Chapitre 15

  Les derniers mots de Louis habitent mon esprit et auraient presque effacé le reste de cette journée riche en émotions. Je suis conscient du fait que je m'emballe, mais ses mots ont eu comme un effet thérapeutique. Étrangement, je me sens également soulagé d'avoir confié mon secret à Léonor, même si de nombreuses questions difficiles et douloureuses ponctuent mes pensées.

  Je décide de filer à la douche avant le retour de Mum et de Jonas.

  Déshabillé, je fais face à mes cicatrices et me remémore comment chacune d'elles a cruellement transformé ma vie. Au lieu de les ignorer, je me décide à les observer et même à les survoler du bout des doigts. Le léger relief rugueux de ces entailles me replonge dans ce moment ignoble. Elles font partie de moi. Pour la première fois, j'accepte de les porter sur ma peau.

  Je saute dans la cabine de douche où l'eau chaude coule déjà. Mes pensées sont immédiatement tournées vers Louis alors que l'eau recouvre mon corps. Je repense au contact de son index sur mon menton, à son regard pénétrant. Mes pensées ravivent une image que j'avais oubliée : Louis, dos à moi, exposant son corps harmonieux dans les vestiaires. J'ai envie de me laisser aller, mais mon fantasme est brutalement dissipé par un bruit sourd dans l'entrée : Jonas est rentré du rugby. Je reprends mes esprits et m’empresse de sagement me laver.

  Je décide d'aller saluer mon petit frère qui est en train de dévorer un paquet entier de gâteaux dans la cuisine.

– Salut ! Alors ça a été ta journée ? Et le sport ?

– Salut Nate ! Oh oui j'ai eu mon premier cours de technologie, c’était super. Et mon équipe de rugby est super géniale. Les gars m'ont déjà appris des tas de mots. D'ailleurs tu sais comment on appelle les gens qui encouragent les joueurs dans les stades ?

– Des supporters ?

– Oui ! Comme on dit chez nous ! En fait c'est super facile le français.

  Je repense à mes nombreuses lectures du Bescherelle à mesure qu'il me raconte ses fantastiques découvertes linguistiques. Attends de voir le passé simple ou les participes passés qui s'accordent ou non, tu regretteras vite l'anglais, pense-je amusé.

– Et toi Nate, ta journée ?

  Je me fige un instant et repense à toutes les choses que j'ai confiées aujourd’hui à Louis et Léonor, et en une fraction de seconde je me sens vulnérable. Je décide de ne pas me laisser submerger.

– Ça a été, dis-je avec un sourire exagéré, imperceptible aux yeux de Jonas.

  Mum est arrivée une heure plus tard et nous avons dîné des Cornish pasties que j'ai préparés en l'attendant. Ce sont de petits chaussons à la viande et aux légumes dont raffole Jonas. C'est agréable de partager un repas où Jonas est tellement concentré sur le plat qu'il en oublie de parler.

  Je fais une bonne partie de mes devoirs pour la semaine prochaine, en passant un temps conséquent sur les exercices de sciences physiques qui me paraissent si abstraits.

  Je me couche vers 23:15, partiellement satisfait de mes progrès dans ce domaine. Je décide d'écouter un peu de musique pour me détendre, et je remarque que j'ai reçu deux SMS. Le premier est de Louis. « Trop content qu'on ait parlé, merci Nathan t'es vraiment un mec bien. Vivement demain ! Good night ». Le second SMS est de Léonor : « Re Nate. J'espère que tu vas bien. Tu peux me faire confiance pour les choses dont on a parlé aujourd’hui, et je suis là si tu as besoin de parler encore. Je te trouve courageux … Ciao ».

  Je ferme les yeux, un sourire aux lèvres, puis mes pensées me submergent comme elles le font avant que je m'endorme. Je fais confiance à Léo, mais si elle faisait une gaffe ? Si cela venait à se savoir au lycée ? Qu'est-ce que je suis exactement ? Louis me plaît, son corps me plaît, alors est-ce que je suis … Je n'ai pas le courage de mettre de mot pour le moment. Une question qui ne m’avait pas encore effleuré vient troubler davantage mes pensées confuses. Comment l'annoncer à Mum ?