Chapitre 22
Amiville, 11h30 environ
Matthias arrêta sa voiture sur l'une des places de stationnements situées au pied de l'immeuble dans lequel il habitait. Après quoi Cynthia et lui sortirent du véhicule.
—C'est là que j'habite, dit le policier en désignant l'immeuble du menton. Au septième étage.
La petite fille resta muette, comme bien souvent et se contenta de le suivre.
—Et toi, tenta Matthias pour briser le silence de la petite fille. Tu habites où ?
Le jeune homme n'obtint aucune réponse.
—Tu ne sais pas dans quelle ville tu habites ? Tu habites dans une maison ou un appartement ?
—Je sais pas, répondit timidement la petite fille. Là où je vivais, c'était pas une maison et c'était pas comme ici non plus.
La réponse étonna le policier qui essayait de s'imaginer d'où la petite pouvait venir.
—À quoi ça ressemblait cet endroit ? demanda-t-il après avoir appelé l'ascenseur.
—C'était grand, il y avait beaucoup de gris et de blanc, un jardin et des gardes.
—Tu es en train de me décrire une prison là.
—Non. Une prison c'est l'endroit où on enferme les méchants, contra Cynthia. Je ne suis pas une méchante.
—Non, bien sûr que non, la rassura Matthias. J'en suis persuadé. Mais l'endroit que tu me décris, ça m'a fait penser à une prison. Tu as parlé de gardes et de gris... c'est pour ça.
Les portes s'ouvrirent. Matthias et Cynthia montèrent dans l'ascenseur. Il n'y avait qu'eux. Le policier appuya sur le bouton de son étage, puis les portes se refermèrent et l'engin démarra.
—Qui sont tes parents ? reprit le jeune homme. Tu ne me l'a toujours pas dit.
Cynthia resta muette à ce propos. Comme toujours, elle ignora la question. Matthias se demanda alors si elle ne s'était tout simplement pas enfuie de chez elle. Il la regarda un instant avant de tenter :
—Tes parents ne prenaient pas soin de toi et tu as fugué, c'est ça ?
Cynthia plongea son regard dans celui du policier en fronçant les sourcils comme pour dire qu'elle ne comprenait pas.
—Tu t'es enfuie de chez toi ? reformula Matthias.
La petite fille hocha la tête.
—Ok, dit Matthias alors que les portes de l'ascenseur s'ouvraient. On aurait dû commencer par là.
Matthias inséra ses clés dans la serrure et les tourna deux fois pour ouvrir la porte. C'était la première fois que Cynthia voyait ce genre de dispositif. Au Refuge, les portes s'ouvraient et se fermaient via d'autres systèmes tels que les empruntes digitales, la reconnaissance faciale ou bien même par un simple détecteur de présence.
Le policier entra dans son appartement, suivit de Cynthia. Cette dernière ne savait pas où poser le regard. Pour la première fois, elle voyait à quoi ressemblait l'intérieur d'un appartement. L'endroit respirait la liberté. Aucun garde ou aucune pièce interdite. Des cadres avec des photos décoraient certains murs. Elle s'en approcha et y reconnut son nouvel ami, il semblait si heureux. L'une d'entre-elles le montrait en uniforme, sûrement le jour où il reçut sa plaque de policier. Sur une autre, il devait avoir une douzaine d'années et se trouvait aux côtés de trois autres garçons. Sûrement ses amis d'enfance. La petite fille réalisa qu'elle n'en avait jamais eus. Un autre cliché montrait Matthias dans les bras d'une jeune femme au teint mat, les cheveux noirs, bouclés, un sourire radieux.
—C'est ta femme ?
Matthias se mit à rire.
—Non... Pas encore. On n'est pas mariés, mais oui, c'est ma copine.
—C'est la personne que tu aimes le plus.
—Euh... oui, répondit Matthias qui trouvait la petite fille très étrange.
Comment pouvait-on vivre ce genre de vie ? Comment ça se passait ? Comment se faisait-on des amis ? La petite fille réalisa que malgré toutes les connaissances qu'elle pouvait avoir sur le monde, des connaissances apprises au travers de livres, elle ignorait beaucoup de choses concernant les relations humaines.
—Qu'est-ce que ça fait d'être aimé par quelqu'un d'autre que ses parents ?
—Eh bien... je ne sais pas. Je... je n'arriverais pas à le décrire.
—Comment est-ce qu'on sait quand on est amoureux ?
—Ça...tu le découvrira quand tu seras plus grande, répondit le policier en riant. Je ne vais pas tout te spoiler.
Une fois encore, Cynthia le regarda les sourcils froncés.
—C'est quelque chose que tu découvriras par toi-même...
La petite fille accepta sa réponse et le laissa tranquille.
—Bon... la salle de bain est par là, lança Matthias.
Cynthia le fixa une nouvelle fois.
—La salle de bain, répéta le policier. Tu te souviens ? C'est pour ça qu'on est là.
La petite fille se tourna dans la direction indiquée, sur sa gauche. Ladite salle se trouvait au fond d'un couloir qui donnait également sur trois autres pièces.
—Je vais te préparer le kit serviette, gant de toilette, gel douche et...
Quelqu'un sonna à la porte. Cynthia sursauta. Elle avait peur que ce ne soit pour elle. Si c'était le cas, comment avait-on pu la retrouver ? Matthias s'avança vers la porte et regarda à travers le judas avant de revenir vers la fillette.
—C'est ma copine... va te cacher dans la salle de bain, je gère.
Cynthia, rassurée, s'exécuta et s'en alla vers la salle de bain. Matthias attentit qu'elle y soit avant d'ouvrir la porte.
—Daisy ? Je croyais que tu finissais à dix-huit heure.
—Et toi ? T'es pas censé être en congé ?
—Si.
—Et tu portes quand même ta plaque ?
Matthias posa sa main au niveau de sa hanche, là où il avait l'habitude de la portait. Elle y était effectivement.
—Oui... Je suis allé... interroger un témoin pour une affaire "paranormale".
—Cool... C'est quoi cette fois-ci ?
—Euh... des témoignages concernant une télékinésiste, improvisa Matthias en se servant de ce que lui avait raconté ses collègues.
Daisy éclata de rire.
—Tu ne peux pas t'en empêcher hein ? Tu as entendu l'histoire de la petite fille qui aurait poussé une femme par la pensée et ça t'a dégouté d'être en congé à ce moment-là.
—Bah... Tu me connais.
—On a retrouvé l'un des notres ce matin. Garret. Il était dans la forêt en état de choc. Il dit avoir retrouvé la petite. Seulement elle s'est enfuie après l'avoir poussé par la pensée. Enfin... c'est ce qu'il raconte.
Matthias ignorait cette histoire. Il n'avait pour le moment pas vu la petite fille faire usage d'un quelconque pouvoir.
—Comment il va ?
—Mal... Très mal. On ne sait pas ce qui s'est réellement passé, mais il est... choqué. Traumatisé. Il dit qu'il se serait approché d'elle, qu'il l'aurait rassuré avant de lui demander de le suivre. La fillette se serait alors mise à hurler et... je t'ai déjà raconté la suite.
Le jeune homme baissa son regard. Il était en train d'aider une petite fille qui venait de s'en prendre à l'un de ses collègues. Pourtant, il n'avait pas l'impression qu'elle était dangereuse. Ou alors elle le cachait bien.
—On en rediscutera ce soir si tu veux, reprit sa petite amie. Je suis juste revenu prendre mon portefeuille que j'ai laissé ce matin dans la salle de bain.
—La salle de bain ? répéta Matthias avant que son cœur ne s'emballe.
—Oui... la salle de bain, répondit sa copine d'un air malicieux. Là où tu as pris ta douche ce matin, avec moi.
—T'es sûre qu'il est là ?
—Ouais, répondit la jeune femme tout en se dirigeant vers la salle d'eau, suivit par son petit ami, nerveux.
—Tu veux pas vérifier dans les autres pièces avant ? On sait jamais.
La jeune femme s'arrêta au pallier de la pièce où se trouvait Cynthia et se retourna vers Matthias.
—T'es sûr que ça va toi ?
—Oui, c'est... c'est juste que maintenant que j'y pense, il m'a semblé le voir dans la chambre.
Daisy le regarda en fronçant les sourcils.
—Eh bien moi je te dis qu'il est dans la salle de bain, lui répondit-elle en y entrant.
Le policier s'imaginait déjà devoir répondre aux questions de sa petite amie concernant la fille qui se trouvait dans la pièce. Une fille qui correspondait en plus à la description faite par les automobilistes et sûrement par Garret. Mais il n'en était rien. La jeune femme en ressortit, son portefeuille à la main.
—Tu vois Matthias, dit-elle en agitant son porte-cartes devant lui. Je te l'avais dis.
Le jeune homme ne comprenait pas comment sa petite amie était passée à côté de Cynthia sans la voir. Il pensa même un instant qu'elle l'avait vu mais qu'elle n'avait rien osé dire. Mais il écarta très vite cette hypothèse qu'il trouvait des plus plus improbables.
—Ouais... répondit-il avant de raccompagner sa petite amie.
—Bon... à ce soir, lui dit cette dernière en sortant de l'appartement.
—Oui... à ce soir. Je t'aime.
—Je sais. Moi aussi je t'aime.
Une fois la porte fermée, Matthias se retourna. Il eut la peur de sa vie lorsqu'il vit que Cynthia était derrière lui.
—La vache... dit-il. Tu pouvais pas prévenir ?
—Elle a l'air gentille.
—C'est dingue, lui dit-il. Comment ça se fait qu'elle ne t'ait pas vu ?
—C'est parce que je lui ai fait croire que je n'étais pas là.
—Quoi ?
—Je lui ai fait croire que je n'étais pas là et elle ne m'a pas vu.
—Oui... ça j'ai compris. Mais... Comment t'as fait ça ?
—C'est un pouvoir que j'ai. Je peux aussi faire croire au gens qu'il y a un monstre et...
—Alors tu as bien des pouvoirs, coupa Matthias.
—Oui.
Le jeune homme reprit son souffle.
—Mais pourquoi tu ne voulais pas qu'elle me voit ? Elle a pourtant pas l'air méchante. demanda la petite fille.
—Parce qu'elle aussi est dans la Police. Mais elle ne partage pas la même vision que moi sur le paranormal. Pour elle tout les phénomènes paranormaux ont une explication rationnelle. Et si elle t'avais vu, dans la salle de bain, elle aurait fait le rapprochement avec la description faites par les deux automobilistes. Et elle t'aurait emmenée au poste. Après m'avoir fait passer un sale quart d'heure.
Cynthia comprenait pourquoi Matthias avait eu peur. Si elle ne s'était pas cachée, elle aurait pu détruire le bonheur de son nouvel ami.
—Tu crois qu'elle t'en aurait voulu ? De m'avoir amenée chez toi ?
Le policier déposa le regard sur la petite fille. Daisy l'aimait énormément. Mais contrairement à lui, elle appliquait constamment les règles au pied de la lettre. Elle aimait son métier. Mais est-ce qu'elle l'aimait au point de compromettre sa relation avec lui ? Il ne pourrait pas répondre à cette question.
—Je n'en sais rien, répondit-il simplement avant de changer de sujet. Et toi ? Tu as vraiment agressé un policier ?
—Il voulait m'emmener avec lui, je l'ai juste poussé, c'est tout.
—"C'est tout" ? Il est traumatisé... Il lui faudra peut-être des mois pour s'en remettre.
—Je suis désolée.
—Ouais... d'accord. Je peux comprendre que tu avais peur. Je n'arrive même pas à imaginer ce que tu dois ressentir en étant... différente. Mais tu sais... pour la quasi totalité des gens, le paranormal n'existe pas. Tu as des... "dons" ou des... "pouvoirs" je ne sais pas comment on peut appeler ça. Mais si tu ne les utilise pas devant eux, ils n'en sauront rien.
La petite fille écoutait ce que lui disait le policier. Ça correspondait avec ce que lui avait dit son père. Très peu de personnes sur Exotis soupçonnaient l'existence du paranormal. Et si un jour le monde venait à le découvrir, il prendrait sûrement peur.
—Je peux aller me laver maintenant ? demanda-t-elle. Parce que... "c'est pour ça qu'on est là" tu te souviens ?
—Oui. Bien sûr, répondit Matthias en riant. Je vais te préparer ce dont tu auras besoin et te faire couler un bain.
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