XXX. L'Embuscade - (2/2)

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Comprenant ce qu’elle attendait de lui, celui-ci se mit à avancer, entraînant sa maîtresse derrière lui. Celui de Naim, habitué à voyager avec son compagnon, le suivit. Comme auparavant ils allaient vers le sud, ils continuèrent dans cette direction. Au bout d’une cinquantaine de longes, ils arrivèrent à un gros rocher au bord de la route. Le hofec s’arrêta à son niveau. Saalyn se précipita à quatre pattes vers sa protection. Il n’était pas assez haut pour qu’elle pût se mettre debout, mais elle pouvait atteindre ses armes, fixées sur les flancs de l’animal sans se découvrir. Pendant que Naim prenait place à côté d’elle, dos à la pierre, elle décrocha son arbalète.

— Pour un peu, on croirait presque ces animaux intelligents, fit-elle remarquer.

Le hofec de Saalyn tourna vers elle sa grosse tête pleine de dents et émit un sifflement étrange.

— Il se moque de vous, traduisit Saalyn tout en préparant son arme.

— Il a compris ce que j’ai dit !

Saalyn lâcha un petit rire.

— D’accord. Alors que fait-on maintenant ?

— On neutralise l’archer puis on livre combat.

— Je ne suis pas une experte, déplora Naim. On m’a dit que j’ai du potentiel, mais que je manque d’entraînement.

— Vous allez devoir l’acquérir vite alors, l’entraînement, sinon aucune de nous deux ne repartira debout.

— Et eux, suggéra-t-elle en montrant les deux hofecy.

— Ce sont de piètres combattants. Ils ont perdu l’instinct féroce de leurs ancêtres.

Les hofecy répondirent à Saalyn de leur grondement menaçant.

— Arrêtez de faire le matamore. Une épée bien maniée peut vous tuer. Vous ne portez pas d’armure, contrairement à moi.

Elle enleva son bonnet, qu’elle remplaça par un casque, seule pièce métallique de son équipement. Naim remarqua qu’il protégeait aussi l’arête du nez. Tout en tournant la manivelle pour tendre la corde, Saalyn passa la tête et observa. Les assaillants, ignorant qu’elle possédait une arme de jet, s’étaient découverts. C’était son épée qui était célèbre, pas son arbalète, une arme inventée pendant l’ère feytha. Elle repéra vite l’archer en train de ramasser ses flèches et d’examiner la pointe avant de les remettre dans son carquois. Elle enficha un carreau dans la rainure, puis elle posa son arbalète sur le sommet du rocher. Elle retint son souffle, visa posément, et décocha son trait. L’archer s’effondra en silence. Un morceau de métal noir sortait de sa gorge. Aussitôt des cris retentirent. Satisfaite, elle réintégra sa cachette pour préparer un second carreau.

— Putain ! s’écria l’un d’eux, le serpent a tué Chalon, la salope !

— On va la buter cette chienne ! lui répondit un autre.

Saalyn leva la tête sans se découvrir.

— Il faudrait savoir, ironisa Saalyn. Je suis une chienne ou un serpent.

Elle remarqua Naim qui surveillait la progression. Saalyn la tira violemment vers le bas.

— Vos cheveux noirs sur la neige blanche, la rabroua-t-elle. D’ailleurs, où est votre casque ?

— Je n’en ai pas.

— Vous n’en avez pas ! Mais on vous apprend quoi en Orvbel ! On ne combat pas sans un casque !

Saalyn reprit son observation du terrain.

— C’est un carreau d’arbalète ! cria un assaillant, elle n’aura pas eu le temps de recharger.

— Alors on y va !

Saalyn envoya un sourire à Naim.

— Parfait, dit-elle.

Elle se leva brusquement, tira au jugé et se rabaissa aussitôt. Satisfaite, elle écouta les cris. Les truands s’égaillèrent dans toutes les directions pour se mettre à couvert.

— On a gagné un peu de temps, chuchota Saalyn, ils vont se montrer prudents maintenant.

Elle cassa la hampe de la flèche fichée dans l’épaule de Naim. Puis elle prit sa main gauche et la lui passa dans la son pantalon. Elle termina en lui serrant fortement la ceinture.

— Interdiction de vous servir de ce bras pendant le combat, sinon la pointe de flèche va découper le muscle.

Naim hocha la tête.

Saalyn fouilla rapidement dans ses fontes pour en retirer une bande de tissu qu’elle utilisa pour immobiliser le membre. Elle en profita pour prendre son épée et celle de Naim, ainsi que son bouclier, autre équipement que l’Orvbel avait omis de fournir à la Naytaine.

— Prête ? demanda Saalyn.

— Non, répondit Naim.

— À dix perches, j’ai vu un ravin. Il me parait assez profond. On essaie de les y pousser sans y tomber nous-même. Ils auront du mal à remonter et avec un peu de chance ils pourraient se blesser dans leur chute. Dès qu’on voit une ouverture, on enfourche nos hofecy et on retourne à l’auberge. On y sera en sécurité.

— Et s’ils l’attaquaient quand même ?

— Le sanctuaire qu’elles constituent est trop fort. Même Stranis n’a jamais osé.

Naim entendit les cris des assaillants, ils revenaient à la charge, mais plus lentement. Naim prit conscience qu’il ne s’était écoulé qu’un stersihon, deux tout au plus.

— On va les surprendre, expliqua Saalyn. Je compte jusqu’à trois et on sort.

— Attendez ! On compte jusqu’à trois et on sort ? Ou on sort à trois.

Saalyn la regarda, surprise.

— Vous avez trop écouté d’histoire à la veillée vous, lâcha-t-elle.

À la fin du décompte, les deux femmes s’élancèrent chacune d’un côté du rocher. Les spadassins, surpris dans leur progression, s’immobilisèrent. Surpris ? Sauf un.

— Une arbalète, cria Saalyn.

Elle se jeta à couvert au moment où le carreau quittait l’arme. La pointe acérée s’enfonça dans le sol, non loin de ses pieds. Elle n’allait pas faire la même bêtise que leurs adversaires et lui laisser le temps de recharger. Elle se remit debout et retourna à l’attaque. Les hommes s’élancèrent, l’arme levée. Saalyn les attendit, bouclier en défense, épée sur le côté, le rocher dans le dos. Et le combat s’engagea.

Avec désespoir, Saalyn se rendit compte qu’ils étaient trop nombreux. Si Naim avait été en bonne santé, elles auraient pu dégager un espace et s’enfuir. Mais avec sa blessure au bras, elles n’avaient aucune chance. Tout ce qu’elles parvenaient à faire, c’était de les maintenir à distance. Les assaillants voulaient s’assurer qu’elles ne s’en sortiraient pas.

Lui aurait-on tendu un piège ? Elle désirait tellement retrouver les deux sœurs qu’elle avait suivi la première piste qu’elle avait trouvée, une piste qui lui était tombée dessus bien providentiellement comme elle s’en rendait maintenant compte. Si cela se trouvait, jamais les sœurs Farallona n’avaient emprunté le bac.

Une lame effilée la toucha au niveau de la taille. Par chance, le froid était si vif qu’elle avait enfilé sa broigne sous son pull. Les douze couches de lin entrecroisées arrêtèrent l’épée. Cependant, la violence du coup lui causa une telle douleur qu’elle lui coupa la respiration. Elle voulut reculer pour se mettre hors de portée et souffler un peu. Le rocher dans son dos l’en empêcha. Elle se contenta de bloquer les attaques qui cherchaient à la transpercer. Tôt ou tard, l’une d’elles s’infiltrerait dans un défaut de sa cuirasse ou son bouclier se briserait. Et son histoire s’arrêterait là.

Soudain, deux formes s’élancèrent du haut du rocher en poussant un cri de défi. Aussitôt ils prirent les assaillants à revers. Pantalon et tunique noirs, amples pour ne pas gêner les mouvements, écharpe nouée derrière le crâne qui leur enveloppait la tête. Des légendes. Elles étaient venues à leur secours. Quelques instants plutôt, Naim croyait encore comme la plupart des habitants d’Uv Polin, que leur existence était un mythe. C’est de là que venait leur nom de légendes ; un surnom à l’origine, qui était devenu leur appellation officieuse avec le temps. On leur attribuait tous les meurtres inexpliqués en Uv Polin depuis plusieurs siècles, bien avant l’arrivée des feythas donc. L’une des rares organisations à avoir survécu à leur tyrannie.

Une partie des attaquants se détourna de Saalyn et Naim pour leur faire face. Ils avaient compris le danger. Si leur existence était secrète, cela signifiait que personne ne devrait en réchapper. C’était une bataille à mort qui se jouait.

La technique de combat des légendes n’avait rien à voir avec celle de la guerrière libre. Leur crédo était légèreté, habileté, vivacité. Ils avaient dans chaque main une dague qu’ils maniaient avec dextérité pour bloquer les attaques qu’on leur portait, quand ils étaient là où on les attendait. Généralement, un bond les mettait hors d’atteinte. Leurs assauts et leurs esquives étaient foudroyants. Ils n’étaient que deux, mais leur arrivée changea le rapport de force. Seuls quatre adversaires continuèrent à harceler Saalyn et Naim. Tous les autres se concentrèrent sur les nouveaux arrivants. Ce fut inutile. En quelques instants, cinq des leurs, un quart de leur effectif, étaient hors de combats.

Les assauts contre les deux légendes s’arrêtèrent. Les assaillants avaient compris. Ils n’arriveraient à rien ainsi. Saalyn put voir la peur sur certains visages. Ce bref moment d’inattention coûta cher à Saalyn. Son adversaire la toucha dans le dos. Il l’avait atteint à l’omoplate, juste au-dessus de la broigne. Heureusement l’os avait stoppé la lame. La blessure n’était pas dangereuse, mais douloureuse et handicapante. Elle lâcha son bouclier, devenu trop lourd à porter.

En entendant le cri de Saalyn la plus petite des deux légendes, une femme à en juger par sa silhouette, se précipita à son secours. Elle poussa violemment la guerrière libre au-delà du rocher pour la mettre hors d’atteinte d’une seconde estocade tout en plantant sa dague dans le bas ventre du bretteur. Ce dernier hurla de douleur et s’effondra. Elle l’acheva d’un coup en pleine poitrine. Cela s’était déroulé si vite que son compagnon n’avait pas eu le temps de réagir. Pas plus qu’il ne put parer le coup qui mit fin à sa vie. Elle dégagea ensuite Naim avec la même efficacité.

Avec horreur, Saalyn regardait le combat. La boucherie plus exactement. La seconde légende, un homme bien bâti faisait un carnage autour d’elle. Les survivants lâchèrent la partie et s’enfuirent. Mais lui et sa compagne se lancèrent à leur poursuite et les éliminèrent un à un. Un seul échappa au massacre. Ils le rattrapèrent et le ramenèrent devant les deux femmes.

Celui qu’elles avaient choisi portait un masque de cuir sur le visage. De sa dague, l’homme coupa les sangles qui le retenait et le força à avancer vers Saalyn en lui enfonçant la pointe de son arme dans les reins. Sous le choc de cette boucherie qui venait de se dérouler, devant tant de morts, de sang, de violence, elle recula au fur et à mesure que la légende et son prisonnier la rejoignaient.

— Attention ! s’écria soudain la femme.

Trop tard, le sol manqua sous le pied de Saalyn. Elle s’était trop approchée du ravin. Sans point d’appui pour se retenir, elle tomba. Son cri de panique fut bref. L’homme se précipita à son secours. Il s’arrêta au bord du précipice. La stoltzin était étendue une vingtaine de perches plus bas, totalement immobile.

Le prisonnier en profita pour s’enfuir. Les légendes ne se lancèrent pas à sa poursuite. À la place, la femme saisit l’arbalète de Saalyn, banda la corde et mit un carreau dans son logement. Puis elle s’appuya sur le rocher. Elle prit son temps pour viser l’homme qui courrait comme un dératé pour atteindre son cheval, plus de deux cents de perches plus loin. Soudain, elle tira. Le fuyard, emporté par son élan, roula sur quelques pas et ne releva plus.

C’est le moment que choisit Naim pour perdre connaissance. Au cœur du champ de bataille, il ne restait plus que les deux légendes encore debout.

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