XXXV. Dalanas - (3/4)

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En les voyant, Naim comprit qu’elle n’avait pas devant elle une bande de pillards désorganisés, mais l’embryon d’une véritable armée entraînée. Si lors de l’embuscade qu’elle avait subie, cela avait été cette escouade qui l’avait attaquée, jamais elle ne s’en serait tirée.

— Des chevaux ? fit remarquer Naim. Qu’allons-nous faire de nos hofecy ?

— Ils nous rejoindront à destination, la renseigna Saalyn. Ils sont endurants, mais pas très rapides. Ils retarderaient la troupe.

Alors que Saalyn allait grimper sur sa monture, Diosa lui posa la main sur l’épaule. Elle se retourna.

— Je suis désolé, s’excusa Diosa, ce que je t’ai dit était grossier.

Saalyn releva le visage contrit de la main.

— Ces hommes, je les croyais morts, expliqua-t-elle. Découvrir qu’ils sont vivants m’a rendue joyeuse. Mais il ne s’est jamais rien passé entre eux et moi, sauf quelques soirées de beuverie et quelques veillées en musique au coin du feu.

Diosa hocha la tête. Saalyn l’enlaça.

— Tes paroles peuvent être blessantes parfois, mais tu es ma petite sœur. Et tu le resteras toujours.

Diosa posa la tête sur l’épaule de Saalyn et s’abandonna à l’étreinte.

— Que représente Dalanas pour toi ?

— Tu as raison, lui c’est un ancien amant. Mais c’est le seul ici. En plus, depuis cette époque, il s’est marié.

Saalyn sourit, même si telle qu’elle était placée, Diosa ne put le voir. Son regard croisa celui de Frallon qui pour une fois ne lâcha aucune pique acerbe envers sa sœur. Bien au contraire, il s’approcha et les enveloppa toutes les deux de ses bras.

Dalanas, fièrement perché sur son cheval noir, s’arrêta devant le petit groupe.

— Ça suffit les embrassades. En selle ! Immédiatement ! ordonna-t-il.

— Il vaut mieux obéir, conseilla Saalyn. Dans la vie, Dalanas est assez sympa, mais quand il commande ses troupes, c’est un véritable adjudant.

— Général, la reprit Dalanas. Et si vous refaites encore une erreur sur mon grade, vous me ferez cinquante pompes. Compris !

— Compris général, répondit Saalyn.

— Compris, Mon Général ! corrigea-t-il en insistant bien sur la forme.

Il s’éloigna en direction d’Atlan qui avait pris la tête de la colonne en compagnie de Hylsin et Naim qui étaient déjà en selle.

— Il prend son rôle un peu au sérieux, remarqua Diosa en se dégageant de l’étreinte fraternelle.

— Ce n’est pas une menace en l’air, la contredit Saalyn. Je parie qu’avec le respect de la hiérarchie qui nous caractérise toi et moi, on y aura droit avant la fin de ce voyage.

— Il peut toujours courir.

— Dans ce cas, c’est toi qui risques de courir. C’est un soldat, n’oublie pas, habitué à faire respecter la discipline.

Saalyn put enfin grimper sur son cheval. De sa position, Dalanas admira son geste issu d’une grande pratique. Frallon aussi se révéla bon, il avait l’habitude des chevaux. En revanche, Diosa se montra plus maladroite. Son manque d’entraînement associé à sa petite taille ne lui facilitait pas les choses. Mais une fois en selle, elle adopta une posture correcte. Elle avait du potentiel. Correctement prise en main, elle pourrait devenir une bonne cavalière.

Enfin, tout le monde fut prêt. La troupe se mit en route vers le sud, Atlan et Dalanas en tête, suivit de Saalyn et de ses compagnons et pour finir leur escorte. Du groupe qui les avait accompagnés à l’aller, un seul repartait avec eux. Chevauchant à côté d’Atlan qui représentait son père en son absence, il portait le drapeau brodé aux armes de Mudjin : une croix blanche penchée brodée sur un fond rouge. Il était le seul Sangären à en arborer un au point que beaucoup de monde le prenait pour l’emblème du Sangär. Cet étendard figurait généralement sur tous les camps placés sous l’autorité du vieux chef de guerre.

Dès qu’ils eurent passé la première colline, la colonne adopta un trot plus lent. Ils devaient aller loin. Et ces montures devraient les porter jusqu’au bout, il convenait de les économiser. Une bonne chose cependant, le territoire de Mudjin, s’il n’était pas densément peuplé, abritait de nombreuses communautés qui leur fourniraient le gîte et le couvert pour la nuit. Ils ne dormiraient pas à la belle étoile. Tout au moins, aussi longtemps qu’ils resteraient sur ses terres. Après, les choses changeraient. Mais vu les six chevaux de bâts qui les accompagnaient, chargés de vivre et de matériels, même bivouaquer en pleine campagne ne serait pas un problème. Les stoltzt auraient un peu froid, mais la plupart de ces cavaliers connaissaient les faiblesses de cet ancien peuple. Saalyn était sûre qu’ils leur offriraient une petite place au chaud entre eux.

Atlan abandonna la première place à Dalanas pour lui permettre de chevaucher à côté de Saalyn.

— Cela fait longtemps que nous nous sommes vus, fit-il remarquer.

— Pourquoi m’avoir laissé dans la croyance de votre mort ? reprocha aussitôt Saalyn.

— Je ne pensais pas que tu mettrais tant de temps à nous trouver.

Saalyn respira un grand coup. Le calme retrouvé, elle put reprendre la discussion.

— Je ne vous cherchais pas. Je vous croyais mort.

— C’était le but. Mais on pensait que tu chercherais au moins l’emplacement de nos dépouilles. Ne serait-ce que pour nous offrir une sépulture.

Saalyn mit longtemps à répondre.

— Je l’aurai fait si je n’avais pas eu à enquêter sur…

Sa voix se brisa sous l’émotion. Elle se montra incapable d’aller plus loin. Dalanas lui pressa délicatement l’épaule. Elle posa la main sur celle du cavalier.

— Tu penses encore à lui ? s’enquit-il.

— Pas autant qu’avant. Ça m’arrive.

Comme le contact semblait soulager la stoltzin, il la laissa.

— C’est pour cela que quand cette femme est arrivée à notre ambassade avec des informations sur son meurtrier, j’ai accepté son offre au lieu de la livrer à la justice.

— Tu n’as aucun reproche à te faire de ne pas l’avoir trouvé jusqu’à présent. Cela fait des années qu’il fait tout pour échapper aux recherches des guerriers libres. Dès le début, il avait prévu que tu interviendrais et il a adapté sa stratégie en conséquence. Je suppose que tu as trouvé des indices partout, mais qui ne menaient nulle part et qu’au moins une trentaine de noms avaient surgi.

Elle sourit tristement. C’était exactement ce qui s’était passé à l’époque. Elle avait même trouvé un indice remontant jusqu’à elle ou sa famille.

— J’ai appris que Ksaten avait vécu un sale moment aussi.

Saalyn hocha la tête.

— C’est un miracle qu’elle soit toujours en vie. Quand on l’a découverte, c’est tout juste si elle respirait.

Saalyn se tut un instant.

— Tu sais, je lui en ai voulu pendant longtemps. Je lui avais confié Dercros et elle a failli à sa tâche. Dercros était adulte, il faisait ses proches choix. Et jamais elle ne serait sortie du consulat si elle n’avait pas eu à lui porter secours. J’ai fini par le comprendre. Mais, il m’a fallu des mois. Des mois pendant lesquels elle se remettait, où elle aurait eu besoin de moi.

— Elle a guéri. Et vous êtes redevenues amies.

— Oui.

Saalyn redevint silencieuse. Dalanas regarda un moment son profil. Elle avait le visage fermé par ces souvenirs pénibles. Il se passa la langue sur les lèvres. Il désirait poser une question, mais il n’osait pas.

— Saalyn, je dois savoir, se décida-t-il enfin.

— Quoi donc ? demanda-t-elle en tournant la tête vers lui.

Il hésita un long moment avant de se lancer.

— Est-ce toi qui as tué le roi Falcon II ?

Elle sourit.

— J’aurai bien voulu, répondit-elle. Il était agenouillé devant moi, mon épée contre son cou. Je n’avais plus qu’à donner un coup pour mettre fin à son règne. Mais…

— Mais ?

— On m’en a empêché.

— Qui ?

— Je l’ignore. Il avait le visage masqué.

— Une Légende ! s’écria Dalanas. C’est eux qui ont tué Falcon ?

— Je l’ignore. La Légende m’en a empêché. Mais après j’étais hors course. C’était humiliant. Tu t’en rends compte. Il m’a neutralisé en même pas six tösihons (deux à trois secondes). J’ai tenu moins d’un vinsihon (un peu plus de cinq secondes).

— Et après ? Que s’est-il passé après qu’il t’a maîtrisé ?

— Je l’ignore. J’ai perdu connaissance. Je pense qu’il a utilisé une drogue. Quand je me suis réveillée, j’étais en Helaria. Je dormais dans mon lit. J’ai interrogé tout le monde autour de moi. Ils ne savaient rien. Ils n’ont vu personne passer la frontière avec moi, entrer dans la ville ou débarquer au port.

— Et ils ne savaient pas qui t’y avait déposé ?

— Non.

Dalanas réfléchit longuement avant de répondre.

— Ces légendes semblent avoir des moyens considérables. Te transporter de Sernos à Neiso sans que personne ne remarque rien, ce n’est pas à la portée de n’importe qui. Je me demande qui les finance.

— Il devait disposer d’un bateau, suggéra-t-elle.

— C’est évident. Mais cela coûte cher. L’Helaria ne vend pas les siens, on peut donc exclure qu’il ait utilisé l’un d’eux. Il reste donc l’Orvbel et le Mustul. Je ne serais pas étonné que les Légendes soient basées dans l’un de ces deux pays. Entretenir une secte d’assassins, ça ressemble bien à l’Orvbel.

— Vu les relations cordiales qui existent en l’Orvbel et moi, les Légendes auraient cherché à m’éliminer. Or, elles m’ont sauvé la vie à plusieurs reprises. Ne serait-ce que dans ce palais, il lui aurait suffi de me laisser finir mon geste et d’appeler les gardes et mon histoire se serait arrêté là. — Celle des guerriers libres aussi d’ailleurs, fit remarquer Dalanas. Si la première d’entre vous se sert de ses talents pour assassiner les dirigeants qui ne lui conviennent pas, nous perdrions la confiance que les gens placent en nous.

Pendant que Saalyn méditait sur ses paroles, Dalanas s’écarta.

— J’ai bien aimé discuter avec toi. Mais je dois reprendre la tête de mes hommes, s’excusa-t-il.

— Combien disposes-tu de cavaliers ? demanda Saalyn.

— Mille deux cents environ.

Sur cette réponse, il laissa la guerrière libre stupéfaite devant l’énormité du chiffre. Si une telle horde déferlait sur le Kushan, la Pentarchie aurait du mal à les contenir. Mudjin n’était pas agressif. Les opérations de pillage qu’il menait restaient de petite ampleur et n’avaient jamais touché l’Helaria. Elle espérait toutefois que son successeur, qui arriverait tôt où tard, se montrerait aussi raisonnable que lui. Pour le moment, Atlan lui avait fait une bonne impression. Avec de la chance, il deviendrait un bon chef.

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