Chapitre 25

  Ce matin, la météo pourrait rivaliser avec les stéréotypes londoniens : la pluie tombe en trombe et le ciel est couvert d'épais nuages gris, dissimulant intégralement le soleil et ses rayons réconfortants.

  Je me rappelle qu'hier j'avais oublié de faire mon sac pour la matinée de cours à venir. Je m'empresse de sélectionner le nécessaire avant d'aller prendre le petit-déjeuner. Lorsque je sors mes affaires de la veille pour les ranger, un petit morceau de papier plié coincé entre deux cahiers tombe au sol. C'est quoi, ça ?

  J'ai toujours été très soigneux, je le suis d'autant plus depuis que nous n'habitons plus qu'avec Mum, et que nos habitudes de vie s'en sont retrouvées impactées, alors ce morceau de papier qui se trouve négligemment dans mes affaires n'est pas à moi, c'est certain. Je le déplie délicatement et lis les quelques mots inscrits à l'encre noire « Je sais qui tu es ».

  Une multitude de questions m'assaillent soudainement. Qui a écrit ça ? Pourquoi ? Qu’est-ce que ça signifie ? « Qui » je suis ? Je m'efforce de ne pas tomber dans la paranoïa et j'arrive à me ressaisir. Pour le moment, personne ne sait pour moi, à part Léonor. Elle n'en aurait pas parlé, c'est impossible. Je décide de ranger ce mot dans un tiroir de mon bureau et je me convaincs que c'est une mauvaise blague qui m'a été réservée parce que je suis nouveau.

  En EPS, je constate à nouveau les regards insistants de certains garçons dans les vestiaires et il me semble entendre des messes basses me concernant. Parmi ces garçons se trouve Kylian, le camarade qui m'avait fait une remarque déplaisante au sujet de ma pudeur et de l’hypothétique petitesse de mon intimité masculine, lors du premier cours d'EPS. J'imagine un instant qu'il est l'auteur du mot trouvé plus tôt dans mon sac, mais j’abandonne aussitôt cette idée ; il ne me connaît pas du tout et Léonor ne le fréquente pas. Toutefois, je décide d’être vigilant et de faire en sorte de ne pas me retrouver seul avec lui ou l'un de ses amis.

  À la pause de midi, nous nous retrouvons au réfectoire. Marie est là, fidèle à elle-même, et je constate que Louis avait entièrement raison. C'est une fille très gentille mais assez centrée sur elle-même, qui ressent la nécessité de commenter et donner son avis abondamment. Je remarque également que cela semble ennuyer Elvira et Léonor, qui s'autorisent par moment à échanger des regards et des haussements de sourcils témoignant d'un certain agacement.

  Sitôt attablés, Elvira nous annonce que la pluie ne va pas se calmer et que des inondations sont même à prévoir. Nous prenons la sage décision de reporter notre sortie à Nancy. Hugo me paraît déçu, et à voir sa mine triste je me remémore ce que Léonor m'avait confié le lendemain de la fête de Louis. Il vit seul avec sa grand-mère car il a perdu ses parents. Pendant un instant, j'aurais souhaité avoir la force d'ignorer ma timidité pour le réconforter et trouver les mots justes pour lui donner le sourire. Hugo, c'est vraiment une bonne personne. À mes yeux il est à la fois protecteur, discret, sincère et d’une certaine manière, sage.

  Nous finissons notre repas, j'en profite pour lancer de temps à autres des sourires à Hugo. Une fois en dehors de l'établissement, nous nous saluons et chacun suit son chemin abrité sous un parapluie.

  Je suis interpellé par Léonor après quelques pas :

– Hé Nate, plutôt que de rentrer chez toi tout seul, ça te dit de venir chez moi ? Y'a du panettone pour le goûter !

  Naturellement, j'accepte sa proposition, et ce sera toujours bien plus agréable que de rester seul dans ma chambre à regarder la pluie tomber.

  Nous pressons le pas pour arriver chez elle sans être trop trempés, la pluie est si forte qu'elle étouffe le bruit de nos conversations.

  Une fois arrivés dans le hall, je reconnais quelques grossièretés italiennes sortant de la bouche de Léonor. Ça me fait sourire de l’entendre pester contre la pluie.

  Je redécouvre avec plaisir l'élégante pièce de vie de son appartement, où nous restons juste le temps de se servir à boire avant d'aller dans la chambre de Léonor. Une fois assis sur son lit, elle ne perd pas un instant pour me demander :

– Tu veux qu'on parle de quelque chose en particulier ?

  Je reconnais là toute sa bienveillance. Léonor veut s'assurer que je vais bien en jouant son rôle de confidente à la perfection. Je ne compte pas lui parler du mot trouvé dans mon sac, ce n'est pas la peine de lui causer du tracas, et puis ce n'est qu'une mauvaise blague.

  J'ai confiance en Léonor, et l'idée de lui demander si elle avait gardé secrète la confidence faite la semaine passée ne m'effleure même pas l'esprit. J'ai envie de m'ouvrir à elle, mais je n'arrive pas à me lancer.

  Léonor remarque que je suis pensif et hésitant, et dans un sourire elle se lève pour aller chercher un objet sur son bureau.

– Tiens Nate, mets ça sur tes oreilles, dit-elle.

  Elle approche de moi un superbe casque audio de belle qualité, relié par un câble à son téléphone. Elle me dit :

– J'ai une idée pour te détendre un peu, donne-moi une de tes musiques favorites. Et pas un truc déprimant, hein !

  Immédiatement, parmi l’éclectisme auquel je suis habitué, une musique sort du lot. C'est une chanson que j'aime écouter en ce moment, particulièrement lorsque je cours, la rythmique est idéale pour le sport et les paroles font sens à mes yeux.

– Ah, en ce moment j'écoute beaucoup House on fire, de la chanteuse australienne Sia.

– D’accord, alors attends je cherche sur internet … Voilà. Je veux que tu te mettes confortablement sur le lit, que tu fermes les yeux et que tu te focalises sur la musique.

– Euh … D'accord.

– Vas-y fais ce que je te dis. Je lance la musique, si le son est trop fort fais-moi juste un signe de la main. Une seule consigne : laisse-toi voyager.

  Sans réellement avoir le temps de comprendre les mots de Léonor qui me paraissent quasi-mystiques, elle lance la musique.

  Les premières notes atteignent mes oreilles. Les yeux fermés, je me laisse porter par les paroles, puis je visualise une maison en flammes au milieu de l'obscurité. Cette maison me représente en quelque sorte, comme si j'étais constamment menacé de m'effondrer dans un chaos ardent, fragilisé par les flammes. J'ai envie de me laisser consumer parfois. Cette chanson m'est toujours apparue ainsi, mais aujourd’hui je ressens une différence.

  Pour la première fois mes pensées sont alimentées par Louis. Je suis toujours cette maison en flammes, et Louis en est la cause. Non il n'est pas la cause, il est la raison de cette flamme. Je veux continuer à brûler pour lui.