Chapitre 33
Chapitre 33
La sonnerie de la pause méridienne retentit dans l'établissement, puis elle est rapidement remplacée par les discussions et les cris d'élèves pressés de se restaurer. Ce mardi, notre habituelle tablée de six se retrouve amputée d'un membre : Elvira est malade, la grisaille et le temps humide ont eu raison d'elle. C'est Hugo qui, sans surprise, semble le plus affecté par son absence. Généralement, il est boute-en-train et aime plaisanter lors du déjeuner, mais sa bonne humeur communicative a laissé place à une certaine retenue. Tout le monde est conscient, dans une certaine mesure, de la raison de son apathie.
C'est si évident, Hugo a des sentiments pour Elvira, mais il n'agit pas. Ce n'est pas la première fois que je réfléchis à leur situation, ils sont « normaux » eux, alors que moi, je ne peux rien espérer avec Louis. Tout pourrait être si simple, alors pourquoi ne font-ils rien ? Peut-être que je pourrais demander à Louis s'il sait quelque chose. Non pas que je veuille satisfaire une curiosité malsaine, mais j'aimerais comprendre ce qui peut empêcher deux personnes qui visiblement s'aiment de s'aimer.
À la fin de repas, Hugo suit le chemin de la gare tout penaud, et Léonor le rattrape. La connaissant, elle va faire la route avec lui et lui remonter le moral comme elle sait si bien le faire. Quelle amie exceptionnelle. Tandis que Léonor et Hugo longent la rue, Marie nous demande :
– Alors les gars, vous faites quoi cette après-midi ?
– Nate vient chez moi pour m'aider en anglais, vu que je galère encore bien cette année.
– Oh d'accord, c'est sympa, dit-elle en regardant Louis.
– Et toi ? lui demande-je.
– J'attends que ma mère vienne me chercher pour aller à l'équitation. J'en fais depuis toute petite et je dois préparer un concours pour le mois prochain. Ah tiens, la voilà !
Marie nous dit au revoir puis elle s'éclipse dans une belle voiture noire aux vitres teintées.
Nous prenons le chemin de la maison de Louis, et nous parlons des cours, du bal d'intégration, de la qualité de la nourriture de la cantine… Je prends plaisir à l'écouter, à échanger avec lui, quel que soit le sujet. Je crois que j'aime être avec lui, tout simplement.
– Au fait, j'ai remarqué que tu portais un bien joli bracelet. Ce doit être quelqu'un avec de très bons goûts qui te l'a offert, dit Louis en plaisantant.
– C'est un charmant garçon en effet, ironise-je en pensant sincèrement mes mots.
– Je ne pensais pas que tu l'aimerais autant, c'est cool. Au fait, on parlait du bal tout à l'heure, mais tu m'as pas dit ce que tu comptais porter.
– J'ai mon ancien uniforme de Canterbury, il n'y a que la chemise que je ne porterai pas, elle est bleue. Je pense en acheter une blanche demain au centre commercial.
– Hou ! un vrai uniforme, la classe !
– Merci Lou… Et toi, tu as une tenue ?
– Oui, j'en ai plusieurs, mais comme j'ai pas mal grandi depuis cet été je pense que je vais devoir tout racheter demain.
Nous poursuivons notre discussion au fil des rues et ruelles que nous empruntons. À plusieurs reprises, alors que nous longeons le trottoir, nos mains s'effleurent accidentellement, et cela génère en moi une forme de plaisir coupable. J'aimerais tant tenir sa main dans la mienne. Ce doit être une sensation si agréable.
Je reconnais, au premier coup d’œil, l'immense bâtisse devant laquelle se trouve un superbe cabriolet blanc. Nous entrons, et une grande femme blonde, au regard bleu argenté paré de lunettes rondes, nous salue. C'est le portrait craché de Louis.
– Salut Maman, je te présente Nathan.
– Bonjour Louis. Bonjour Nathan, ravi de faire votre connaissance, Louis m'a très souvent parlé de vous.
Je suis flatté par les propos de la mère de Louis et à la fois je me sens mal-à-l'aise à l'idée d’être vouvoyé. Je contiens ma timidité et je m'efforce de répondre de manière courtoise et calme :
– Bonjour madame, je suis également heureux de vous rencontrer. Merci de m'accueillir chez vous.
– Quelle politesse ! Louis devrait s'en inspirer, dit-elle en souriant.
– Bon allez on a du travail, on te laisse Maman !
– Oui j'y allais aussi de toute façon, ne m'attends pas ce soir, je risque de rentrer tard. Bonne après-midi les garçons, travaillez bien.
Je salue la mère de Louis tandis que ce dernier est déjà dans la cuisine.
– Tu veux boire un truc ?
– Je veux bien de l'eau s'il-te-plaît.
– Ça marche !
Nous montons à l'étage, et je redécouvre la chambre de Louis, les nombreux posters superposés, le mobilier en bois massif et surtout, les odeurs qui s'en dégagent. Nous nous installons au bureau et commençons par des révisions de la séance précédente. Louis pose de nombreuses questions, puis vient le temps de la conversation en anglais.
Une heure et demie plus tard, Louis propose de m'apporter des gâteaux pour faire une pause.
– On va se mettre sur le lit, on sera plus à l'aise. Je vais chercher les gâteaux, j'arrive tout de suite.
Je me dirige vers son lit et je décide de m'asseoir au bout en l'attendant. J'observe la composition de sa chambre puis je pose mon regard au-dessus de son lit où le polyptyque dépeignant le Palace Theatre me procure à nouveau un sentiment de nostalgie. Même si je n'ai aucune envie de retourner à Canterbury, Londres est une ville que j'ai beaucoup fréquentée et que je projette de visiter à nouveau. Avec Louis, peut-être ?
Il revient quelques instants après, les bras chargés de nombreux gâteaux dont l’emballage m'est familier. C'est une marque très connue en Angleterre, et c'est également la marque favorite de Jonas.
– Regarde, j'ai pensé à toi ! Je savais pas lesquels tu préférais alors j'ai pris de tout. J'ai même pris ceux-là en double, pour ton frangin.
Je ne sais pas quoi dire tant je suis séduit par la gentillesse de Louis. Je bredouille difficilement :
– Merci Lou, c'est vraiment beaucoup ! Jonas adore ces gâteaux, il va être content. Tu es vraiment attentionné.
– C'est rien du tout, ça me fait plaisir. Et puis tu m'aides beaucoup en anglais, alors c'est normal.
Nous savourons les quelques gâteaux au chocolat avant que je décide de relancer la conversation.
– Dis Lou, je me pose une question concernant Hugo… et Elvira.
– Qui ne s'en pose pas ? dit-il en haussant les sourcils. Vas-y, je t'écoute.
– Pourquoi est-ce qu'ils n'osent rien ? Je veux dire, ils ressentent quelque chose l'un pour l'autre, c'est visiblement évident, mais ils sont très… passifs.
– Tu as raison. Pour résumer, Hugo a vécu des choses très difficiles et il n'est pas encore… « guéri », et Elvira ne veut pas lui forcer la main. Même si Hugo va beaucoup mieux, il peut être un peu instable parfois et il ne voudrait faire de mal à qui que ce soit, surtout pas à Elvira.
– Je comprends mieux.
Je sens que Louis ne souhaite pas parler de ce qui est arrivé aux parents d'Hugo. Même s'ils ne se connaissent que depuis l'année dernière, il semble y avoir une amitié sincère entre ces deux garçons.
Nous poursuivons la discussion sur un tout autre sujet : les débuts de Louis au volant de la voiture de l'auto-école. Pour l'instant, il n'a appris que quelques manœuvres simples, mais il espère passer le permis très rapidement, puisqu'un joli véhicule, flambant neuf, offert par ses parents, l'attend. Nous finissons de manger en laissant les nombreuses boîtes de gâteaux éparpillées, puis nous reprenons la conversation en anglais de manière moins formelle en restant assis sur le lit.
Après avoir constaté des progrès au niveau de la phonologie de Louis, nous décidons d’arrêter là pour aujourd’hui. Je propose de l'aider à descendre la dizaine de boîtes de gâteaux à la cuisine.
Tandis que Louis range chaque boîte dans un immense tiroir quasiment vide, mes yeux se posent sur une toute petite photo accrochée sur le côté du frigo. Sur ce cliché se trouve un garçon blond d'une douzaine d'années, plutôt petit et très enrobé dont le visage est fendu d'un large sourire. Louis regarde dans ma direction et je lui demande :
– Qui est-ce sur cette photo ?
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