Chapitre 81 - Atterrissage à New-York
Laurent secoua légèrement Jennifer par son épaule lorsque l’avion débuta la phase d'atterrissage.
« Purée, j’aurais jamais cru pouvoir dormir aussi profondément. Surtout dans l’état de nerfs où je me trouve.
— Il faut croire que la tension est un peu retombée avec le fait que nous ayons le remède de Milo. »
Jennifer aurait voulu pouvoir acquiescer à cette affirmation. Elle voulait croire au miracle de la potion magique de l’espèce de sorcier italien, elle sentait une résistance qui voulait ne pas se réjouir, ne pas se faire de fausse joie, des fois qu’il soit déçu. C’était cela le grand dilemme de la vie lorsqu’on vivait avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Avoir de l’espoir mais pas trop pour éviter de souffrir quand celui-ci serait brisé.
« Peut-être. Mais je suis comme Saint Thomas, je ne crois que ce que je vois. »
Jennifer se frotta les yeux et jeta un œil du côté de sa sœur qui regarda par le hublot. Elle eut une drôle d’impression. Elle reconnaissait sans problème sa sœur mais il lui semblait que quelque chose avait changé. Elle était incapable de dire quoi exactement. Ou bien c’était elle qui ne faisait que découvrir qu’elle ne voyait plus seulement la gamine de onze ans mais bien la jeune femme de vingt-sept ans que Shany était devenue. Jennifer en avait parfois douté mais le fait est que sa sœur ne s'était pas laissée enfermer dans un pathos visqueux suite à la mort d’Hasher. Elle n’avait rien cédé. Certes, il était évident qu’elle avait ruminé, remâché cette brisure encore et encore pour au final s’en servir comme d’un carburant surtout à partir du moment où Clara avait déclaré sa maladie. Au départ, comme n’importe quel adulte sensé, elle avait trouvé mignon les affirmations de Shany sur le fait qu’elle allait devenir médecin pour guérir sa nièce. Quel enfant dans la même situation ne ferait pas preuve de telle initiative ?
Shany dut se sentir observée car elle finit par détacher son regard du paysage new-yorkais pour ficher son œil interrogateur dans celui de sa sœur.
« Un problème ?
— Non, fit Jennifer en secouant la tête. Je me dis juste qu’on va pouvoir rallumer les téléphones bientôt. J’espère que rien de grave ne s’est passé.
— Pourquoi serait-ce le cas ?
— Je ne sais pas.
— Tu sais que tu n’es pas croyable. Tu pars à l’autre bout du monde en permanence en ne donnant pas de nouvelles pendant des jours, voire des semaines, en donnant clairement l’impression que “ce qui peut arriver” n’existe pas et en fin de compte, c’est quand tu es de retour à quelques minutes de revoir les gens, que tu te mets à flipper ? Je ne comprendrai jamais comment tu fonctionnes ! »
Une fois parfaitement à l’arrêt, Laurent prit la tête du petit groupe. Comme d’habitude, le nombre de passagers était tel qu’il fallut cinq à six minutes avant de pouvoir sortir de l’avion. En attendant, de manière quasiment synchrone, les deux sœurs allumèrent leurs téléphones et ceux-ci se mirent à vibrer au rythme de la réception des messages qui s’étaient entassés sur leurs répondeurs.
« Clara est de nouveau à l’hôpital… Elle aurait été ramenée là-bas par son ravisseur… Mais qu’est-ce qui s’est passé ?
— Euh, je crois que j'ai une idée sur la réponse. Je viens de recevoir un message de Jodie : ils l'avaient prise pour une kidnappeuse. A priori, Patrick l'a reconnue et ils l'ont relâchée. Elle est retournée au boulot-là.
— Tu crois qu'il m'auraitenvoyé un message pour me le dire ! Il veut que je flippe encore plus ?
— Mais l'important n'est pas là. Pourquoi Jodie a emmené Clara aux urgences ?
— Bah baisse un peu de volume, j’essaie de comprendre la suite des messages de Pat. »
Shany se tut et son regard resta pendu aux lèvres de sa sœur.
« Elle a fait une rechute. Elle est stable mais Patrick a fait débloquer le dossier pour l’inscription pour la greffe.
— Pendant la nuit ?
— Bah si j’en crois ce qu’il me dit, oui.
— Mince… Il faut qu’on accélère et qu’on débarque à l’hôpital maintenant !
— Tu voulais qu’il fasse quoi ? C’est sa fille et son médecin insiste pour pratiquer l’opération, il ne va pas s’opposer à la soigner.
— Je sais. Mais on aurait dû lui dire la vérité pour la fugue de Clara et lui dire aussi pour le remède.
— Peut-être… Même si je suis sûre que tout ceci doit se dire en face à face et pas au téléphone si tu veux éviter que cela parte en drame. »
Jennifer ne voulait pas se dédire. C’est elle qui avait pris la décision de remettre à plus tard la révélation des choses à Patrick.
« De toute manière, là, il n’est plus temps de disserter sur ce qu’il aurait fallu faire ou non. Il faut que je file séance tenante à l’hôpital. Je ne sais pas comment elle va et si cela se trouve, on lui a trouvé un donneur et on est en train de la préparer pour l’opération.
— Tu ne crois pas que tu aurais reçu un message de Patrick si c’était le cas ?
— Peut-être ou peut-être pas. Ce n'est pas le moment de se poser la question ! »
Shany hocha la tête.
« Allez, on récupère les sacs sans traîner ! » fit Shany.
Le téléphone de Jenny vibra. Elle venait de recevoir un message. Jennifer le lut et son visage se décomposa.
« Et merde.
— Quoi ?
— Ils viennent de trouver un donneur compatible. Ils vont lancer l’opération. »
*
Patrick rangea son téléphone dans sa poche. Il était un peu hagard. La greffe lui apparaissait jusque-là comme une solution potentielle et maintenant que tout se mettait en place, le doute s’emparait de lui.
Le médecin venu lui annoncer la bonne nouvelle quelques instants pluôt, lui avait assuré que c’était préférable au stade de la connaissance que l’on avait sur la maladie de Clara. Certes la famille du donneur potentiel n’avait pas encore donné formellement leur accord mais c’était en bonne voie. Le défunt était maintenu artificiellement en vie pour ne pas dégrader l’état des organes. Ce n’était pas courant de plus qu’une possibilité de greffe intervienne aussi rapidement après l’inscription du dossier : il y avait donc doublement de raison de se réjouir. Mais voilà, Patrick ne le ressentait pas comme ça. Comment faisait-on pour avoir la certitude d’avoir fait le bon choix ? N’était qu’une question de croyance ?
Peut-être. Si seulement Jennifer avait pu être là. Oui, ils en avaient discuté longuement au téléphone. Oui, ils étaient tombés tous les deux d’accord que de toutes les hypothèses et des balances de risques, cette opération était la meilleure option. Mais comme d’habitude, Jennifer n’était pas là et c’était dans ces moments-là qu’elle lui manquait le plus. Jennifer n’avait pas de supplément de conviction en plus, elle n’avait pas non plus de supplément de croyance mais, était-ce lié à son métier ou à son enfance ou bien avait-elle cela en elle depuis la naissance, Jennifer savait décider et ensuite tenir la position quand bien même une tempête résultait de la prise de décision. C’était aussi pour cela qu’il l’aimait.
Si on remontait dans le temps, le fait de lancer son épicerie, de transformer le projet en réalité, la décision avait été prise par Jennifer et lui n’avait fait que le mettre en musique. Musique dont il était fier au demeurant mais voilà, le petit truc qui avait fait levier pour en arriver là, c’était Jenny.
Patrick aurait pu tenter d’aller se rassurer en allant parler à la sympathique infirmière de l’accueil mais honnêtement, ce n’était pas dans sa nature. Peu de personnes étaient capables de lui permettre de sortir de sa réserve, alors une inconnue, pour Patrick, c’était tout bonnement inconcevable.
Il contrôla son téléphone. Le système lui indiquait que Jennifer avait bien lu son image. Cela voulait dire qu’elle avait atterri. Pourquoi ne rappelait-elle pas ? Avec les messages vocaux et textes qu’il lui avait laissés, il lui paraissait évident qu’elle devait le rappeler dans la foulée.
Incapable d’attendre une seconde de plus, il tenta de l’appeler mais tomba directement sur la messagerie. Il leva les yeux au ciel et se laissa tomber sur un siège de la salle d’attente sous le regard interrogateur de quelques autres visiteurs.
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