Résidence des Damon, Sonniville, Etats-Fédérés, Exotis

Lorsque Tobias Damon ouvrit la porte de la maison, il ne s'attendait pas à voir son père. Ce dernier était dans la cuisine, en train de préparer le dîner.

— Papa ? Je ne savais pas que tu étais rentré.

— J'ai... terminé plus tôt. Tu vas bien ? demanda Hal tout en coupant une carotte.

— Ouais je...

— Le lycée m'a téléphoné tout à l'heure... Tu t'es encore fait exclure ?

— Papa... je...

— Oui ou non ? insista le père en posant son couteau et en relevant la tête vers son fils.

— Oui.

— Tu me racontes ?

Tobias souffla avant de poser son sac à dos par terre.

— C'est Clark, commença-t-il. Un vrai con ce gars. C'était en sport. On faisait du basket. Et il n'arrêtait pas de se foutre de la gueule d'une fille qui n'arrivait pas à faire un panier. Au final elle a réussi... mais après une bonne vingtaine de tentatives.

— Et tu lui as collé ton poing dans la figure ? Juste pour ça ?

— Mais... C'est pas la première fois qu'il fait ça ! Il rabaisse constamment les autres, il se croit meilleur que tout le monde, juste parce qu'il a plus d'amis que les autres, qu'il se sent plus fort et qu'il...

— Qu'il a des meilleurs résultats ?

— Quoi ?! Non... pas du tout... Pourquoi tu dis ça ? demanda Tobias qui voyait très bien où son père voulait en venir.

— Tes notes ont encore baissé, non ?

— Et alors... répondit le lycéen en haussant les épaules. Le principal c'est que je reste à la moyenne, non ? Au final je l'aurai mon diplôme.

— Tu es passé de quinze de moyenne en début d'année à dix au dernier bulletin. Avec une moyenne pareille tu auras peut-être ton diplôme... Mais tu ne seras jamais pris dans les grandes écoles.

— Mais papa... Je ne veux pas faire les grandes écoles... Je ne suis pas comme toi. Je sais que tu voudrais qu'un jour je sois à la tête de ton entreprise... Mais je suis différent. Moi je ne veux pas concevoir et produire des armes... Ce que je veux c'est devenir militaire. Je serais plus utile que de rester dans un bureau.

Hal était déçu d'entendre ça. Lui qui croyait un jour lui transmettre la direction de Rising Drake. Il ne savait pas ce qui était le pire entre entendre que son fils ne souhaitait pas reprendre le flambeau après lui, ou bien l'entendre dire qu'il souhaitait s'engager dans l'armée des Etats Fédérés. Hal avait connu la guerre sur Utopia lorsqu'il s'était retrouvé, il y a vingt ans, au beau milieu de la guerre de Dalkia. Il avait vu les horreurs de la guerre. Ici sur Exotis, il respectait tous les militaires pour ce qu'ils faisaient pour défendre le pays. Mais il ne voulait pas que son fils en devienne un. Depuis qu'il avait perdu sa femme, il avait peur de perdre son fils.

— Tu veux devenir militaire... lui répondit-il d'un air déçu.

— Oui... et alors ?

— Rien... rien. Je pense que je suis mal placé pour t'en dissuader. Moi qui produit la plupart de leurs armes. Mais sache que ça ne te donne pas le droit de tout régler dans la violence. Si tu veux entrer dans l'armée, tu devras savoir faire preuve de discipline. Tu ne pourras pas cogner tous le monde sous prétexte qu'ils ne se comportent pas comme ils le devraient.

— Mais... Il l'avait cherché ! Et puis c'était aussi pour ce qu'il avait fait hier.

— Qu'est-ce qu'il a fait hier ?

— Il a menacé un garçon, parce qu'il ne voulait pas lui filer son devoir de maths... Pour qu'il le recopie.

— C'était à ce garçon d'en parler aux professeurs ou à n'importe qui d'autre capable de gérer ce problème.

— Mais il ne l'aurait pas fait. Tous le monde a peur de Clark. Je suis le seul à lui tenir tête.

Même s'il avait des intérêts différents des siens, Hal savait que son fils était quelqu'un de bien. Il n'hésitait pas à porter secours aux élèves dans le besoin. C'était tout à son honneur, mais Tobias devait encore apprendre que tout ne se réglait pas forcement dans la violence. Mais une fois encore, est-ce qu'il était bien placé pour lui enseigner ça ? Lui qui produisait et vendait des armes...

— Tobias... je sais que ce... Clark est peut-être l'archétype du gros con... Mais la violence n'est pas le seul moyen de résoudre ça. Tu as dis que tu étais le seul à lui tenir tête et que les autres avaient peur de lui. Pourquoi n'inciterais-tu pas ceux qui le subissent à aller en parler ? Quitte à les accompagner...

Tobias réfléchit quelques secondes. Il savait que son père n'avait pas tort. Mais c'était plus fort que lui. Dès qu'il assistait à une situation injuste, il se devait d'intervenir. Et souvent, c'était dans l'affrontement.

— J'essaierai, répondit le jeune homme avant de reprendre son sac à dos.

— Bien, répondit Hal. Tache de ne plus te faire expulser des cours.

***

Pendant ce temps, dans le refuge, Cynthia avait demandé l'autorisation au Docteur Rathburn de sortir aux jardins. Elle aimait s'y rendre et y faire de la balançoire. L'endroit lui faisait penser à ces endroits magiques qu'elle s'imaginait lorsqu'elle lisait des histoires. Les fameuses forêts enchantées des contes de fées. Il y avait quelques grands arbres dont Cynthia ignorait le nom ainsi que de nombreux buissons. Des fleurs de toutes les couleurs accompagnaient l'herbe parfaitement entretenue.

La balançoire était au centre de l'espace vert qui était entouré par les bâtiments du Refuge. Cynthia ne pouvait donc pas voir ce qui se trouvait au-delà du Complexe. En revanche, tous les postes de sécurité situés à l'intérieur pouvait la voir. Toutes les caméras de surveillance placées dans les jardins étaient braquées sur elle en ce moment-même.

Comme souvent, la petite fille se posa sur la balançoire et commença à aller d'avant en arrière, tout en fredonnant une comptine. Lorsqu'elle en terminait une, elle en commençait aussitôt une autre. Elle pouvait également deviner la présence de huit gardes. Elle n'en voyait que trois. Les autres étant dissimulés par des arbres ou postés un peu plus loin derrière elle, hors de son champ de vision. Elle pouvait ressentir la peur qu'éprouvaient certains d'entre-eux.

Après quelques minutes à se balancer, elle s'arrêta net et descendit de la balançoire. Elle voulait retourner dans sa chambre. Pour cela, elle s'approcha d'une porte gardée par deux gardes. En s'approchant d'eux Cynthia put percevoir leurs battements de cœur. Ceux-ci s'accéléraient au fur et à mesure qu'elle s'approchait d'eux, pour finalement ralentir et revenir à un rythme normal lorsqu'elle pénétra à l'intérieur du bâtiment.

Cynthia esquissa un léger sourire. Elle se délectait de la peur qu'elle instaurait chez les gardes. En fait, elle ne les appréciait pas beaucoup. On lui avait raconté qu'ils étaient là pour sa sécurité. Mais on lui avait également dit que le Refuge était un endroit sûr. Cependant, si le Refuge était déjà un endroit sécurisé... Pourquoi les gardes s'occupaient d'elle, plutôt que de protéger le Refuge des menaces extérieures ? C'était l'une des questions qu'elle se posait depuis quelques semaines.

Elle se doutait bien que ça avait un rapport avec ses pouvoirs. Elle n'avait vu personne d'autres soulever des objets par la pensée ou communiquer par télépathie, ce genre de chose... Ce qui la laissait croire qu'elle était unique en son genre. Même si elle avait déjà ressenti quelque chose... Comme si quelqu'un d'autre comme elle, était parfois présent dans le Refuge. Elle ne savait pas vraiment d'où ça provenait. Quelque fois elle le ressentait plus que d'habitude. D'autres fois, elle ne le ressentait pas. Ce qui était le cas en ce moment. Comme si, cette autre personne dotée de dons surnaturels, n'était plus là ou n'avait jamais existé. À chaque fois, ça correspondait au départ de son père. Lorsque ce dernier était présent ici au Refuge, elle ressentait cette puissance. Lorsqu'il s'en allait, elle disparaissait. Mais tout ça n'avait aucun sens pour Cynthia. Si son père avait les mêmes dons qu'elle... Pourquoi les cacherait-il ? C'était la seconde question que Cynthia se posait.