elle comprenait bien le raisonnement d'Aye mais cela lui paraissait grandement contre intuitif. Son instinct lui criait qu’elle était en danger et il lui était pratiquement impossible de se rassurer. Elle fouilla dans son sac et attrapa une boîte de comprimés. C’était la boîte à pilules que lui avait soigneusement préparée Shany… Sa trousse de secours en quelque sorte. Il y avait en tout douze rangées de cinq gélules. Chaque rangée avait une posologie particulière. Jenny attrapa une pilule sur la septième : rhodiole en poudre, un anxiolytique naturel très efficace. Elle l’avala et ferma les yeux pendant une petite minute. Lorsqu’elle ouvrit de nouveau les yeux, elle regarda l’heure.
« Nous devrions arriver vers vingt heures trente. » fit Aye.
« Et ensuite ?
— Nous allons loger dans les dépendances d’une petite ferme un peu à l’extérieur de Wan Ho-hwé. Je l’ai choisie parce qu’il est facile de surveiller les environs et qu’une des personnes qui y vivent pourra m’aider à prendre les tours de garde. »
Jennifer ne dit plus rien. De toute évidence, Aye avait soigneusement planifié le trajet ou bien c’était le menteur le plus doué qu’elle connaissait vu le calme olympien dont il faisait preuve. Elle préféra reporter son attention dans l’obscurité de la forêt environnante et tendit l’oreille pour percevoir les bruits alentour en partie masqués par ceux du moteur de la voiture. Il y avait des sons d’insectes, des bruissements divers dans la végétation dont elle ne savait pas dire si c’était le vent ou des animaux. Comment Aye voulait-il qu’elle repère quelque chose dans cette pagaille d’ombres pleine de bruits qu’elle ne connaissait pas ? Plus les minutes passaient, plus elle se confortait dans l’idée qu’à la vérité Aye lui avait demandé d’être vigilante par politesse et non pas parce qu’il attendait un réel soutien.
Elle resta silencieuse pendant le reste du trajet. Comme prévu, ils arrivèrent aux abords de la ferme vers vingt heures trente.
*
Ils étaient encore à une centaine de mètres quand un rectangle lumineux se découpa sur le flanc sombre de la maison, une ombre sortit et avança dans leur direction. C’était un jeune garçon de dix-sept, dix-huit ans, tout fin, au visage poupin. Il leur fit signe de la main pour leur indiquer de faire le tour de la baraque. Il y avait une sorte de place de parking entourée d’arbres et de végétation capable de quasiment faire disparaître le véhicule. Aye éleva la voix et l’autre lui répondit. Jennifer ne reconnut pas la langue même si elle avait une sonorité similaire au thaï. Elle supposa qu’ils se saluaient.
« Prenez vos affaires, Kham Keow va directement nous installer dans la dépendance là-bas. »
Jennifer suivit du regard la direction qu’indiquait Aye du doigt. Elle distinguait assez mal la construction qui ressemblait à une sorte de cabane de jardin. Aye prit lui aussi son sac et une torche électrique qu’il alluma pour éclairer la trentaine de mètres qu’il fallait parcourir pour arriver à la porte de l’habitation.
Une fois entrés, Aye remercia son hôte, lequel avant de disparaître, ne s’empêchait de détailler Jennifer de haut en bas. Son regard était d’une telle intensité qu’elle ressentit une sorte de gêne. Il n’y avait pas d’électricité. Plusieurs lampes à huile installées dans les quatre coins de la pièce éclairaient toutefois bien la pièce. Deux paillasses avaient été disposées de chaque côté. Le confort devait être sûrement très relatif mais serait suffisant. De toute manière, Jennifer sentait que sa fatigue était telle qu’elle s’endormirait n’importe où.
« Je vous laisse vous installer. Je vais aller parler avec nos hôtes. Je reviens dans dix minutes. »
Jennifer hocha la tête et alla s’asseoir sur la paillasse de droite. L’endroit était spartiate mais propre. Il y avait un drap faisant office de couverture. Il ne faisait clairement pas froid même si la nuit étant fraîche en contraste avec la journée, on pouvait avoir une sensation de froid. Jennifer s’allongea. Elle se serait bien endormie si la faim ne la tenaillait pas. Aye ne lui avait rien dit sur le sujet. Elle se posa la question de savoir s’il fallait qu’elle tape dans ses provisions. Dans le doute, elle préféra attendre le retour d’Aye.
Elle fouilla dans son sac et récupéra son dictaphone. Elle ferma les yeux et après une minute de réflexion, elle enregistra deux trois idées pour son article. Elle fut interrompue par trois petits coups frappés sur la porte.
« Entrez. »
Aye entra. Il avait deux bols de nourriture dans les mains. Il en tendit un à Jenny.
« Merci.
— De rien, mais ce n’est pas moi qu’il faut remercier.
— Ok, bah, vous remercierez nos hôtes de ma part alors.
— Vous travailliez ?
— Vous m’avez entendue ?
— Oui.
— Décidément vous me surprenez.
— Pourquoi ?
— Je ne parlais pas très fort. La porte, même si elle n’est pas très épaisse, insonorise plutôt bien. Soit vous avez l’ouïe fine, soit vous avez écouté avec l’oreille sur la porte. Comme vous ne me semblez pas du style à écouter aux portes, j’en déduis que vous avez l’ouïe fine. »
Aye hocha la tête en souriant.
« Vous aussi, vous êtes surprenante. »
Jennifer lui rendit son sourire et commença à manger. C’était délicieux. Elle posa le bol au sol à côté de la paillasse et s’allongea en fermant les yeux. Elle ne se rendit pas compte qu’elle sombrait mais en moins de trois minutes, elle dormait à poings fermés.
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