Chapitre 46 - Le laboratoire
« Ce n’était pas la peine de m’accompagner, tu sais ?
— Peut-être mais je t’avais dit que je le ferai. Donc je le fais.
— Jodie aurait pu le faire.
— Ah bon. Et là, elle est où ? Sûrement entre les bras de Morphée. »
Patrick secoua la tête.
« Ça va, ça va, j’ai compris, fit Shany. Mais j’aurais pu appeler un taxi. »
Shany pouvait tourner en rond sur un même sujet si elle ne partageait pas l’avis de son interlocuteur. Alors Patrick préféra se taire. Les sœurs avaient le même défaut, elles étaient têtues comme des mules. Shany pouvait rester silencieuse voire bouder comme une petite fille pendant un petit moment.
— Allez, monte dans mon carrosse, jeune fille.
La mine des mauvais jours de Shany amusait souvent Patrick. Pour détendre l'atmosphère, il usait souvent d’humour ou bien faisait appel aux scènes de vieux standards Disney. Patrick ne montrait guère ses sentiments et n'était pas toujours adroit mais il faisait de son mieux pour ne pas appuyer là où ça fait mal. Shany lui en était reconnaissante.
Une fois dans la voiture, Shany profita que son beau-frère était peu loquace pour effectuer un point sur la situation.
“ Bon, les essais thérapeutiques de la plante sur les symptômes de Clara sont probants. Maintenant, il n’y a quasi plus de substance excepté l’extrait précieusement conservé dans un flacon en verre. Pas folle, la guêpe ! Il y a donc nécessité de s’approvisionner urgemment pour continuer ce traitement. On évitera une greffe lourde et son lot d’effets secondaires.”
Shany se sentait exténuée. Le suivi des examens médicaux, l’analyse des données figurées en forme de schémas et autres courbes avaient participé à provoquer un intense état de fatigue. La jeune chercheuse avait réalisé ce travail de fourmi en sous-marin, loin de demander un accord à sa famille ou aux médecins. Elle avait été tendue pendant tout le temps de ses manœuvres. Elle avait dû garder son sang-froid et s’affubler d’un éternel sourire devant Clara. Cette énergie déployée avait été exténuante.
Je n’aime ni mentir, ni jouer la comédie. Enfin, c’est pour les besoins de la cause !
« Ce n’est pas le moment de baisser les bras, marmonna-t-elle pour se donner du courage.
— Que dis-tu, Shany ?
— Oh, rien, je réfléchis à voix haute. Pardon.
Et elle repartit dans son monologue. Patrick avait appris à lire sur le visage de Shany. Il se rendait compte qu'elle cogitait intensément. Ses pupilles se rapprochaient et elle se pinçait le nez. Il la connaissait suffisamment pour savoir quand rester en retrait. Cette posture laissait libre cours à la réflexion de la jeune fille.
Si je parviens à faire analyser l’extrait de la plante et à trouver ses nom et origine, ce sera un grand pas. Pour ça, le mieux est de passer voir Firmin à l’université. Je vais lui demander de caractériser la plante et ses feuilles pour obtenir son nom, où elle pousse, et la période de floraison. En parallèle, je me rends à Perros Guirec, retrouver Milo pour qu’il transmette les informations autour de la plante et de la potion qu’on en tire.
Shany se sentait ragaillardie. Sa fatigue ne l’empêchait pas de trouver des pistes pour trouver le sésame qui ouvrirait la porte de la guérison de sa nièce.
*
« Hello, hello, là-dedans ! » fit Shany en entrant dans le laboratoire du CHU de Châtenay-Malabry.
En tant qu’étudiante en pharmacie de cinquième année, elle avait accès à une partie des laboratoires et elle en était assez fière. Elle avait décidé aussi d’en tirer partie. Romain, le garçon posté devant une paillasse qui la fixait depuis son entrée tonitruante, leva les yeux au ciel.
« Sha, je te l’ai déjà dit, tu ne peux pas débarquer comme ça au labo quand ça te chante.
— Moi aussi, je t’aime. » dit Shany en posant une bise sonore sur la joue.
Romain était une des rares personnes avec qui la jeune fille se permettait une telle familiarité. Le jeune homme était calé niveau recherche. En effet, après avoir été élève à l’Institut des Sciences des Plantes de Paris-Saclay, il y avait travaillé deux ans en remplacement d’une chercheuse alors en congé parental. Lorsque Shany avait débarqué sur le campus, c’était lui, le premier à s’être proposé pour l’aider à découvrir les lieux. Cet élan altruiste n’était pas désintéressé de sa part, Shany avait tout de suite repéré certaines attitudes qui ne trompaient pas, mais à ce moment-là, elle était encore avec Mathieu. Était-ce typiquement français, il n’avait pas changé d’attitude pour autant, une fois l’information révélée et au contraire, il avait semblé un peu moins gauche dans son comportement. Sûrement que l'ambiguïté levée, il se trouvait plus à l’aise dans ses rapports avec la gente féminine. Ils devenaient de parfaits amis. C’était à croire que leurs hormones étaient de vraies plaies pour eux et qu’ils ne savaient pas comment les canaliser. Pour le cas de Romain, cela induisit deux ou trois invitations en soirée en compagnie d’un petit groupe d’amis à lui et lesquelles furent des plus agréables. Shany avait découvert à cette occasion, une facette très séduisante du jeune homme lorsqu’il parlait de sa passion pour tout ce qui touchait de près ou de loin à la systématique. Plantes, animaux, éléments, Romain étudiait et surtout retenait tout. Sa mémoire était phénoménale. Alors quand il s’agissait de lui ramener un échantillon de matière pour qu’il l’identifie, c’était son dada.
Elle posa son sac sur l’angle de la paillasse et plongea la main à l’intérieur pour en ressortir un petit tube à essai soigneusement scellé.
« Pourrais-tu m’analyser la composition de ceci ? Il s’agit d’une plante mais laquelle ? Romain, je t’en prie, c’est important. »
Romain haussa les épaules et respira un grand coup. Il était inutile de lutter quand Shany avait décidé de ne rien écouter. C’était un de ses traits de caractère qui avait le don d’agacer n’importe qui en quelques secondes mais c’était aussi le même aspect de personnalité qui, à la longue, pouvait forcer le respect en dépit de tout. Romain savait pertinemment qu’au bout du compte, il céderait à la demande mais par principe, il préféra laisser planer le doute.
« Pas sûr d’avoir le temps pour ça, mais je peux savoir d’où ça vient et ce qu’on pourrait risquer de découvrir ?
— Ne t’inquiète pas. Il n’y a rien d’illégal, ni de dangereux. Pour répondre à ta première question, c’est un truc que j’ai ramené de Bretagne, qu’on m’a donné sur un marché. »
La chamelle, se dit Romain. Shany avait complètement ignoré le conditionnel qu’il avait pris soin d’utiliser. En était-elle consciente ou bien était-ce qu’elle n’ y avait pas prêté attention ? Shany était américaine et il n’était pas impossible qu’elle ne fasse pas cas de la nuance.
« Et pourquoi veux-tu savoir la composition ? Ce n'est pas marqué sur l’étiquette ?
— Ben non gros malin ! fit Shany. Sinon tu penses bien que je ne serais pas ici. Et pourquoi ? Disons qu’il se peut que j’ai fait quelques expériences avec, et que certaines observations m’aient conduite à conclure qu’il y avait peut-être là dedans un principe actif intéressant.
— En clair, tu ne veux rien me dire. Dis-moi… Tu travailles pour une agence gouvernementale ?
— Si je travaillais pour une agence, tu ne crois pas que je ne te demanderais rien ? Sinon ça voudrait dire que mon gouvernement serait bien pauvre.
— Félicitations, Mademoiselle, vous arrivez à la fois à me rappeler que je suis un idiot et qu’en plus vous avez raison… Ça devient déprimant.
— Désolée… Je ne pense pas que tu manques d’intelligence. Je ne serai pas ici sinon en train de te demander un service..
— Je veux bien te pardonner mais ça va te coûter un déjeuner et peut-être un dîner pour les résultats. Ça te va ?
— Ça me va. Je repasse d’ici deux heures. Tu penses que tu en auras pour longtemps pour les résultats ?
— Je fais mon possible. Ce n’est pas à toi que je vais apprendre que cela dépend de la composition de ton truc. Si ce sont des éléments banals, ça peut aller très vite. Sinon… On verra.
— Je t’appelle quand j’ai du nouveau.
— A toute à l’heure alors !” fit Shany en attrapant la poignée de la porte de sortie.
Romain lui fit signe de la tête et Shany s’éclipsa.
*
Shany déambula sur le campus de l’hôpital. Elle ne pouvait pas retourner chez elle. Le trajet aller-retour serait trop long. Elle alla donc à la bibliothèque, et entreprit d’avancer sur la rédaction de son mémoire. Le fonds documentaire mis à la disposition des élèves lui était souvent d’un réel secours. Plongée dans ses recherches, elle ne vit pas le temps passé. A seize heures, Romain lui envoya un SMS pour lui demander de repasser au labo.
« Tu en as mis du temps. Tu as une bonne nouvelle ?
— Malheureusement, non. J’ai beau chercher. Impossible d’établir un lien avec une quelconque famille de plantes.
— Ha, ça ne m’aide pas. Je suis désolée dit-elle dans une grimace qui en disait long sur sa déception.
— En revanche…
— En revanche quoi ? fit Shany pris soudain d’un regain d’espoir.
— T’emballe pas… Mais j’ai récupéré la composition moléculaire du produit et je ne peux pas en être certain à cent pourcents mais de toute évidence, il devrait avoir des propriétés très intéressantes.
— Lequelles ?
— Je ne sais pas dire mais les possibilités de recombinaison avec d’autres molécules sont énormes.
— Ca pourrait agir comme un médicament ?
— C’est quasi certain… Après bénéfique ou pas, je ne sais pas dire.
— C’est super ! Mais du coup, si tu as la composition chimique de la molécule, tu crois qu’on pourrait la synthétiser ?
— J’en doute. Faudra avoir la plante en question pour identifier comment la plante est fichue. Tu sais, en chimie, la théorie veut qu’il soit sur le papier tout à fait imaginable de synthétiser tout et n’importe quoi. Mais en pratique, c’est un autre son de cloche. Déjà, il faut trouver la formule pour concevoir une molécule stable. Après il y a la complexité. Celle dont on parle, c’est un sacré bestiau. Honnêtement, pour trouver la formule, seule Mère Nature avec ses milliards d’années a pu tomber dessus par hasard.
— Ah, fit Shany en ne cachant rien de sa déception.
— Mais où as-tu dégoté ce truc ? C’est incroyable !
— Pardon, je ne peux pas te le dire. Tu me prendrais pour une folle qui n’a aucune éthique et a tout oublié de la démarche scientifique et ses règles.
— Sha, tu me fais peur, des fois. Tu es bien énigmatique. On peut être scientifique et être ouvert, tu sais ? » dit-il sur un ton provocateur.
L’américaine rit de bon cœur.
« Allez, je te le dirai bientôt. Pour l’instant, motus et bouche cousue.
— Pfffff, ce n’est pas drôle, je voulais entendre du croustillant, moi !
— Ca attendra un peu. »
Romain vit que Shany allait partir.
« Tu t’en vas déjà ? Tu n’as pas le temps de prendre un verre ? »
Shany s’attendait à cette question. Comme d’habitude, elle n’avait pas anticipé de réponse et n’en avait pas vraiment envie. Mais l’ayant sollicité pour un coup de main, elle se sentait redevable. Alors elle s’entendit répondre à son insu :
« Oui, pourquoi pas.
— Parfait. Laisse-moi cinq minutes pour plier mes affaires. Zou, on y va ! »
Et c’est ainsi qu’elle quitta le laboratoire en compagnie de Romain.
Ce “verre” fut loin d’être inintéressant. D’une part parce que son ami avait de la conversation mais aussi parce que ce dernier, emballé par la découverte d’une nouvelle molécule, se mit à disserter sur le fait qu’on avait beau se dire à l’époque moderne, il n’en restait pas moins que la chimie actuelle n’inventait rien et ne faisait que reprendre des molécules existantes pour les utiliser. Pas de créativité.
Cela dit, tout aussi intéressante la discussion fût-elle, Shany prit congé vers vingt heures pour regagner l’appartement des Récollets.
Annotations
Versions