Chapitre 56 - Riomaggiore
Ils arrivèrent à Riomaggiore un peu avant onze heures. Malgré une température plutôt froide ainsi qu’un soleil qui semblait jouer à cache-cache avec les nuages, le paysage des cinq terres restait époustouflant. Les couleurs pouvaient bien sembler un peu plus fades qu’à la haute saison, elles restaient plus vives qu’ailleurs sur cette portion de côte de la péninsule italienne. Aux abords de l’ancien village de pêcheurs, on avait une impression étrange à la fois d’harmonie et d’équilibre en même temps qu’on observait un empilement irrégulier d’habitations de toutes les couleurs qu’on aurait jetées de manière anarchique ça et là. Ce n’était pas encore la saison haute pour le tourisme, Joly trouva donc une place de stationnement facilement. Le parking étant excentré, il leur fallut prendre la navette qui les conduisit dans le centre.
« On file de suite à la Mairie ? demanda Joly.
Jennifer acquiesca et ils entrèrent dans le bâtiment. La personne à l'accueil leur indiqua le chemin pour accéder aux archives. En entrant dans le local, une femme vint à leur rencontre. Elle était vêtue d’une robe rouge vif et d’un chemisier blanc, le tout était très élégant. Ses paupières étaient soulignées d’un léger trait d’eye-liner qui mettaient soigneusement en valeur ses yeux enjôleurs. Joly pensa que le personnel devait être trié sur le volet et recruté sur la base du physique.
« Bonjour Madame, bonjour Monsieur. Je suis Andréa. Avez-vous une recherche particulière ?
— Bonjour, je suis Jennifer Hall et voici Laurent Joly. Nous effectuons des recherches sur le peintre Battaglini.
— Ha oui, je vois, il a vécu dans cette ville et il a peint quelques peintures.
— Oui, c’est cela. Nous cherchons une maison où il aurait vécu. Nous n’avons pas l’adresse précise, mais savons que la demeure était nommée “il boschetto” en 1846. Est-ce que ce nom est encore d’actualité ? Nous ne le savons pas. Elle serait dans le quartier du château.
— Le mieux est de consulter le fichier. Si le nom a été déposé, il sera facile d’en retrouver la trace. Les actes de vente mentionnent en général le nom donné aux bâtiments. Suivez-moi, je vous prie. Nous en aurons le cœur net d’ici quelques minutes. »
Andréa les mena dans une pièce aux quatre murs blancs. Le plafond était encaissé et présentait une moulure magnifique. Joly admirait cet ouvrage très fin.
« Prenez un siège. Je vais me connecter au fichier numérique. Il est un peu long à s’ouvrir car le système mériterait une mise à jour. Mais l’important est que nous obtenions l’information, n’est-ce pas ?
— Bien entendu, répondit Joly en français. La jeune femme ne s’en formalisa pas.
— Ha voilà, je vais taper la requête en précisant le quartier ainsi que le nom de la maison. »
La demande fut envoyée, le temps de réponse dura tant qu'il lui semblât que l’ordinateur ne livrerait jamais la réponse.
« Ha, il semblerait que vous ayez de la chance. Le nom a bel et bien traversé les siècles. Voici l’adresse exacte. Un instant, je lis les informations… A l’époque que vous mentionnez, la maison a appartenu à une femme : Fiorenza Esposito. Ensuite la maison est passée dans les mains de la famille Calabra par héritage. Les descendants en sont toujours propriétaires.
— Par héritage ? Calabra, c’était le nom du mari de Madame Esposito ?
— Pas du tout, il semblerait que les Calabra étaient ses parents, enfin, à elle, car le mari était décédé au moment de la succession.
— Il y a un truc que je ne saisis pas. Vous dites que la propriétaire s’appelle Esposito mais ses parents sont Calabra. Esposito, c’est le nom de son époux ?
— Pas du tout, les papiers indiquent bien que Esposito est son nom de jeune fille.
— Veuillez m’excuser mais pourriez-vous rechercher si cette maison à appartenu à Sergio Battaglini.
— Bien entendu. Je lance la recherche. Huuum, non, il n’y a aucun nom qui ressort. Je tente avec plusieurs orthographes… Non…
— Ha, c’est étrange. Je peux me permettre de vous demander si vous connaissez la famille Calabra ?
— Bien entendu, c'est une des plus anciennes familles de la ville. Ils tiennent une auberge Le Jardin d’Eden. Tous les habitants y sont allés au moins une fois pour offrir une chambre à sa famille, fêter un anniversaire, un baptême, etc. Vous les trouverez facilement. Attendez, un instant, je vais vous donner l’adresse. Vous pouvez même y aller à pied.
Andréa écrivit nerveusement sur son calepin puis déchira un feuillet qu’elle tendit à la journaliste. Jennifer vérifia que l’écriture était bien lisible.
— Hé bien, il ne nous reste plus qu’à vous remercier. Vous nous avez réellement aider.
— Grazie mólto. » s’empressa de dire Joly dans un sourire enjôleur en se levant.
« Je vous reconduis jusqu’à l’ascenseur. »
Une fois dans l’ascenseur, Jennifer se moqua une nouvelle fois de son compère.
« Dites, vous avez appris des formules toutes faites pour draguer les filles du pays ?
— Pourquoi dites-vous ça ?
— Vous croyez que je ne vous vois pas arriver avec vos gros sabots ? Dès que vous le pouvez, vous vous adressez aux belles femmes avec votre sourire de Casanova avec un grazie mólto par-ci du segnora par-là.
— Je cherche juste à être poli. Vous voyez le mal partout, rétorqua-t-il.
— Le mal ou le mâle ?
— Oh, très drôle, je capitule, allons manger. Qu’en dites-vous ? »
*
Ils demandèrent leur chemin aux passants ce qui permit de vérifier que l’enseigne “Le jardin d’Eden” était largement connue. Tout proche, ils s’installèrent à une trattoria en attendant le début d’après-midi. Depuis leur table située près de la rue, ils regardaient les badauds tout en discutant autour de leur prochaine visite.
« Bref, dites, c’est étrange, non, que la maison n’ait jamais appartenu à ce fameux Battaglini ?
— Oui, nous allons tenter d’élucider ça. Il y a peut-être eu un prête-nom lors de l’achat.
— Pourquoi Battaglini n’aurait pas acheté la maison à son nom ?
— C'est un mystère. Il y a beaucoup de choses inexplicables. Finalement, sa biographie est assez succincte. Son décès reste mystérieux. Pourquoi demander le soutien d’un mécène ?
— Autre mystère : si la maison a appartenu à Fiorenza Esposito, que la même maison a fini dans le patrimoine de la famille Calabra et que les Calabra sont les parents de Fiorenza, pourquoi s’appelle-t-elle Esposito et non Calabra ?
— Peut-être une donation vu que Battaglini n’a pas eu d’enfants. J’espère bien que notre périple nous conduira à trouver les réponses à ces énigmes.
— Bon, il est quatorze heures trente. Andiamo ! »
Le duo arriva aux abords de l’auberge des Calabra. Une odeur de fumet de viande emplissait le lieu. La salle était basse de plafond avec des poutres apparentes. Tout le mobilier était en bois comme figé dans le temps du dix-neuvième siècle. Un espace bar avait été aménagé sur la gauche. Une porte battante avec une plaque de métal sur le bas pour protéger des coups, au fond de la pièce suggérait l’emplacement des cuisines. La barmaid les questionna :
« Les cuisines vont fermer. Que pouvons-nous faire pour vous ? Nous pouvons préparer un plat à emporter, si vous le souhaitez ? »
En effet, un employé habillé en blanc était en train de préparer le matériel pour nettoyer les tables et le sol de la salle à manger.
“Pardon, nous avons déjà déjeuné. Nous sommes journalistes. Nous recherchons les propriétaires de cette maison.
— Comment ça, journalistes ? Pour préparer un guide touristique ?”
Jennifer rit de bon coeur et voyant la tête de la barmaid se décomposer, elle lui sourit en répliquant :
« Excusez-moi, je ne me moque pas. Cela n’a rien à voir, nous aimerions obtenir des informations concernant un ancien propriétaire : le peintre Battaglini. La famille Calabra a hérité de cette maison. C’est pourquoi, nous aimerions les rencontrer.
— Je vois… Regardez, en haut, dans la partie toit, nous avons accroché des petites reproductions des tableaux qu’il a peints ici.”
Jennifer et Laurent levèrent la tête en direction de la toiture.
« En fait, ici, vous êtes dans la partie restaurant. Il vous faut ressortir et entrer par l’entrée de l'hôtel car les bureaux de la direction s’y trouvent. Je ne sais pas si Mme ou Mr Calabra y sont aujourd'hui.
— Très bien. Nous y allons de ce pas. Grazie mólto, répondit la journaliste en lorgnant vers son acolyte.
— Ben, vous ne manquez pas une occasion de vous foutre de moi, vous !
— Face à une caricature de Dom Juan, c’est très tentant ! répliqua Jennifer tandis qu’ils sortaient du restaurant.
— Vous me prenez vraiment pour un gamin.
— Plutôt un pote de bar.”
Sur ces échanges au ton badin, ils marchèrent d’un pas soutenu en direction de l’hôtel.
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