Chapitre 88 - Quelques fleurs pour la route
Assis confortablement sur les canapés du salon, Jennifer proposa de sortir une bouteille de champagne de la cave.
— Très bonne idée, s’enthousiasma Patrick.
— Vous me racontez les événéments ? s’enquit Laurent. J’ai raté quelques fameux moments.
— Oui évidemment. D’abord, trinquons aux bonnes nouvelles ! Pour l'heure, l'important est que, nous parents, sommes rassurés pour Clara, Shany a réussi sa mission de soigner sa nièce. Milo a été en mesure de préparer la quantité de médicaments nécessaires. L'équipe médicale a finalement accepté un protocole qui ne vient pas d'eux. Clara est de nouveau gentil avec moi. Que demander de mieux ?
— Comme tu dis, Jennifer. Tu as raison, trinquons. Vous me raconterez plus tard ces détails. L'important est que votre fille se rétablisse et pleine d'énergie. Elle sort quand ?
— A l'hôpital, les médecins préfèrent vérifier que son état de santé est véritablement stable, que l'efficience du médicament est réel sur une durée longue. Ils veulent aussi évaluer la posologie la plus adaptée pour maximiser ses effets. Ils envisagent d'analyser la préparation de Milo, vérifier qu'elle présente non seulement des vertus thérapeutiques mais aussi analyser des effets secondaires éventuels, comme tout produit actif. Ensuite, il prévoit de nous transmettre une fiche de suivi. Nous signalerons tout signe qui apparaîtrait. Dans le cas où un symptôme surgirait, les médeciens pourront prévenir une crise.
— Contraignant, dites-moi, répondit Milo. Mon médicament est sûr !
— Le Docteur Claye m'a assuré que Clara devrait être autorisée à rentrer d'ici deux semaines. Là, il s'agira d'observer sa vitalité, l'état cutanée, ce genre de choses. Je préfère ça que de savoir Clara loin de nous encore. Ce suivi permettra de collecter des informations utiles pour produire le médicament pour soigner d'autres patients. Bref, et toi Laurent, comment se passe ton séjour dans la grosse pomme ?
— Oh, Patrick, je ne me lasse pas de cette ville qui grouille tout le temps. Gloria et moi nous voyons ces deux derniers jours, on travaille d'arrache-pied sur les découvertes liées au tableau. On tente de trouver une stratégie pour faire valoir le travail des professionnels du musée, faire connaître la peinture de Battaglini.
— Hahaha, se moqua Patrick. Tu veux dire que Gloria se montre déterminée dès qu'il s'agit de briller sur le devant de la scène internationale.
— Et puis... je tente d'avancer sur mon roman mais je n'ai pas une minute à moi, reprit Patrick qui préférait qu'on parle de lui.
— Bon, je ne suis pas certain que tu en aies le temps.
— Que veux-tu dire ? interrogea Shany.
— Nous avons tous hâte que Clara soit ici, chez elle. Je pense à organiser une petite fête dont chacun de nous se souviendra pour fêter ce retour. Fini les séjours hospitaliers de longue durée !
— Ben, tu aurais pu m'en parler, cachotier, s'exclama Jennifer.
— L'idée vient de germer à l'instant.
— D'accord, à une condition. Nous invitons Jodie, Monica, Gloria.
— Bien évidemment ! Les policiers, l'équipe médicale au grand complet, si tu veux. Je veux que ce soit mémorable !
*
Patrick s'était juré de sortir de sa coquille pour célébrer la guérison de sa fille. Gloria avait répondu à cette envie en proposant sa propriété de Water Mill. Elle y allait peu durant la période printanière et c'était l'occasion de réunir tous ceux qui avaient participé à la guérison de Clara.
Fidèle à sa réputation, Gloria avait fait appel au dernier décorateur new-yorkais en vogue en la personne de Liam Whitteker. Il avait été dépêché pour transformer la villa. Il l'avait aménagé sur le thème de la mer : la vaisselle était d'un bleu translucide et les murs étaient recouverts de parois à hublots comme dans un sous-marin.
Pendant que Patrick, habituellement si réservé, papillonnait de convive en convive, offrant des coupes de champagne et remerciant chacun d'avoir répondu à l'invitation. Jennifer se laissait à se poser mille questions : que de chemin avait-il fallu faire pour en arriver là. Elle ressentit une pointe de culpabilité en pensant à tout ce temps perdu à fuir ses responsabilités, à courir après des conflits du monde plutôt que de rester auprès de sa famille. Lorsqu’elle se remémorait tout ce qu’il s’était passé, le concours de circonstances paraissait totalement fou et improbable.
Jennifer sortit dans le jardin et observa sa fille avec son grand-père : elle était rayonnante. Cela faisait plusieurs mois qu’elle suivait le traitement et que tous les indicateurs étaient au vert. L’hôpital avait même amélioré la formule pour concentrer ses effets et les prolonger dans le temps. Depuis quelques semaines, Clara respirait librement, sans effort, comme si le syndrome de Panzuzu n'avait été qu'un mauvais rêve. Ce n'était pas un remède définitif, mais un traitement de longue durée, comme l'insuline pour les diabétiques, qui améliorait sa vie quotidienne et écartait presque définitivement l'épée de Damoclès au-dessus d'elle.
Marine était installée sur une chaise, les yeux dans le vide comme à l’habitude. Elle avait tenté de lui expliquer le motif de cette petite fête mais en vérité, Clara n’était qu’une abstraction pour sa mère.
*
Les personnes qui connaissaient Gloria se demandaient comment elle allait apparaître. Ils ne furent pas déçus. Sa robe scintillait de pierres semi-precieuses.
Jennifer tourna la tête vers Patrick qui venait la rejoindre.
— Cette soirée est vraiment réussie, Patrick. Quelle merveilleuse idée tu as eu. Regarde notre fille, qui aurait pu croire qu'elle puisse être heureuse ?
— Oui. Merci ma Jenny.
Patrick s'approcha, l'air fatigué mais soulagé.
— Qu'est-ce qu'il y a ?
Jennifer prit une grande inspiration.
— Tu sais, j'ai réfléchi, on pourrait se retrouver, après... heu... en famille. Je me rends compte que j'ai été beaucoup trop absente ces derniers temps. Je n'ai pas été là pour toi, ni pour Clara. Je veux changer ça.
— Que veux-tu dire ? demanda Patrick, méfiant.
— Je veux passer plus de temps avec vous, être vraiment présente. Je t’ai vu avec la relation que tu as avec Shany vis-à-vis de notre fille et j'ai l'impression d'avoir raté tellement de choses. On pourrait envisager un séjour original comme une sortie en bateau.
— Je ne m'attendais pas à ce type de proposition. Pourquoi pas ? Il faudra juste trouver un skipper. Un séjour en pleine mer lui sembla une évidence. Au beau milieu de l'océan, Jennifer ne pourrait se carapater bien loin.
*
La fête battait son plein, Shany et Jodie partageaient la joie de se retrouver dans une ambiance aussi festive.
— Je suis éblouie par ce cadre, on se croirait vraiment dans le Nautilus, non ? Ton beau-frère et Gloria ont mis le paquet ! Ce n'est peut-être pas le meilleur moment pour l'évoquer, mais, maintenant que tu t'apprêtes à passer ton diplôme, que ta nièce se porte comme un charme, tu vas rentrer à New York ?
Milo déambulait dans la salle. Quand il vit les deux jeunes femmes, il s'approcha d'elles.
— Ben, écoute, plus je réfléchis, dit Shany, plus je me dis que le travail de recherche me plaît vraiment.
— Ca tombe bien, ce ne sont pas les laboratoires qui manquent ici !
— Le week-end de Noël en Bretagne où je suis tombée sur Milo et toute l’histoire de Jenny et son périple en Italie… Je ne suis plus certaine de vouloir m’enfermer dans un laboratoire, en tout cas, pas tout le temps. Je ne sais pas comment le dire mais j’ai l’impression que je dois coupler désormais mon métier avec quelque chose de plus « palpable », plus ancré dans la réalité, vous voyez ? développa Shany en regardant alternativement Milo et son amie, lesquels paraissaient très circonspects.
Milo se servait un verre de champagne quand il entendit les derniers propos de Shany.
— Vous voudriez… L’Avventura, c’est ça ? osa Milo.
— Il y a un peu de ça. Imaginons que nous associons nos talents. Vous, gardien des secrets de la nature, et moi, exploratrice des arcanes de la science. Vous vous consacreriez à la culture des plantes, à leur cueillette et à leur préservation, tandis que je me chargerais de transformer ces trésors naturels en remèdes allopathiques. Nous noterions nos observations pour mieux comprendre les mystères de la nature et percer les secrets de la santé. On pourrait commencer par l'Italie, puis, on verrait ailleurs.
— Hé, vous vous emballez ! Vous me voyez jouer les apprentis-sorciers ?
Milo, avec ses R roulants exagérés, transformait ses propos en une véritable cascade de mots comiques. Jodie dut tendre l'oreille pour décrypter ce charabia hilarant. Elle se moqua gentiment :
— Mais Milo, c'est déjà ce que vous êtes !
*
Patrick cherchait Gloria, il voulait passer sa chanson favorite. Celle qui l'avait poussée à inviter Jennifer à danser le jour (Love Is All Around de Wet Wet Wet). Il se rendit au jardin, au premier étage, personne. Il descendait les dernières marches qui menaient à la salle où les convives profitaient de la soirée lorsqu'il vit la jeune femme débouler avec un jeune homme sur ses pas.
— Gloria, écoute-moi au moins !
— Il n'en est pas question, tu ne vois pas que le moment est mal choisi ?
Les convives se demandaient qui était ce jeune homme.
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