Chapitre 16 - L'appel à la rescousse
Jennifer et Aye se relayèrent jusqu’aux environs de six heures du matin, heure à laquelle, ils partirent à la recherche de l’antenne relais mobile la plus proche. Il n’y avait qu’une petite heure de marche. Malheureusement il leur fallait emprunter d’autres chemins moins dégagés que la route principale.
Aye avait anticipé, il avait emprunté à leur hôte, une sorte de machette. Mais il ne pouvait pas correctement l’utiliser avec sa blessure. Jennifer s’en aperçut, le tança avant de la lui confisquer. Ils sortirent de la forêt, le relief commença de changer, le terrain plat faisant place à de petits vallons arborés très verts. Ils s’avançaient vers une zone de rizière un peu moins pentue, terrassée, inondée. Difficile d’y marcher et de passer inaperçu. Fort heureusement, à cette heure, il n’y avait personne à croiser.
Malgré les circonstances, Jennifer se surprit à contempler les paysages. Il fallait dire que ceux-ci étaient sublimes. Ils se dégageaient une impression traditionnelle et millénaire assez vertigineuse. Pour un Américain, le monde n’avait à peine plus que quatre siècles. Son traditionnel n'était pas si daté. Il était donc difficile d’imaginer son ressenti, de toucher du doigt la sensation d’être happée par la beauté des choses simples et pérennes, usées mais promises encore à survivre pour des siècles et des siècles.
« Je pense que tu peux allumer ton mobile. Tu devrais commencer à capter du réseau. » fit Aye alors qu’ils atteignaient une sorte de promontoire qui surplombaient d’autres terrasses consacrées à la culture du riz.
*
Jennifer s'exécuta. Deux barres s’affichèrent sur l'icône de réseau. Elle ouvrit son répertoire depuis la carte SIM et sélectionna “Yao”. Elle appela. La sonnerie dura longuement. Elle s’attendait à tomber sur le répondeur quand une voix féminine lui répondit dans une langue que Jennifer n’identifia pas.
« Could I talk to Yao? Do you speak English? »
Il y eut un peu de bruit et Jennifer devina qu’elle venait d’interrompre quelque chose.
« Allo ? fit une voix essoufflée, un peu agacée. Qui c’est ? Bordel, ce n’est pas une heure pour déranger les gens.
— C’est Jennifer. Jennifer Hall. »
Même si Aye ne pouvait pas relever la subtilité, Jennifer se sentit gênée de s’entendre se présenter sous son nom de jeune fille. Elle faisait cela à dessein pour protéger sa famille. Elle avait toujours l’impression de trahir Patrick mais c'était pour la bonne cause.
« Jen, ça faisait longtemps, dis-moi. T’es au courant qu’il y a des gens qui font la grasse mat’ ? Et qui s’occupent autrement au réveil qu’en appelant des gens qu’ils n’ont pas contactés depuis deux ans ?
— J’en suis consciente oui. Mais, là, j’ai besoin d’aide et c’est urgent.
— Ah ?... T’es à Phnom Penh ?
— Non, je suis en Birmanie pas loin de la frontière avec la Thaïlande.
— Putain, qu’est-ce que tu fous là-bas ?
— Je suis partie à la cueillette de champignons…
— Ne te fous pas de moi.
— T’es un peu au courant de l’actualité du coin ?
— Bien sûr.
— Bah je me suis rendue sur place pour faire mon job.
— Mais ?... Je suppose qu’il y a “mais” sinon tu ne m’aurais pas appelé… Qui plus est, à cette heure-ci.
— Je ne connais pas les détails. On dirait que les militaires n’ont pas l’air d’apprécier ma présence. Nous avons été pourchassés, nous avons dû abandonner la voiture et mon ami s’est même pris une balle dans le bras. Pas si grave, j’ai réussi à lui faire une suture mais bon, maintenant, nous sommes à une trentaine de kilomètres de la frontière sans véhicule et avec la milice aux fesses…
— Laisse-moi deviner… Tu veux que je vienne te chercher… C’est ça ?
— Bah… oui. »
Jennifer entendit que Yao se redressait dans son lit. Il eut un échange avec la fille qui était avec lui dont elle ne sut si c’était un début d’embrouille ou tout simplement qu’elle n’était pas du matin.
« Ouais, finit par reprendre Yao. T’es au courant que je ne rase pas gratis ? La petite dame à côté de moi est pas mal intéressée par mon compte en banque et mon corps. Peut-être qu’aussi, elle tient aussi à ma peau. Moi aussi d’ailleurs. Une petite expédition pour aller sauver tes fesses, c’est pas neutre.
— Tu veux combien ? » coupa Jennifer.
Elle voulait conclure l’affaire vite. Elle était bien consciente que Yao ne viendrait pas la sauver pour ses beaux yeux. Au fur et à mesure des années, en prévision d’une situation pareille, elle avait mis secrètement des fonds de côté sur un compte aux îles Caïmans. C’était Robert Carpenter, le rédac-chef de Newsweek, qui le lui avait conseillé. L’appel aux dons pour payer l’exfiltration de journalistes pris en otage pour payer une rançon n’était pas une option. Et pas question d’alimenter les bourses des juntes militaires. Patrick n’était pas au courant. Elle préférait éviter le sujet. Son compagnon était certes conscient des risques de sa profession mais par pudeur, Jennifer estimait qu’il ne fallait pas en rajouter.
La négociation avec Yao fut ardue. Pas tant sur le tarif que pour éviter qu’il débarque avec un régiment entier et tout leur attirail.
« Ok, je vais venir avec deux gars. T’inquiète pas pour le second, c’est pas compris dans le tarif. Celui-là, c’est pour moi et mon assurance personnelle. Il m’en doit une comme qui dirait. Bref. Maintenant, t’es où exactement ? Donne-moi aussi tous tes numéros, que je puisse te joindre ou t’envoyer un message. Si tu ne me vois pas, me pointer dans les temps, c’est que j’aurais changé le point de ralliement, ok ? Donc demain, même heure. On est d’accord ? Moi, j’aurais un téléphone satellite donc pas besoin de cavaler pour chopper une antenne. Mais toi, c’est bon de ton côté ? »
Jennifer se retourna vers Aye et lui expliqua en trois quatre phrases le plan. Aye hocha la tête.
« C’est bon, on y sera. Merci.
— Tu me remercieras quand tu seras sortie d’affaire. Ok ?
— Ça marche, fit Jennifer sans vraiment comprendre la question. A demain.
— A demain. »
Jennifer raccrocha et éteint le portable.
« Nous n’avons plus qu’à rentrer et attendre. »
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