Chapitre 135
MILAN
Le poids de mon sac de sport fait pencher mon épaule du côté droit le temps de l'attente de mon père qui termine de couper tous les interrupteurs et fusibles du compteur de la maison de vacances. Mon père a toujours la forme, il revient vers moi presque en courant m'annonçant notre départ imminent.
- Sûre que ça ne te gêne pas de m'emmener à la base militaire pour ne pas que je prenne ma voiture ?
- Je préfère prendre le temps de t'emmener là-bas plutôt que tu te chopes un contrôle de stup sur la route ! Rétorque mon père en descendant les escaliers en pierres.
Nous nous lançons un regard complice avec le sourire qui l'accompagne. Il me fait promettre que c'était la première et dernière fois avant de monter dans l'habitacle. Maman se tourne vers nous avec un regard interrogatif, Papa fait en sorte qu'elle ne se pose pas de question en lui répondant que c'est un petit secret entre père et fils. Ma soeur nous lance un regard en biais de la tête aux pieds avant de se décider de se replonger dans son portable pour m'envoyer '' Alors tu lui as tout dit ? ''. J'opine de la tête avant de regarder à mon tour le mien. Les lignes se font pénibles, petites et floues durant le trajet. Mes yeux ne suivent plus et je commence à tomber dans l'endormissement toujours portable en main. Je le sens glisser de mes doigts, j'entrouvre les yeux pour voir que c'est Lou qui me la pris pour ne pas qu'il tombe durant mon sommeil. Je me rendors aussitôt.
L'arrêt de la voiture me fait percuter la tête contre le montant de la vitre, je râle après mon père qui pour le coup n'a pas été délicat. La base militaire est déjà dressée devant nous, j'étais pourtant bien ici au chaud avec mes proches. Frigorifié par le froid extérieur, j'attrape mon sac de sport spécial armée que j'ai troqué contre celui de la maison de vacances. Maman pourra laver mes affaires cette semaine. Ma mère vient m'enlacer et sa bouche me parsème de bisous comme si j'étais un gosse. Il y a des limites tout de même ! Au loin mes co-équipiers m'attendent avec un air moqueur.
- Pouah M'man c'est bon ! Arrête la honte ! M'man on se revoit bientôt arrête ça ! Mais arrête ça ! Vas y là ! (Je me débats alors qu'elle m'embrasse encore la joue, puis elle me regarde en arrangeant la capuche de mon manteau je meurs de honte).
Mon père éclate de rire avant de me coincer la tête avec son aisselle, il m'ébourriffe les cheveux jusqu'à m'énerver. Ma grande soeur me fait elle aussi un câlin mais ça fait quand même moins con que quand c'est les darons qui m'en font devant tout le monde. La voiture redémarre dans un panache de fumée blanche avec le froid et d'un pas enjoué je m'oriente vers mes collègues pour une bonne poignée de mains ou une bise appuyée.
- Tu commences à te remettre ? Me demande Ludwig, les filles sont bien plus loin derrière.
- Il va me falloir du temps pour que je puisse refaire face répondis-je. Je ne ferme pas l'oeil une bonne partie de la nuit et si je parviens à m'endormir ce sont les cauchemars qui me réveillent en sursaut. Pas un mot à qui que ce soit ok ?
- Mais c'est normal que tu sois traumatisé ! Tu as failli mourir ! Ce n'est pas banal comme situation un crash d'avion ! Spencer réveille tout le dortoir toute les nuits parce qu'il se met à hurler ! Tu n'es pas le seul dans ce cas et d'avoir eu la frousse ne fait pas de toi une petite flipette ! On a tous des peurs MiL'ou !
Nous pressons le pas dans la cour lorsque l'on apperçoit des militaires en masse rangés à la queuleuleu. Quelle est la raison de ce rassemblement ? L'un des supérieurs nous fait comprendre par de grands signes que nous devons nous dépêcher mais aussi nous la boucler. Thunderhawk (Küchin) nous toise de ses yeux bleus-verts mâchant son chewing gum en prenant son air hautain et de glace qu'il sait si bien faire. Mes sourcils froncés, il comprend que je me pose des questions.
- Test de dépistage de stupéfiants affirme t-il d'un hochement de tête. Ça a déjà commencé pour l'instant les gars sont cleans ! Quoi que j'ai parlé trop vite... Regarde Peeper s'est fait chopper ! Il va manger cher le mec ! Toute substance illicite absorbée vaut une exclusion définitive de l'armée, il va se faire taper sur les doigts hahahaha ! Faut vraiment être con ! Du coup ils vont nous éplucher au peigne fin ! Munsch a été très clair !
Je le suis ses yeux du regard en essayant de rester neutre et de ne pas me décomposer. Les gouttes de sueur glissent le long de mon front.
- Ouais, faut vraiment être con dis-je d'un ton clair.
Je me mords les lèvres jusqu'au sang en fermant les yeux quelques secondes après que Küchin se soit retourné. Peeper c'est le gars qui m'a refilé ça pour que je me retape, quel con je suis mais quel con ! J'espère qu'il ne restera pas de traces mais d'après Papa ça reste un peu dans le sang, l'affaire de quelques jours quand c'est de l'exception. J'en ai quand même fumé deux ces jours ! La file diminue, Munsch se tient fièrement dressé en nous scruptant du regard à tour de rôle, vraiment je suis mal ! Le coeur prêt à bondir de ma cage thoracique.
- Ça ne va pas MiL'ou ? Me demande Ludwig, je m'essuie la sueur avec la manche de mon treillis. Gretel et Iseline me regardent avec un regard qui me suspecte. Ton front est trempé !
- Munsch va se faire un plaisir de me faire la peau, ça va être ma fête !
- Non ! T'as pas fait ça ?! Crie Iseline horrifiée. Toutes les têtes se tournent vers nous. Mais nan t'as déconné !
J'agite mes mains pour lui dire de se la fermer, les bouffées de chaleur m'envahissent j'ai l'impression de fondre et je n'en mène pas large.
- Mais t'es trop con ! Poursuit Gretel d'un cri étranglé. Tu veux te faire bannir de l'armée ou quoi ?! T'ain Milan c'est pas cool !
- Tu ne croyais quand même pas que j'allais vous laisser être sanctionnés sans moi tout de même ! (Je tente d'ironiser le truc, ouais bof). Nous sommes un quatuor ! Ce n'est pas chacun pour soi !
Munsch semble être très furax de notre agitation mais aussi par Peeper qui est positif au THC. Ses rangers craquent sur le sol, les pas viennent jusqu'à moi. Je me met au garde à vous, le torse bien bombé et les yeux plantés dans ceux de mon instructeur. Il triture sa moustache avant de sortir un test de son sac transparent, il me le tend.
- Tenez Bonnier au lieu de discuter je vais vous faire passer tout de suite ! Vous pissez dessus et nous on regarde ce qui va s'afficher ! Vous avez moins de trente secondes pour faire votre affaire ! ALLEEEER BOUGEEEZ !!!!! (Je sursaute presque à deux doigts de faire tomber mon test par terre).
Je m'enferme dans les toilettes au fond de la cour baisse le haut de mon pantalon et vise le test. Je ne suis pas fier de ce que j'ai fait et me faire dégager par moi même de l'armée me foutrait plus que les boules ! Tout ça pour un petit pet remontant ! Ça fait cher la taffe !
Je reboutonne mon pantalon, cette fois je suis vraiment dans de beaux draps ! La petite barre du positif commence à apparaître en flouté. Je ressors dans la cour le regard bas tendant mon bâtonnet au caporal-chef Foch qui annonce de vive voix positif.
- Vous m'emmenez ça dans mon bureau ! Déclare Munsch très en colère. Je veux tous les cas positifs derrière la porte de celui-ci ! Que je m'entretienne avec eux !
J'ai du mal à avancer car je ne sais pas ce qui m'attend derrière. Foch m'hurle d'avancer et joint à ses paroles un bon coup de pied au cul qui me propulse de quelques mètres. En tant normal j'aurai sûrement riposté mais ce n'est pas la peine d'aggraver mon cas je préfère me diriger docilement dans le bureau de mon instructeur en frottant ma fesse gauche sur laquelle le coup m'a été asséné.
- Vous attendez là ! M'ordonne t-il.
J'obéis aux ordres en me tenant debout face au bureau de Munsch. Celui-ci entre à son tour dans le but de me recevoir. La porte claque derrière moi, un coup à me glacer le sang. Je ne bronche pas ni même pour constater le fait. Son regard me mitraille, pour dédramatiser la situation en temps normal, j'aurai fait semblant de recevoir les balles et de faire mine de m'écrouler par terre mais là impossible pour moi de le faire. Mes mains sont toutes tremblantes et de la tête aux pieds je transpire abondamment ce qui apporte une odeur de mâle à l'intérieur du bureau. Munsch hausse les sourcils et son regard demeure insistant. Mon coude se replie pour me frotter le derrière de la tête, je suis vite rappelé à l'ordre pour ne pas bouger. Pas besoin de crier, je me mets directement de moi même en position de statue. C'est insoutenable pour moi, mon corps semble peser une blinde et mes pieds veulent se dérober.
- Instructeur ! Dis-je d'une voix pleine de fermeté. J'ai fauté, je n'aurai pas dû et j'en assumerai les conséquences ! L'armée représente une place importante dans ma vie, je ne me vois pas sans mon métier. Devoir porter cette minerve et de limiter mes mouvements est insupportable pour moi qui suis quelqu'un de très actif. Je ne suis pas habitué à fumer le cannabis à vrai dire c'était la première fois il y a deux jours et je n'ai fumé que deux joints dans le cadre des soins afin de guérir au plus vite pour pouvoir reprendre pleinement mes fonctions ! Je n'en suis pas fier, j'ai été débile ! C'était de l'usage thérapeutique uniquement, je ne consomme pas. Je vais me faire renvoyer et je ne pourrai m'en prendre qu'à moi même.
Munsch prend place dans son siège et me désigne le mien pour que je puisse m'asseoir. Je veille à ne pas faire de mouvements brusques qui pourraient trahir mon anxiété et je pose mes fesses sur l'assise.
- C'est plutôt honnête de votre part commence Munsch. Mais les conséquences seront très lourdes pour vous Monsieur Bonnier. L'acte que vous avez commis n'est pas anodin ! Mais enfin qu'est-ce qui vous est passé par la tête à ce moment précis ?! Qu'est-ce qui vous a fait dire, tiens et si je me roulais un joint ?! Je pensais que vous étiez un petit peu plus fût fût que ça mais visiblement... Non. C'est fort dommage pour vous ! Vous qui avez du potentiel et la tête dure ! Toute infraction de ce type entraîne une exclusion de l'armée et c'est définitif ! Rayé à l'encre rouge et indélébile !
J'acquiesce d'un signe de tête, je n'accepte pas ce qui m'arrive c'est évident mais personne ne m'a poussé à faire la connerie alors maintenant il n'y a plus qu'à écouter sans broncher et à subir les remontrances ainsi que tout ce qui va en découler.
- Oui instructeur ! D'accord c'était évident. (C'est dur d'articuler ses quelques mots les uns à la suite des autres lorsque vous avez un noeud bien noué autour de la gorge. Un filet larmoyant roule dans mes yeux et ma pomme d'Adam circule entre la naissance de mon cou et mon menton). Je vais préparer ma valise pour rentrer chez moi.
Il me regarde longuement sans fournir de réponse, je me lève en tirant ma chaise ce qui fait lourdement râcler les pieds de celle-ci sur le sol et me dirige d'un pas décidé vers la porte. Mon front me brûle tout comme la totalité de mon visage rougit par les bouffées de chaleur qui m'entêtent. Fébrile, je pose ma main sur la poignée pour l'abaisser sentant les larmes monter aux coins de mes yeux, il faut à tout prix que je déguerpisse.
- BOOOOONNIER ! Je n'ai pas terminé ! Me rappelle à l'ordre mon chef.
- Oui...
Je me retourne les mains enlacées et jointes en le regardant avec mon air penaud prêt à craquer. Ça roule jusqu'à m'obstruer la vision, je vois flou mais cela ne m'empêche pas de revenir m'asseoir en face du bureau.
- Regardez-moi ! (Je me mords la langue pour ne pas craquer et relève la tête). J'ai envie de vous dire que votre franchise vous sauve un peu Monsieur Bonnier ! Les résultats sont là ! (Il fait passer le test urinaire d'une main à l'autre). Mais effectivement la quantité est moindre d'après ce que je peux lire sur celui-ci ce qui m'amène à penser que vous avez été honnête avec moi. Votre version semble sincère alors c'est votre dernière chance ! Prochain écart c'est l'exclusion direct sans savoir le pourquoi du comment ! Vous serez testés régulièrement pour confirmer tout ça ! Et vous avez intérêt à filer droit jeune homme !
Ma tête plonge dans mes mains, je suis soulagé de ce que je viens d'entendre. Je murmure un '' merci instructeur, merci beaucoup ! '' puis souffle dans mes mains. Munsch me demande de sortir du bureau, j'obéis en ouvrant la porte manquant de faire tomber Iseline qui s'y était accrochée, oreille plaquée contre la porte. Je l'aide à se redresser, ses doigts sont toujours plantés dans ma peau.
- Dis-moi qu'il ne t'a pas viré ? Me demande t-elle.
Je soupire.
- Il ne m'a pas viré.
Elle jubile dans de grands cris de joie me sautant en cou pour m'embrasser la joue.
- Youhouhou ! Tu seras toujours parmi nous alors ! Aller viens !
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