Chapitre 6

  Je n'ai pas dit toute la vérité à mes camarades au sujet des raisons qui nous ont poussé à quitter l’Angleterre. Le divorce de mes parents en est une, bien sûr, mais l'autre me concerne directement. À la fin de l'année scolaire, j'ai été victime de plusieurs agressions qui ont précipité notre départ.

– Non Mum, j'ai juste heurté un mur à l'école, tu connais ma maladresse.

  Je vois à son visage qu'elle se détend et est soulagée. Le calvaire par lequel je suis passé l'a profondément marquée, et elle s'est jurée qu'aucun mal ne nous arriverait à l’avenir. Le ton s'apaise et nous discutons de notre journée le temps de la préparation du repas.

  À table, Jonas parle beaucoup de ses nouveaux copains et s'attarde sur les expressions françaises et lorraines que ces derniers lui ont enseigné ; que je découvre également. J'en profite pour dire que j'ai rencontré des camarades de ma classe et qu'ils sont très accueillants, puis je demande à Mum si je peux aller à l'anniversaire de l'un d'entre-eux le week-end prochain.

– C'est bien que tu te fasses des amis Nate, sois juste vigilant à ne pas t'attirer d'ennuis comme …

  Il m'est difficile de savoir qui a été le plus traumatisé par mes agressions. Visiblement ma mère se sent coupable, alors que je suis le seul responsable. Elle poursuit :

– Je ne voudrais pas qu'il se passe des choses comme l'année dernière à cause de cette fille.

– Non Mum, je t'assure que je ferai attention et que je ne ferai plus la même bêtise qu'à Canterbury. J'ai compris la leçon et …

– Pense à ce que je t'ai dit, tu as le temps avant de trouver une fille bien, et tes camarades ne sont pas obligés de savoir ce qu'il t'est arrivé. Être discret est une bonne qualité, surtout à l'école.

– Oui Mum, je ferai très attention. Alors tu crois que je pourrais quand même y aller à cette fête ?

  Ma mère acquiesce difficilement, puis Jonas reprend le contrôle de la discussion, expliquant que sa prof de SVT leur avait annoncé qu'ils feraient des dissections cette année et que par conséquent, il aimerait apporter son couteau à charcuterie. Le repas s'achève par des rires et une explication sur la différence entre couper du saucisson et disséquer un animal.

  J'embrasse Jonas sur le front et je serre ma mère dans mes bras avant d'aller me brosser les dents et me mettre en pyjama. Je me déshabille devant le miroir de la salle de bain pour ensuite enfiler mon t-shirt et mon boxer pour aller au lit. Je pose mon regard sur mon torse mince et imberbe. J'observe les quelques entailles cicatrisées qui m'ont été faites quelques mois plus tôt sur le torse et les bras. Ça me donne un coté guerrier, un guerrier poids-plume, mais un guerrier quand même ! Chaque cicatrice est un souvenir douloureux que j'essaie de faire semblant d'oublier.

  Une fois au lit, je repense à cette journée de rentrée, mais aussi à ce qu'a dit Mum. À cause de cette fille. Je me laisse submerger par mes pensées. Si j'avais été honnête dès le début, rien de tout cela ne serait arrivé à Canterbury. Je voulais faire comme tout le monde. Je lui ai aussi fait du mal quand je l'ai rejetée, alors c'est normal que j'en paie le prix, non ? C'est moi qui ne suis pas normal dans cette histoire. C'est moi le fautif. C'est à cause de moi si on en est tous là, je suis responsable pour tout.

   Je peine à chasser ces idées et je décide de prendre mon téléphone pour écouter de la musique dans mes écouteurs. Je réponds également à Louis que je serai présent à sa fête et je le remercie à nouveau. Je pose mon téléphone et commence à fermer les yeux.

  L'image de Louis me reste longuement en tête. Son attitude si confiante, son large sourire malicieux, et ses yeux candides, d'un bleu si clair qu'on aurait pu y voir l'azur.