Interlude V. Cité de Miles

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La porte qui s’ouvrit réveilla Vlad en sursaut. Il se releva brutalement. L’ennemi était-il déjà en ville ? Il se détendit en constatant que l’intrus n’était autre que le duc Ridimel. D’un bref coup d’œil, Ridimel estima la scène de cette petite famille assoupie. Vlad le père, sur la défensive, Rene qui remontait le drap sur la poitrine en rougissant de gêne et blottie entre les deux, leur fille Claire. Un instant, il se demanda qui était cette adolescente allongée à côté de Rene. La ressemblance de leurs traits le renseigna ; c’était la jeune sœur de Vlad. Il avait dû la faire venir auprès de lui pour ne pas être séparé au cas où ils auraient dû fuir la ville.

En s’approchant, il constata que ni Rene ni sa voisine de lit ne portaient de vêtements de nuit. Ils étaient trop pauvres pour s’en procurer. Ils vivaient pourtant au palais, il aurait dû s’assurer qu’ils ne manquaient de rien. Il pourvoirait à ce détail dès le matin. Puis il se souvint. Il n’était plus en mesure de pourvoir à quoi que ce soit.

— Mon seigneur duc ! le salua Vlad.

— Ridimel, le rabroua le duc, il s’est passé trop de choses entre nous pour que tu me manifestes encore de la déférence.

— Je ne pourrais jamais.

— Alors, appelle-moi éphore. Ce titre, je n’en ai pas hérité pour être né au bon endroit, c’est le peuple de Miles qui me l’a donné. Il est plus précieux à mes yeux que celui de duc.

Ridimel s’assit sur le bord du lit.

— C’est fini, déclara-t-il.

— Qu’est-ce qui est fini ?

— La guerre. Le comte du Than est rentré avec ce qui reste de notre armée. À peine huit cents cavaliers, sur plus de deux mille auparavant. Et cinq cents fantassins. Nous avons perdu.

— Nous pourrons refaire une armée.

— Nous n’en aurons pas l’occasion. Les Yriani brûlent nos villages et massacrent leurs habitants. Ils ne veulent pas nous conquérir, ils nous exterminent.

La jeune sœur de Vlad se mit à pleurer en entendant cela. Rene l’enlaça pour la réconforter.

— Quels monstres peuvent infliger ça à des hommes ! s’écria Vlad.

— Les pires des monstres, d’autres hommes.

Ridimel fouilla dans sa poche. Il en sortit une lettre pliée en quatre au sceau brisé.

— J’ai envoyé un messager à Falcon pour capituler et épargner au maximum la population. Voici sa réponse.

Il tendit le document à Vlad qui la passa à Claire. Elle la déplia et commença sa lecture à voix haute.

« Ridimel Farallon,

Vous auriez dû accepter mon offre quand vous en aviez encore la possibilité. Maintenant, il est trop tard. Cette campagne est lancée. Elle ne s’achèvera qu’avec la mort du dernier Milesite.

Falcon le sage, roi d’Yrian. »

— Il se qualifie de sage, alors qu’il est complètement fou ! s’écria Vlad.

— J’ignore sous quel nom l’histoire le retiendra, mais je doute en effet que ce soit sous celui de sage, confirma Ridimel.

Il reprit la lettre qu’il plia soigneusement avant de la ranger dans sa poche.

— Les armées de l’Yrian arriveront en face de la ville dans quelques jours. Trois tout au plus. Miles n’est pas construite comme une forteresse, il n’y en a jamais eu besoin. Nos murailles ne les contiendront pas plus d’un douzain. Demain, nous organiserons ton départ.

— Je ne vous abandonnerai jamais ! s’écria Vlad.

— Où ? demanda Rene, plus pragmatique.

— J’ai acheté une petite terre loin d’ici, sous un faux nom. Assez grande pour t’assurer une vie confortable avec ta famille. Demain, je te donnerai les titres que tu puisses faire valoir tes droits dessus. Et vous partirez aussitôt les préparatifs achevés. Il est encore temps de fuir en passant par les royaumes des montagnes. Dans quelques jours, on risque de ne plus pouvoir quitter la ville.

— Pourquoi nous sauvez-vous ? demanda Rene. Par amitié ?

— Non, je vous ai choisi parce que j’ai confiance en vous. Ce sont mes enfants que je sauve. Vous emmènerez mes filles et mon fils avec vous.

— Pourquoi n’y allez-vous pas vous-même ? s’étonna Vlad.

— Je suis trop connu de l’ennemi. Si on me croise en compagnie de mes filles, on saura immédiatement qui elles sont. Même un montagnard n’ayant pas porté allégeance à l’Yrian serait prêt à me livrer en échange de quelques pièces. Un paysan qui voyage avec sa famille, personne n’y fera attention. Et puis, c’est moi qui ai amené le duché à la ruine. Je ne peux pas fuir maintenant. Je n’ai pas le droit d’abandonner la population, même si je dois mourir avec elle.

— Et que se passera-t-il après ?

— Après ? Tout dépendra de ce qui se déroulera ici, à Miles. Si je m’en sors, je vous rejoindrai. Et sinon, tu élèveras mes enfants comme les tiens.

— Vous me confiez vos enfants ! C’est un honneur que je ne peux pas accepter.

— Les Yrianis les tueront s’ils restent ici.

Vlad réflechit longuement avant de répondre.

— D’accord !

Ridimel se leva.

— Demain, à ton réveil, viens à mon bureau. Amène Claire, il y aura des papiers à lire.

Il hésita en allant vers la porte. Soudain, il se retourna à nouveau vers Vlad. Il décrocha le pendentif en argent aux montagnes stylisées, symbole de Miles et le tendit au palefrenier.

— Prends ceci et garde-le précieusement.

— C’est le grand sceau de Miles ! se récria Vlad. Je n’ai pas le droit de le toucher.

— Les Yriani ne doivent pas s’en emparer. Tant qu’il leur échappera, Miles continuera d’exister.

Sans hésitation, la jeune sœur s’en saisit et le suspendit à son cou, sous le regard offusqué de son grand frère.

— Son créateur n’a pas pensé aux femmes en lui mettant toutes ces pointes sur le pourtour.

Le ton léger en ce moment empreint de gravité arracha un sourire à Ridimel.

— Il a été conçu pour être porté de façon visible, par-dessus les vêtements.

Vlad les ramena à leurs préoccupations immédiates.

— Et si les Yriani nous rattrapent ? Que fait-on ?

Ridimel n’hésita pas. Il dénoua sa ceinture à laquelle une dague dans son fourreau était fixée puis il la posa sur la petite table située au pied du lit.

— Ne laisse personne tomber vivants aux mains des Yrianis. Surtout pas ta femme et ta sœur.

— Vous me demandez de les tuer pour protéger le secret ! Je ne pourrais jamais.

— Tu regretteras très vite de ne pas l’avoir fait. Ce n’est pas pour protéger le secret, mais pour leur épargner ce que les Yriani leur infligeraient. Le médaillon, jette-le au fond d’un lac, ou dans un gouffre. Ils ne doivent pas le retrouver. Jamais !

Ridimel quitta la pièce en refermant la porte derrière lui.

Il était à peine arrivé devant la porte de sa chambre qu’il entendit quelqu’un courir derrière lui.

— Monsieur le duc ! Monsieur le duc !

Il se retourna. C’est un jeune soldat, à peine sorti de l’adolescence.

— Éphore, corrigea-t-il.

— Ils sont arrivés ! s’écria le soldat.

— Qui est arrivé ?

— Les Yrianis. Ils sont là.

— Déjà ! Je ne les attendais pas avant trois jours.

Il entra dans sa chambre et se précipita vers le balcon. À l’horizon, aussi bien au nord qu’à l’est, on voyait les torches portées par les armées ennemies qui progressaient à travers la plaine. Au nord, la ligne s’étendait aussi loin que son champ de vision le lui permettait. Peut-être jusqu’aux montagnes.

Dalanas rejoignit son ami. À voir sa tenue négligée, il avait été tiré du lit par les événements et s’était habillé dans l’urgence.

— Alors ? demanda Ridimel.

— Les Yriani sont arrivés. J’ai réveillé la garde du palais et envoyé des estafettes pour prévenir toutes les garnisons en ville.

— Excellente initiative. Ai-je encore la possibilité de mettre les filles en sécurité.

— Malheureusement, il reste bien peu de soldats pour nous défendre. Et ces murailles sont purement décoratives. Elles ne résisteront jamais à des armes de siège.

De la main, il désigna l’enceinte qui entourait la ville.

— Quelle est la position ennemie ? s’enquit Ridimel.

— Ils nous encerclent partout sauf au sud. Mais la route de la porte sud de la ville rejoint la voie principale qui relie Sernos au sud du Salirian, qu’ils contrôlent.

— Comment ont-ils fait pour arriver si vite ? Ce matin, ils se trouvaient encore à plus d’une centaine de longes.

— Un gems les accompagne. Il a pu utiliser sa magie.

— Pour transporter toute une armée ? Aucun gems n’est assez puissant.

— Pas pour la transporter, mais nous tromper sur sa position réelle.

Une clameur au-delà des murailles de la cité interrompit la discussion. Les deux hommes s’appuyèrent contre la rambarde de la terrasse, tendant l’oreille pour essayer de comprendre ce qui se passait. Hélas, il n’y avait aucun doute possible. Un tel bruit ne pouvait signifier qu’une seule chose : l’ennemi venait de lancer son assaut.

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