L'OMBRE DU PANDA (3/7)

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À sa grande surprise, le reste de la journée se déroula normalement. Récréation devant la porte du prochain cours. Bourrage de crâne. Une poignée de murmures suspects. La dernière sonnerie signa la fin des sciences naturelles ainsi que le retour à la maison, éternelle délivrance.

Lucas franchit le portail, gardé par un « pion » dont il ignorait le nom, puis s'engagea dans l'allée bordée de saules longeant la rivière. D'ordinaire, ce chemin lui permettait de couper à travers le parc, soit dix minutes de gagnées sur l'autre itinéraire. En théorie.

— Eh, le panda rieur ! cracha une voix, hélas, trop familière.

Lucas se retourna. Steven et Déniss galopèrent à sa hauteur.

— Ouais, tu t'es bien marré tout à l'heure, continua le plus gras des deux cancres, au front une casquette noire, rayée de rouge. Alors pourquoi on rirait pas un peu ensemble, hein ? Et puis, ça va peut-être laver ta sale tronche, va savoir.

Lucas dégaina son poing droit, manquant de peu Déniss, qui le saisit d'un côté, aidé de son sbire ventripotent. Unis dans la malfaisance, ils poussèrent le rebelle dans l'eau. Heureusement, le courant et la profondeur étaient moindres. Dans sa chute, l'adolescent, au visage désormais couvert de résidus de végétaux, s'écorcha les mains.

— Une tache sur une tache… Original, asséna Déniss, penché sur la berge.

— Y en a une des deux qui prend pas l'eau, surenchérit Steven. Bon allez, on se tire. À demain, mon petit panda.

C'est donc trempé que Lucas escalada la berge. La rage le consumait de l'intérieur. Il fallait que cette bête explose, rugisse, d'une façon ou d'une autre. En l'occurrence, sur la rugosité de l'écorce blanche à sa droite, progressivement ponctuée de rouge.

— Je vais leur casser les dents, à ces deux saloperies, fulmina Lucas, envisageant de leur casser bien plus encore.

Au beau milieu du parc, il n'avait de cesse de confronter sa soif de vengeance aux suppliques de sa mère. Dans les deux cas, un sacrifice s'imposait. Se soumettre aux volontés de ses parents, il en avait plus qu'assez. Au final, le choix s'avérait d'une simplicité déconcertante dans son esprit : terroriser ou être terrorisé.

D'un pas déterminé, il arpenta l'allée principale du parc, au sortir duquel il recroisa les prunelles malicieuses de l'adipeux Steven, comme s'il l'avait attendu pour la seconde manche, adossé contre un mur. Seul. L'adolescent trempé n'était pas en état de réfléchir davantage. Il axa son corps en direction de l'ennemi, prêt à lui faire manger de la semelle, sauce macadam.

— Tu vas voir, le panda, ce qu'il va te mettre, écuma Lucas.

Alors qu'il s'apprêtait à traverser la route en vue d'ouvrir les hostilités, ses oreilles captèrent le chevrotement poussif d'une vieille dame :

— Attention ! Elle va tomber !

Un doigt, déformé par l'arthrose, désignait une longue échelle dressée à plusieurs mètres de la position du cador. Comme si un pied en avait été scié, l'échelle glissa le long de la gouttière, prenant de la vitesse sous l'effet de son propre poids, avant d'atterrir sur un Steven, trop obnubilé par la charge résolue de son souffre-douleur. Une kyrielle de hurlements accompagna l'arrêt brutal d'un véhicule à proximité, dont le chauffeur descendit à la hâte, imité par d'autres. Les piétons appelèrent aussitôt les secours.

Incapable de résister à pareil spectacle, Lucas fit marche vers le corps inerte qui baignait dans une flaque de sang grandissante, nuancée d'un rouge plus clair, résultat d'un crâne fracassé. Cette première rencontre avec la mort lui laisserait un souvenir impérissable. Délicieusement impérissable.

La rue braillait, s'affolait, comme une fourmilière perturbée dans son train-train quotidien. Seul Lucas contemplait la grimace singulière de son bourreau, tiraillé entre écœurement et pleine satisfaction. Au loin, les sirènes signalaient leur imminente arrivée. Commissures aux oreilles, il fila.

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