Chute
Elle s'était réveillé d'un coup. Elle avait essayé de se redresser, mais la chose visqueuse dans laquelle elle était embourbé l'en empêchait. Elle sentait ses poumons qui était sur le point d'exploser, privé d'un air vital. Elle cherchait dans le noir le plus complet une sortie, une échappatoire. Son corps était poussé par des forces invisibles. À droite, à gauche, en bas, en haut elle ne pouvait esquisser aucun mouvement, pauvre poupée ballottée dans cette matière qui engluait tout jusqu'à ses sens. Elle avait senti sous ses pieds une surface plane et dure. Ses pieds avaient réagi très rapidement, repoussant du plus fort qu'ils le pouvaient le seul élément rassurant qu'ils avaient pu trouver jusqu'à là.
Soudainement elle immergea. Son cerveau n'avait pas le temps de réfléchir à ce qu'elle faisait là, à ce qui aurait pu se passer si dans un sursaut de survie, elle ne s'était pas réveillée de ce sommeil qui ne semblait avoir connu aucun début. Juste une fin brutale qui l'avait amenée dans cette étendue d'eau illimitée qui malmenait ses membres. Elle s'était débattu du mieux qu'elle pouvait. L'eau giflait son visage qui restait insolemment hors du liquide glacé. Elle aperçut un rocher qui restait au-dessus de l'eau lui aussi. Elle le rejoignit comme elle pu ce compagnon d'infortune qui semblait bien plus solide qu'elle. Elle hissa son corps par-dessus sa surface râpeuse, reprenant douloureusement son souffle tandis que de rageuses vaguelettes tentaient de saisir ses chevilles, de l'entraîner de nouveau avec elles au fond de l'eau.
Elle avait essuyé son visage de ses mains gantées de noir. Autour d'elle, séparées par la rivière fougueuse qui avait manqué de la noyer, s'élevait vers le ciel deux immenses parois érodées par l'eau et les années, ne laissant aucune prise à saisir pour les escalader. De toute façon, elle ne se sentait pas de s'attaquer à la parois dans son état : encore sonnée par sa presque noyade, épuisée par son combat contre les flots. Ses Rangers – noires – étaient pleines d'eau. Elle prit le risque de les ôter et de vider leur contenu dans le torrent mugissant. Elle s'était examinée avec soin, cherchant quoi que ce soit qui aurait pu l'aider à se sortir de ce pétrin. Elle portait un curieux uniforme au pantalon noir ample et au haut blanc paré de deux bandes noires au niveau des épaules. Elle avait remarqué en dessous de son T-shirt à manche longue un étrange relief au niveau de sa poitrine. Elle avait enlevé son haut, intriguée par cette forme qui ressortait sur sa peau lisse. Elle avait découvert avec étonnement un étrange cylindre fendu qui grésillait faiblement. Elle l'avait caressé du bout des doigts et s'était prise une légère décharge électrique.
Elle avait pensé qu'il s'agissait peut-être là d'une sorte de pacemaker, s'était inquiétée de le voir ainsi abîmé. Elle s'était demandé si cela aller finir par avoir un quelconque impact sur elle. Elle avait décidé de ne pas y penser.
Une fois son haut et ses chaussures remises, elle s'était relevée, tremblotante sur son rocher. Elle avait suffisamment récupéré, inutile de repousser plus longtemps l'échéance. Elle avait bondi dans l'eau glacée, concentrant ses efforts à rester hors de l'eau, se contentant de se laisser porter par le courant. C'était là sa seule chance. Elle le savait.
Elle sentait l'eau s'infiltrer dans ses vêtements, dans sa peau, dans ses os. Elle crut mourir dans cette valse infernale à la cadence intenable que lui faisait subir la rivière. Puis enfin, l'eau s'apaisa. Un rayon de soleil perça les nuages gris qui flottait auparavant dans le ciel. Elle le sentit réchauffer sa peau, lui redonner un peu d'espoir. Elle se laissa s'échouer sur une petite plateforme de pierre immergée sous quelques centimètres d'eau. La rivière l'avait abandonnée comme un animal abandonne la carcasse de sa dernière proie. Elle avait savouré un instant le soleil.
Elle se remettait doucement de ses émotions, mais fuyait distraitement la moindre pensée. Au fond d'elle elle savait.
Elle s'était relevée et s'était mise assise sur la berge ; cette fois ses chaussures trempées n'avaient aucune importance. Elle avait tenté de s'interresser au paysage. A ces falaises blanches qui lui faisaient face, à cette végétation luxuriante qui étaient apparues autour d'elle, provenant de cette forêt à qui la roche avait laissé sa place, à cette eau cristalline qui désormais paraissait inoffensive. Mais elle n'y parvenait pas. Elle ne trouvait aucun réconfort, rien de familier.
Aucun souvenirs.
Elle avait senti une sensation vertigineuse de vide intérieur l'assaillir. Instinctivement, elle avait saisit entre ses doigts cette chose dans sa poitrine. Elle ne sentait pas son coeur s'affoler dans sa poitrine, et ça la paniquait encore plus. Elle sentait au fond d'elle que cette étrange pacemaker n'était pas étranger à ce vide qu'elle ressentait. Alors elle s'y accrochait comme on s'accrochait à notre coeur, comme pour réprimer ses sentiments en pressant aussi fort qu'elle le pouvait le cercle de métal.
Elle ferma les yeux, cherchant au fin fond de son esprit ne serait ce qu'une bribe de conversation, une image, quoi que ce soit qui aurait pu l'aider. Mais elle ne trouva rien. Juste du vide. Elle relâcha la pression sur son cylindre de métal ; les larmes envahir ses joues.
Elle était seule, elle était perdue.
Elle était sans souvenirs.
Ce fut sa dernière pensée. Puis elle s'évanouit, de faim, de soif, de fatigue. Cette inconnue s'évanouit au milieu de nul part.
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