MYSTERIA (4/5)
— Eh ben, ça fait un bien fou ! lança-t-elle en s'étirant, le regard tourné vers la pendule. Quinze heures ! Déjà ! Je vais peut-être manger un petit truc. J'ai faim.
Émilia se sentait revivre. Elle fouina dans le réfrigérateur pour au final se rabattre sur une conserve de saucisses-lentilles, déversée dans une assiette, elle-même engloutie par le micro-ondes.
Sans se presser, elle savoura son repas, guettant la cabane depuis sa chaise.
— Qu'est-ce que tu peux bien être en train de lui faire ? Faut que je sache.
Dévorée par la curiosité, elle laissa tout en plan une fois son repas terminé. Direction la scène de crime. Sur place, la porte résistait, retenue de l'intérieur, lorsqu'elle céda enfin.
— Oh la vache ! s'époumona Émilia, ahurie. Comment…
La plante rasait désormais le toit ainsi que les côtés de son abri. Du corps de Richard ne restait qu'un amas de chair blafard, cachectique et déformé par les énormes racines qui sinuaient dans son tronc. Certaines en ressortaient depuis les espaces intercostaux, d'autres, par les flancs. Une odeur évoquant un mélange d’œuf pourri et de vinaigre planait, une exhalaison si puissante que même en rabattant son col sur son nez, Émilia peina à réprimer ses haut-le-cœur.
Une racine enserra sa gorge par surprise, la décolla du plancher.
— Arr…ête… ! bafouilla-t-elle, les traits empourprés.
Mysteria n'avait que faire des complaintes de sa nouvelle proie, laquelle manquait d'air malgré ses vaines tentatives de dégagement. Les doigts d'Émilia se relâchèrent. Ses bras tombèrent le long de son corps. Alors l'intruse venue d'ailleurs balaya tout ce qui se trouvait sur le plan de travail. Place nette, elle y déposa brutalement la quadragénaire. Un tentacule se distinguait : glabre, d'une couleur rosâtre et dépourvu d'écorce, lequel glissa sur son ventre puis s'infiltra dans sa culotte.
* * * * *
Émilia s'éveilla au crépuscule, allongée devant la porte de la cabane. Son cou, boursouflé et couvert d'une plaque rougeâtre, la démangeait. Sans miroir, elle ne pouvait détailler l'ecchymose en collier sous sa mâchoire.
Lorsqu'elle se redressa, elle crut uriner accidentellement, comme incontinente. Puis, se relevant et faisant marche vers le pavillon de plain-pied, elle réalisa que cela provenait, non pas de son urètre, mais de son vagin.
Une fois dans la salle de bain, salissant au passage le carrelage, elle se dévêtit puis examina son sexe. Elle saignait un peu. Toutefois, cela ne ressemblait pas vraiment à des règles, d'autant plus que ses dernières ne remontaient qu'à deux semaines.
— Mais qu'est-ce qu'elle m'a fait ? Faut peut-être que j'appelle…
Émilia se ravisa. Après tout, ce n'était qu'un saignement bien moins conséquent que des menstruations. En outre, celui-ci s'était arrêté. En dépit de son détachement manifeste, l'inquiétude commençait à poindre en elle, conséquence du comportement antagoniste de Mysteria. Elle qui s'était montrée si douce, si aimante…
— J’appellerais bien Jacob mais… Non, il va me prendre pour une barjot. Faut pas qu'il trouve Richard, sinon il appellera les flics… Oh et puis merde !
Elle changea de culotte, y plaça une serviette hygiénique par précaution avant de se rendre dans le salon en vue de passer son coup de fil. Jacob était un ami féru de botanique, aux connaissances de loin supérieures aux siennes.
— Allô Jacob ? Je te dérange pas ?
— Salut Émilia, comment ça va ?
— Moyen. J'ai un gros problème et… Aaaaah !
— Allô ? Émilia ? Que se passe-t-il ?
Elle lâcha le téléphone, s'enfuit dans la salle de bain. La porte d'entrée venait de s'ouvrir, révélant l'incroyable stature de l'envahisseur végétal. Une masse informe et rugueuse, aux couleurs rehaussées par la pluie, progressait dans le vestibule. Le cadavre de Richard avait été disloqué. Ses restes gisaient çà et là, accroché aux multiples racines qui permettaient à Mysteria de se mouvoir, en plus de celles – supérieures – agrippant tout et n'importe quoi dans le but de se tracter. Les cadres se décrochaient et répandaient leurs éclats de verre ; apparaissaient sur les murs des traces boueuses de reptation ; les vases et les statuettes blanches explosaient en heurtant le sol. La maison se transformait en champ de bataille.
Émilia verrouilla la porte à double tour. Au même instant, elle ressentit une douleur subite et constante au niveau de son bas-ventre. L'écoulement intime reprit, plus intense encore. Lorsqu'elle ouvrit la fenêtre donnant sur l'extérieur, elle sentit un vertige monter. Ses forces se tarirent en quelques battements de paupières, au point qu'elle ne parvint pas à quitter la salle de bain.
La porte, comme subitement constituée de polystyrène, craqua sous la pression du corps de la plante hostile et céda. Au bord de l'évanouissement, Émilia pouvait néanmoins sentir quelque chose bouger dans son bas-ventre. Son seuil de tolérance fut atteint. Les gémissements devinrent des hurlements. Incapable de résister plus longtemps, elle se pâma dans l'ombre de son assaillante, qui lui caressait l'abdomen. Affectueusement.
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