Et Dieu dans tout ça ?... -(3)
Las des dogmes et des poncifs de l’Eglise Catholique, je suis parti du postulat si simple : La foi dans le Christ n'est pas une morale : c'est de l'amour, de la beauté et de la joie. Hildegarde de Bingen nous invitait déjà à cette évidence : « Dieu ne se fait que dans la simplicité des rires et de la joie. Telle est la prière de vivre. Il n’y en a pas d’autre. La vie est l’éros même, qu’aucun ascétisme ne saurait loyalement servir […] Je vous souhaite le désir, celui qui sanctifie toute chose »
Alors, après Saint Jean, je me suis replongé dans les Ecritures.
Quel est le premier de tous les commandements ? Voici le premier : Ecoute, Israël, le Seigneur, notre Dieu, est l'unique Seigneur ; et tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta pensée et de toute ta force (Marc 12, 28/30). Autrement dit, lorsqu’on demande à Jésus qu’elle est sa profession de foi, Jésus ne parle pas de l’amour du prochain, sa profession de foi est la Shéma, l’amour de Dieu et l’affirmation du monothéisme. Voilà son credo principal, le credo d’un juif : Shéma Yisraël, Ecoute, Israël ! L’Eternel, notre Dieu, est le seul Eternel (Deutéronome 6, 4). Mais aussitôt après, Jésus affirme : Voici le deuxième : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Il n'y a pas d'autre commandement plus grand que ceux-là (Marc 12, 31). Jésus introduit alors une innovation théologique. Il établit l’amour du prochain ; c’est cette idée qui fonde le christianisme. Voici quel est mon commandement : aimez-vous les uns les autres comme moi-même je vous ai aimés. Il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis (Jean 15, 12/13). C’est cet enseignement qui distingue le christianisme du judaïsme ! Le Dieu des juifs est possessif et vindicatif, alors que le Dieu de Jésus est dans la compassion. L’Ancien Testament parle de la justice de Dieu, le Nouveau Testament nous apporte l’amour de Dieu ! C’est là la grande révolution de Jésus.
Pourtant, en y regardant de plus près, Dieu dit à Moïse : Tu ne te vengeras point, et tu ne garderas point de rancune contre les enfants de ton peuple. Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Je suis l'Eternel (Lévitique 19, 18). Alors ? L’innovation de Jésus était-ce l’amour, l’amour du prochain ? Mais en réalité le Livre Saint des juifs parle déjà d’amour. Jésus a-t-il innové ou bien s’est-il borné à répéter un commandement de la Loi de Moïse ? Oui, il a affirmé et fait ce que n’importe quel autre juif faisait et fait encore, il reprend à son compte la parole de l’Eternel, il n’a rien inventé. Tout ce qu’il a dit relève du cadre exclusif du judaïsme. Jésus a privilégié l’amour ? À la lumière de ce qui est écrit dans l’Evangile de Marc, le plus ancien des Evangiles, cette affirmation est contestable. Et même si nous l’admettons, il est important de rappeler que d’autres juifs, contemporain voire antérieur à Jésus, ont également privilégié l’amour. Le célèbre rabbin Hillel à résumé les Saintes Ecritures par cette observation : « Ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse ; tout le reste n’est que commentaire, lisez et apprenez ». Jésus était un juif de Palestine qui vivait selon les coutumes judaïques, croyait au Dieu judaïque et enseignait la Loi judaïque. Nous voilà de retour à l’Ancien Testament !
D’accord pour l’enracinement de Jésus dans la religion de l’Ancien Testament mais la tradition évangélique serait inexplicable si Jésus n’avait pas tenu quelques positions originales allant à l’encontre du judaïsme, si ce qu’il prêchait n’était pas en rupture avec celui-ci. Pourtant, à relire les Ecritures, Jésus ne s’est pas détourné du judaïsme ne serait-ce d’un iota : Oui, vraiment, je vous l'assure : tant que le ciel et la terre resteront en place, ni la plus petite lettre de la Loi, ni même un point sur un i n'en sera supprimé jusqu'à ce que tout se réalise (Matthieu 5, 18). Plus loin : Le ciel et la terre disparaîtront plus facilement que ne tombera un seul trait de lettre de la loi (Luc 6, 17). Et encore : Or, on ne saurait discuter le témoignage de l'Ecriture (Jean 10, 35). Et de conclure : Ne croyez pas que je sois venu pour abroger la loi ou les prophètes ; je suis venu non pour abolir, mais pour accomplir (Matthieu 5, 17).
L’étrange vérité est que le christianisme ne repose pas sur la vie de Jésus, ni sur ses enseignements ! Ici, ma foi vacille… le Nouveau Testament, loin de révéler le « vrai Jésus », le dissimule. Il faut retrancher les fraudes, les falsifications et la rhétorique des évangélistes pour comprendre la véritable nature de Jésus : Pour vous, qui suis-je ? (Matthieu 16, 15). Nous ne pouvons qu’imaginer Jésus avec les moyens que fournissent la culture et l’imagination personnelle. Nous ne sommes pas, pour la plupart d’entre nous, des érudits ayant une connaissance approfondie du Moyen-Orient d’il y a deux mille ans. Et même si nous l’étions, nous serions encore limités par notre point de vue personnel et culturel. Une fois que nous nous sommes forgés une image de Jésus, il est tentant de la mettre au service de nos opinions et préjugés. Et du fait de la distance entre le Jésus historique et le Jésus imaginé nous sommes plus soucieux de promouvoir « notre » Jésus, à l’appui de nos opinions morales ou sociales que de découvrir qui il est en réalité. Et le Jésus Christ qui vit dans l’imaginaire de notre époque post-chrétienne et post-moderne est certainement très différent du Juif de Galilée d’humble extraction, contemporain de l’empereur romain Auguste et crucifié sur ordre de Ponce Pilate sur une petite colline proche d’une ancienne carrière à l’extérieur de Jérusalem. Pour qui voit en Jésus le fils de Dieu - littéralement engendré par lui - sa judaïté n’a pas de matérialité ; si le Christ est divin, il est alors au-dessus de toutes lois et coutumes. Mais pour qui recherche le simple paysan et prêcheur charismatique, juif qui vécut en Palestine il y a deux mille ans, rien ne prime sur cette seule et indiscutable vérité : le Dieu que la Bible qualifie de guerrier, le Dieu qui ne cesse d’ordonner le massacre systématique de tous les étrangers, hommes, femmes et enfants, qui occupent le pays des juifs (Exode 23, 31/33), le Dieu taché de sang d’Abraham, de Moïse, de Jacob, de Josué (Isaïe, 63, 3), le Dieu qui abat la tête de ses ennemis, ordonne à ses guerriers de baigner leurs pieds dans leur sang et de laisser leurs cadavres aux chiens (Psaumes 68, 21/24) : ce Dieu est le seul Dieu que Jésus connaisse et le seul qu’il vénère. Donc, si l’on veut mettre à jour ce que croyait vraiment Jésus, il ne faut jamais perdre de vue un fait fondamental : Jésus de Nazareth était avant tout juif. En tant que juif, il s’inquiétait exclusivement du sort des juifs. Il n’avait d’autre souci qu’Israël : Je n'ai été envoyé qu'aux brebis perdues de la maison d'Israël (Matthieu 15, 24), et il enjoignait à ses disciples de réserver aux seuls juifs la Bonne Nouvelle.
Il est alors extrêmement difficile de relier les Evangiles à la conscience que Jésus avait de lui-même. Ne croyez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre ; je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive (Matthieu 10, 34). Comme énoncé plus haut, les Evangiles ne traitent pas d’un homme appelé Jésus de Nazareth mais d’un messie que leurs rédacteurs voyaient comme un être éternel assis à la droite du Père. Pour les juifs du I° siècle qui écrivaient sur Jésus (vingt ans après son crucifiement pour Marc, cinquante ans pour Matthieu et Luc, quatre-vingt-dix ans pour Jean), les choses étaient claires. Ils construisaient une argumentation théologique sur la nature et la fonction de Jésus en tant que Christ, ils ne composaient pas la biographie historique d’un être humain. L’Eglise primitive se heurtait à un problème : Jésus ne s’inscrivait dans aucun des paradigmes messianiques proposés dans la Bible hébraïque. Jésus parlait de la fin des temps, mais elle ne s’est jamais produite. Il promettait que les douze tribus d’Israël seraient reconstituées et la nation restaurée ; au lieu de quoi les Romains s’étaient emparés de la Terre promise, avaient massacré ses habitants, exilé les rescapés et le Temple fut détruit. Le royaume de Dieu prédit par Jésus n’était pas advenu ; le nouvel ordre du monde (les Béatitudes, Matthieu 5, 3/13) n’a jamais pris forme. Au regard des critères du culte juif et des Ecritures hébraïques, Jésus avait rencontré aussi peu de succès à ses aspirations messianiques que les autres prétendus messies.
J’ai donc perdu mes Evangiles ! Où sont passés la compassion et l’amour de Dieu ? Ce christianisme de la première heure n’est-il qu’invention ? Le mot christianisme ne vient-il pas de Christ… de Jésus-Christ ? Ce sont pourtant les paroles et les enseignements du Christ qui fondent cette religion.
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