CONSCIENCE (3/3)
Le soignant se réveilla en compagnie d'une affreuse migraine, plongé dans un noir absolu. Un goût de terre persistait dans sa bouche. Allongé, son front frappa une paroi dès qu'il tenta de s'asseoir. Il était enfermé dans ce qu'il imaginait être un cercueil plat.
— Au secours ! Aaah ! hurla Fabrice en boxant le bois, incapable de comprendre la situation.
— Allons, allons ! Calmez-vous, ce n'est rien. Juste une erreur, badina l'épouse du patient à travers les planches cloutées.
— Sortez-moi de là ! Pourquoi vous me faites ça ? Vous voulez me faire payer, c'est ça ?
— Michel était un passionné d'Histoire. Et ce depuis sa plus tendre enfance. D'ailleurs, il l'a enseignée pendant plus de vingt ans. Il a toujours dit que vous étiez un cancre. Pourtant, il vous aimait quand même bien. Il savait que ce n'était pas vraiment votre faute. Il les avait bien vus tous ces bleus sur vos bras et sur votre cou… Dire que c'est grâce à lui que votre idiot de père a fini en prison... Et c'est comme ça que vous l'avez remercié ? Tellement navrant.
— Je… Libérez-moi ! J'étouffe là-dedans !
— Comme le monde est petit, n'est-ce pas ?
— Qu'est-ce que vous voulez ? Dites-moi ! paniqua le captif.
— Moi ? Rien. Lui non plus d'ailleurs. Ah ! Le revoilà… Michel, mon chéri ! Il est là ! À tout à l'heure, mon garçon.
Un silence s'ensuivit. Puis quelqu'un approcha, racla la terre sur le couvercle à l'aide d'une pelle et grasseya :
— Confortable ?
— Monsieur Darenne, je suis désolé, sanglota Fabrice. Vraiment désolé. Est-ce que je suis… mort ?
— Ça, c'est à toi de voir, mon gars… Bon, attention ! Ça va commencer !
— Quoi ? De quoi vous parler ?
Un grand fracas fit bondir Fabrice. Les pointes du fléau venaient de traverser le bois. Le cercueil se mit à trembler. Les poignets de l'infirmier, à devenir douloureux, comme si une entité invisible le piquait. Il ressentit la même chose dans les plis de ses coudes. Réaction reptilienne, Fabrice se contorsionna avec vigueur, espérant échapper à ces nouvelles perforations. Bien qu'il gisait seul au fond d'un caveau, il avait l'impression qu'on lui écrasait le thorax par à-coups.
Contre toute attente, quelqu'un arracha le couvercle et libéra Fabrice de sa prison de bois. Ébloui, ce dernier plaça la main devant son visage et distingua une forme massive, cagoulée, laquelle l'extirpa du trou de sa poigne de fer.
Le mastodonte humain, au torse dénudé, le chargea sur son épaule comme un sac de sable et l'emmena, acclamé au milieu d'un couloir formé par deux rangées de paysans dont le visage se résumait à une bouche édentée. Ni yeux, ni nez, ni même oreilles.
— Mais qu'est-ce qui se passe ? angoissa Fabrice, ballotté au rythme des pas du bourreau.
— Ferme-la ! ordonna ce dernier, en lui écrasant davantage les jambes. De toute façon, t'auras plus rien à dire quand ta tête sera dans le seau.
— Quoi ? Non ! Non ! Pitié !
Le tintamarre ambiant étouffait des lamentations que nul ne souhaitait écouter :
— À mort !
— Tuez-le !
— Crève, vermine !
Chacun dardait à l'envi insultes et regards haineux tandis que le bourreau franchissait les escaliers menant à la guillotine, sur laquelle il installa Fabrice, en larmes, geignant comme un enfant impuissant. La gorge de ce dernier épousait à présent l'arrondie de la lunette encore couverte de sang frais. Lorsqu'il tenta de s'en dégager, la poigne du molosse musculeux lui plaqua violemment le larynx sur le bois.
— Bouge pas ou je te tranche d'abord les extrémités ! éructa celui-ci, luisant sous le soleil de midi. Bien ! Si tu veux soulager ta conscience, c'est maintenant. Et peut-être seras-tu épargné. Sache toutefois que le cachot n'est pas toujours préférable à la guillotine ! Alors ? Que décides-tu ?
Fabrice remarqua les Darenne au premier rang, les prunelles rivées sur lui.
— Oui, tout est de ma faute ! J'ai tué monsieur Darenne ! J'ai doublé la dose de médicaments ! Je suis tellement désolé ! C'était un accident !
Sur ces aveux, le bourreau déclencha le mécanisme. La tête de Fabrice chuta au fond d'un seau immonde et pestilentiel, sous les applaudissements de la plèbe. Les Darenne sourirent avant de s'embrasser avec tendresse.
* * * * *
— C'est bon, son cœur repart, annonça le médecin du SAMU. Allez, on l'emmène à l'hôpital !
— C'était vraiment étrange. J'ai jamais vu ça, s'exclama l'un des pompiers présents sur les lieux de l'accident.
— Oui, moi non plus, reprit son interlocuteur. Il était là sans y être. Vous avez vu le vide dans son regard ? Comme s'il était ailleurs. Et d'un seul coup, phase délirante.
— Dommages cérébraux peut-être ? suggéra le pompier en présentant les médicaments retrouvés dans le véhicule. Ce qui est sûr, c'est qu'il devait avoir quelques problèmes, le gars. Ça sent le syndrome dépressif sévère. Crises d'angoisse et compagnie.
— Mouais… Je sais pas. Et cette histoire d'homicide involontaire m'interpelle… On aurait dit qu'il rêvait. Après, je sais qu'avec certains traitements, et selon les dosages, on peut développer toute sorte de troubles comme des variations d'humeurs, des hallucinations, entre autres. Bref, dans tous les cas, ça figurera dans mon rapport. Les autorités se chargeront du reste, ce n'est plus de mon ressort.
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