Interlude : Miles, quatorze ans plus tôt- (2/2)

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En apercevant l’épaisse fumée noire qui s’élevait de la direction de l’ambassade d’Helaria, Vlad éprouva un instant de désespoir. Il continua malgré tout. Et il fit bien. Le bâtiment n’avait pas brûlé comme il l’avait cru. Néanmoins, il avait bien souffert. L’aile centrale s’était effondrée. Seuls le mur du fond et l’escalier avaient résisté.

— On ne peut pas s’y réfugier, les Helariaseny l’ont évacuée, annonça-t-il à Rene.

— On n’a pas le choix, répondit-elle.

— Pourquoi ?

— Je viens de perdre les eaux.

Il allait devoir trouver un endroit où elle pourrait mettre leur bébé au monde. Et ce bâtiment ferait aussi bien l’affaire qu’un autre. Surtout qu’avec le poids de Ksaten sur ses épaules, il commençait à être sérieusement fatigué. Entraînant toujours sa famille avec lui, il entra dans le jardin.

L’aile centrale paraissait encore en plus piteux état qu’il ne l’avait vu de loin. Mais il ne vit aucun corps, signe que les Helariaseny avaient évacué en bon ordre. Il n’hésita pas, il se dirigea vers l’escalier qui avait survécu à ce qui avait produit un tel chaos. Il fit passer Palmara et Claire devant lui. Puis, soutenant sa femme, il monta lentement les marches jusqu’aux combles, le meilleur endroit où se cacher selon lui.

À l’exception de quelques tuiles qui avaient glissé à la suite des explosions qui avaient secoué le bâtiment, le grenier était intact. Il s’attendait à ce qu’il fût encombré de matériel et que les toiles d’araignées y abondent. Il le trouva propre et bien rangé. Il déposa Ksaten au fond. Elle n’avait pas repris connaissance. Il vérifia qu’elle respirait toujours. Si le lendemain elle vivait encore, elle serait sauvée. Les capacités de guérison des stoltzt achèveraient le travail.

Rassuré par son sort, il aida sa femme à s’asseoir.

— Claire, Palmara, fouillez les coffres et regardez s’ils contiennent des choses intéressantes.

Les jeunes filles s’exécutèrent.

— Que des vieilleries, déclara Palmara.

— Je vais voir dehors si je peux trouver ce qui nous manque.

— Ne sors pas ! s’écria Rene.

— He !

Il prit son visage entre les mains et lui déposa un baiser très tendre sur la bouche.

— Je vais revenir.

Elle n’ajouta rien quand il quitta la pièce.

Pour sa femme et pour Ksaten, il avait besoin de couvertures, de draps et de pansement ainsi qu’un peu de matériel médical de base. Tout ceci devait être rangé à l’infirmerie. Il ne restait qu’à la localiser, en espérant qu’elle n’était pas située dans l’aile qui s’était effondrée.

Il la découvrit au premier étage, il trouva tout ce qu’il fallait. Il prit un grand sac, et y fourra couvertures et draps. Les pansements suivirent. Les médicaments étaient entreposés dans une armoire en verre fermée à clef. Il s’enveloppa la main d’un morceau de tissu et brisa la vitre d’un coup de poing. Au milieu des éclats de verre, il récupéra les flacons. Il ne savait pas lire, alors il les emporta tous.

Son butin amassé, il transporta le sac sur son dos. Ainsi, il ressemblait au vieux de la montagne qui tous les ans descendait de ses sommets enneigés afin de donner des récompenses aux enfants méritants. Il ne devait pas l’être tant que ça, il n’en avait jamais reçu. C’est à l’âge adulte qu’il avait obtenu ses plus beaux cadeaux : quand son père prenant sa retraite lui avait fait don de sa ferme – une ferme partie en fumée aujourd’hui –, plus tard quand il avait rencontré Rene, puis enfin avec l’arrivée de Claire. Et bientôt, il aurait un deuxième enfant.

À son retour, il constata que Rene, soutenue par Palmara, s’était levée pour marcher. De ce côté-là, il disposait d’encore un peu de temps. Il allait pouvoir s’occuper de Ksaten.

Sur le terrain qu’il possédait, il se trouvait de nombreuses ruines datant de l’empire Ocarian. Parfois, les bêtes s’y blessaient, et il devait les amputer. Il avait acquis une bonne expérience dans ce domaine, même si sa façon de poser les bandages auraient laissé perplexe un infirmier. En examinant le moignon du pied, ce fut pour s’apercevoir qu’il n’aurait pas grand-chose à faire. Les artères et les veines tranchées s’étaient déjà collabées, il n’aurait qu’à appliquer un pansement sur la plaie. Il opéra de même avec le bras. Il restait les nombreuses blessures qui parsemaient son corps et son visage. Il découpa la tunique de la guerrière libre. Il fut effaré en la découvrant. Elle portait tant de blessures, elle avait de la chance qu’aucun coup ne lui ait pas transpercé le cœur ou le foie. Il nettoya les plaies une à une, parfois ôtant des saletés qui s’étaient incrustées dedans. Il désinfecta le tout avec de l’alcool d’hydromel marin.

— Claire, appela-t-il.

La petite fille s’était installée à côté de lui sans qu’il s’en rendît compte. Elle suivait avec beaucoup d’intérêt le moindre de ses gestes.

— Cherche dans les médicaments que j’ai rapportés et trouve moi de l’extrait d’ail et de la poudre de moisissure bleue. Et s’il y a du miel, amène-le. La fillette s’exécuta. Elle ne fut pas longue à revenir. La pharmacopée de l’Helaria n’était pas aussi fournie que celle de l’Yrian, elle disposait de peu de préparations directement utilisables. Mais elle avait déniché les trois. Il commença par l’extrait d’ail, un antiparasite puissant que les feythas avaient apporté avec eux. Il appliqua le liquide trouble sur chacune des plaies. Au contact de la substance irritante, Ksaten gémit et son corps se cambra. Vlad ne cherchait pas à la faire souffrir. Pourtant, il considéra sa réaction comme de bon augure. Il attendit qu’elle se calmât avant de continuer par une généreuse dose de poudre de champignon desséchée. Enfin, il badigeonna le tout d’une couche de miel. Pour le pansement, il ne voyait pas comment en dispenser autant avec une quantité aussi limitée que celle dont il disposait. Il se contenta de la recouvrir d’un drap. Il appliqua le même traitement au visage qui, à part un coup d’épée à la joue, était relativement intact. Si sa coupure était due à une honnête épée d’acier et pas à la magie, la cicatrice disparaîtrait d’elle-même en quelques mois. Il posa la main sur son front, sans rien remarquer d’anormal si ce n’était la fraîcheur de sa peau. Il ignorait si les stoltzt pouvaient avoir de la fièvre. Son geste ne servit à rien, sauf, peut-être, à apaiser la blessée. En tout cas, maintenant qu’elle ne perdait plus de sang, sa respiration était devenue régulière. Si l’infection ne l’emportait pas, elle survivrait.

Il ne pouvait rien accomplir de plus pour Ksaten. Il la laissa se reposer afin de retourner auprès de Rene. Il disposa un drap propre sur le sol et l’aida à s’allonger. Puis il releva la robe et dégagea le bassin. L’accouchement avait déjà commencé. Il n’y en aurait plus que pour quelques calsihons. Elle avait perdu les eaux depuis longtemps quand elle le lui avait annoncé.

Un craquement attira son attention. Quelqu’un montait l’escalier. Sans cette marche, il ne l’aurait pas su et se serait fait surprendre. Il prit son couteau en main, prêt à défendre chèrement sa vie. Se battre lui sembla soudain ridicule. Que pourrait-il bien opposer à un soldat entraîné à tuer depuis des années ? Il remit son arme – un bien grand mot pour désigner cet outil, certes très utile dans son activité de palefrenier, mais totalement inadapté face à une vraie épée – dans le fourreau à sa ceinture.

— Ne faites pas un bruit, chuchota-t-il. S’ils nous repèrent, ils nous tueront.

— Tu en as de bonnes, répondit Rene sur le même ton. Je suis en train d’accoucher.

Il ne pouvait pas demander à sa femme d’être silencieuse. D’abord parce que ce n’était pas réaliste. Ensuite, ce serait lui manquer de respect.

— Trouve-moi un bâillon, ordonna-t-elle.

— Je ne peux pas faire ça.

— Tu préfères que l’on meure tous.

Il se leva pour aller chercher le dernier drap qu’il avait rapporté. Il avait prévu d’y envelopper Rene et son bébé, pas de l’utiliser pour la brutaliser.

Soudain, la porte s’ouvrit. Un soldat yriani se tenait sur le seuil. Il observa un instant la petite famille rassemblée dans ce grenier. Ksaten, allongée derrière des malles, lui était invisible. Vlad allait le supplier de les épargner, au moins les femmes. L’homme porta un doigt à sa bouche pour lui intimer le silence.

— Ne faites aucun bruit si vous voulez survivre, murmura-t-il.

— Merci, répondit Vlad.

— Fille ou garçon ?

— Une fille, je crois. L’aède n’était pas très sûr.

Le soldat décrocha le pendentif à l’effigie de la mère pendu à son cou et le déposa sur le ventre de Rene.

— Pour elle, dit-il, qu’elle la protège.

Il se releva. Une voix l’appela en bas de l’escalier.

— Il n’y a rien, cria-t-il, juste un chat. Une pierre de feu à tout ravagé, il n’y a rien à récupérer.

Puis il se retourna vers Vlad.

— Attendez trois jours avant de partir d’ici.

Il sortit en refermant la porte derrière lui.

Rene fixa un moment le battant des yeux, n’osant croire à la chance qui s’offrait à elle. Elle avait vraiment les bonnes grâces de la mère. D’un geste de la main, elle demanda à Vlad de continuer. Le paysan enroula un drap autour de la bouche de sa femme et le noua solidement.

— Je suis désolé, lui dit-il.

Le regard qu’elle lui renvoya ne contenait aucun reproche, juste de la peur.

Moins d’un calsihon plus tard, Rene mettait au monde le dernier Milesite de l’histoire de la ville.

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