Chapitre 1

  Alors c'est ça, un lycée privé français, me dis-je alors que je m'aventure péniblement vers mon nouvel établissement, avec une légère angoisse qui me soulève le cœur.

  Le grand bâtiment, semblable à un ancien édifice religieux, m’apparaît comme un peu défraîchi en dépit de son aspect cossu. Les pierres légèrement rosées donnent un côté moins austère à ce lieu dédié au savoir et à la connaissance que je vais dorénavant fréquenter. Je prends un instant pour regarder ma montre. 7:38, il est encore tôt, mais je préfère être en avance.

  Les grilles sont ouvertes, et laissent entrevoir de grands panneaux indiquant les classes ainsi que les élèves qui s'y trouveront pour l'année à venir. Il n'y a que six panneaux, il y a donc six classes, et apparemment nous sommes une vingtaine par classe. C'est un petit bahut, c'est pas plus mal, ça me changera.

  Je m'avance et franchis le portail bleu, la cour me semble petite, il n'y a pour l'instant que quelques personnes à l'intérieur ; certainement un surveillant et des élèves. Je m'aventure vers le panneau et recherche mon nom. Evans … Evans … Ah ! Nathan Evans, je suis en 1ère B. Tandis que j'observe le panneau, un homme chauve d'une cinquantaine d'années, élégamment habillé, à l'allure très sportive et au pas pressé s'approche de moi et m'accueille.

– Bonjour jeune homme, vous devez être une de nos nouvelles recrues, bienvenue à Sainte Marthe. Je suis Monsieur Lecoq, le CPE du lycée.

– Bonjour Monsieur, lui dis-je un peu intimidé, merci de votre accueil, je suis Nathan Evans, Madame la Directrice a dû vous expliquer, j'arrive tout droit de …

  À peine ai-je le temps d'achever ma phrase qu'il répond :

– Vous êtes notre petit anglais, c'est bien ce qui me semblait à votre allure.

  Que veut-il dire par là ? Mon allure ? Je sens mon cœur palpiter davantage, je n'étais déjà pas très à l'aise en arrivant dans cet environnement nouveau, sa remarque que je ne saisis pas accentue mon stress. Serait-ce mon manque d'expressivité, emblématique du flegme anglais ? Serait-ce ma tenue vestimentaire ; sobrement élégante mais discrète ? Serait-ce …

– Madame la Directrice m'a expliqué que vous nous venez tout droit d'Angleterre et que votre Maman a souhaité vous inscrire dans notre petit établissement privé. Elle m'a aussi dit que vous parliez très bien français et que vos résultats scolaires étaient satisfaisants.

  Ce monsieur était bien informé. Je suis né à Polperro, un petit village de pêcheurs au sud-est de l’Angleterre, d'un père anglais et d'une mère française. Nous avons vécu en Angleterre jusqu'à mes 10 ans, puis nous avons ensuite déménagé près de Nantes en France jusqu'à mes 12 ans pour le travail de mon père. Nous sommes ensuite retournés en Angleterre près d'Ashford pour ces mêmes raisons. C'est quatre ans après, c'est-à-dire l'été dernier, qu'avec ma mère et mon petit frère nous avons quitté l'Angleterre précipitamment pour habiter près de Nancy en Meurthe-et-Moselle.

– Nous espérons que vous vous plairez ici, c'est un établissement aux valeurs familiales, alliant exigence et bienveillance.

  Je sens la pression diminuer à mesure qu'il me présente l'établissement. Sous ses airs un peu sévères, je sens que cet homme est juste et aime son métier. Cet établissement sera très différent de mon ancienne école, la Canterbury High School. C'est un nouveau départ.

– Votre classe se trouve au premier étage, au fond du couloir à droite. Les élèves se connaissent tous pour la plupart, c'est un petit établissement et il est fréquent d'y voir les mêmes élèves de la maternelle à la Terminale. Vous figurez parmi les rares nouveaux.

  Je le laisse achever son discours et le remercie chaleureusement pour son accueil. Je ne souhaite rien laisser paraître, je souris et m'empresse de rejoindre le hall pour me rendre devant ma salle de classe. Je suis effrayé intérieurement, de nombreuses questions se bousculent dans ma tête à mesure que j'avance. Un nouveau départ, c'est ce-dont j'avais réellement besoin, mais c'est ce qui me terrifie le plus.

  Un sentiment de solitude, de peur et de tristesse m'envahit. J'avance tout en pensant aux raisons qui nous ont forcés à quitter l'Angleterre. C'est évident. Ce nouveau départ est nécessaire. Mais, tout aurait pu être différent si … À cause de moi … La colère prend le pas sur toutes mes émotions, et dans ces longs et hauts couloirs dont le parquet ancien craque à chacun de mes pas, je ne peux m’empêcher de lâcher ces quelques mots :

– Non, je ne veux pas revivre ça !

  Une voix s'élève derrière moi :

– Qu'est-ce que tu ne souhaites pas revivre ?