Chapitre 31

  Immédiatement, je me dis que c'est le mot de la dernière fois que j'ai dû remettre dans mon sac, mais je réalise que ce n'est pas possible puisque je l'avais rangé dans mon bureau. Je le déplie et lis les mots suivants « Je sais ce qu'il t'est arrivé ». Ça ne peut pas être une coïncidence. Je compare ce mot avec le premier, et les écritures sont semblables. Quelqu'un sait ce qu'il m’est arrivé, mais quand ? À Canterbury ? Comment cela serait possible ? Je devrais en parler au CPE, mais je n'ai pas envie de faire de vagues. J'en parlerai peut-être à Léonor finalement.

  Je me surprends à penser que la personne qui a écrit ces mots ne peut pas être dangereuse, c'est trop mesquin et pas assez direct. Mais qui peut bien m'envoyer ce genre de messages ? Et dans quel but ? Je n'ai pas envie de gâcher mon week-end à penser à ce mystérieux corbeau, alors je décide de ranger ce second mot et d'oublier de l'oublier pour le moment. Si j'ai des ennuis, je ne serais pas seul, pense-je en regardant le bracelet de Louis à mon poignet.

  Je profite de cette après-midi de calme pour travailler. Je souhaite, à tout prix, rattraper ma note de sciences physiques, et également m'avancer dans les lectures de français. Ce sont pour la plupart des extraits de textes connus, assez difficiles par moment à cause de l'emploi du registre soutenu et d'un lexique daté. Je veux absolument maîtriser au mieux cette langue, pour moi, mais aussi pour aider Jonas lorsqu'il me le demande.

  Jonas est rentré euphorique de sa fête d’anniversaire, il s'empresse de me raconter qu'il a joué à la console avec un casque de réalité augmentée, et me décrit précisément chacun de ses faits et gestes pour survivre à une attaque de zombies. Je l'écoute le sourire aux lèvres, puis il me demande avec son air de chien battu si je veux bien jouer avec lui à la console ce soir, ce que bien sûr j'accepte. Jonas quitte ma chambre, tout guilleret en répétant que cette journée est géniale.

  Je me couche vers 22:00, après deux heures de jeux vidéo intenses, jalonnées de rires et de gentilles taquineries entre frères. Je décide d'écouter un peu de musique pour m'endormir et je remarque que j'ai reçu un SMS de Louis, me demandant si je suis partant pour remettre ça samedi prochain. C'est avec un sourire béat que je lui réponds. « Salut Lou, avec grand plaisir ! Merci pour ta proposition et les beaux endroits que tu m'as fait découvrir ce matin. Et merci aussi pour le bracelet, ça me touche vraiment ». J'envoie mon message sans réfléchir, et après relecture, je le trouve particulièrement niais. Il va vraiment me prendre pour un idiot…

  Le déjeuner du dimanche est un moment que nous aimons avec Jonas, puisque Mum nous prépare un savoureux plat familial dont elle a le secret. Nous profitons du temps de préparation pour faire le devoir de français de Jonas, qui porte sur les Métamorphoses d'Ovide. Jonas a surtout besoin que je relise ses phrases qui parfois sont lourdes car construites sur le modèle anglais.

  Mum nous appelle et nous mangeons un délicieux bœuf bourguignon. Ce repas est aussi l'occasion pour chacun de parler de sa semaine et des événements à venir. Jonas ne manque pas de rappeler à quel point il s'est amusé chez son ami avec le casque de réalité augmentée. Mum nous demande ensuite si nous avons déjà eu des notes. Peu fier, je lui dis :

– J'ai eu un 11 en sciences physiques… mais je m'accroche et j'ai repris ce que j'avais raté. Sinon j'ai eu 16 en français et 19 en espagnol.

– D'accord Nate, c'est bien. Je te fais confiance pour la suite. Et toi mon grand ?

– On n'a pas encore eu de contrôle, mais demain je rends un DM en français. Je pense que j'aurai une bonne note, répond Jonas.

  Pendant un instant, j'ai eu peur que Mum ne soit déçue par mes médiocres débuts en sciences physiques, mais elle me fait confiance. Je compte bien faire le nécessaire pour ne pas la décevoir. Une idée m'effleure : pourquoi je ne demanderais pas à Louis de me donner quelques cours de soutien ? Après tout, il aime les sciences, et ce serait l'occasion de passer plus de temps avec lui ! Cette possibilité soudaine me ravit, si bien que j'en souris et cela ne passe pas inaperçu.

– C'est le repas qui te fait tant plaisir mon grand ?

– Euh… oui oui Mum, c'est vraiment excellent, dis-je sans réellement mentir.

– Oui on se régale Mum, c'est vraiment meilleur que la cantine, ajoute Jonas.

  Nous finissons le repas autour de sujets légers et d’anecdotes, puis nous profitons des quelques rayons de soleil pour aller faire le tour du quartier, en bordure de ville. À la vue des champs, j'en profite pour désigner grossièrement du doigt le chemin que nous avons pris la veille avec Louis, pour que Mum et Jonas se fassent une idée des alentours.

  Les nuages gris, percés de quelques rayons de soleil offrent un spectacle que j'aime observer. Les vastes champs baignent dans une lumière naturellement tamisée, et pour une raison que j'ignore, cela me fait penser à Louis. L'étreinte amicale que nous avons partagée la veille me donne des frissons lorsque j'y repense. Parfois je me dis de faire attention et de ne pas m'emballer car Louis n'est pas un garçon fait pour moi, et parfois j'ose espérer qu'il partage un jour ces sentiments que j'éprouve à son égard.