L'OMBRE DU PANDA (5/7)
La sonnerie retentit avant le retour de l'absent. Le professeur chargea, contre son gré, l'un des élèves au premier rang de rassembler les affaires de Déniss et de les déposer dans la prochaine salle. Au beau milieu des escaliers menant au deuxième, le porteur se vit intercepté. Déniss avait manifestement décidé de sécher le reste des cours, pour le plus grand plaisir de la classe, enseignants inclus. Dès lors, aucun heurt ne survint jusqu'à l'heure de la récréation, à l'exception de quelques rappels à l'ordre pour bavardage intempestif.
Comme pour fêter ce retour au calme, Lucas se trouva un coin tranquille, mais à l'extérieur. Assis en tailleur dans l'herbe, au pied du bâtiment des sciences, il balayait la cours du regard, épiait les conversations alentours, s'abandonnant à quelque œillade inhabituelle. Effet des joies d'une – tardive à son goût – justice divine.
Puis la curiosité l'assujettit de nouveau, le poussant à extraire la calculette des entrailles de son sac. Il l'observa. Pria pour assister à de nouvelles pressions autonomes. La peur s'était dissolue. Réflexe idiot, il rapprocha la machine de sa bouche afin de poursuivre, en murmures, son questionnaire :
— Toujours en oui-non, Simon, si tu es là… Est-ce que tu étais élève ici ?
Pas de réponse.
Si Lucas attirait déjà l'attention avec sa tache de vin faciale prononcée, il l'attira davantage par cette pratique décalée.
— Eh, regardez, s'exclama une miss monde en devenir, entourée de son banc de greluches à chewing-gum. V'là qu'il se met à parler aux calculettes !
Premiers assauts de rires sardoniques. Lucas saisit son sac et prit aussitôt la poudre d'escampette, mais trop tard. Un trio de grands dadais, lycéens dans un an, lui barrèrent la route, l'enserrèrent jusqu'à le faire reculer contre le mur du bâtiment scientifique. Lucas ne les connaissait que de visage.
— Bah alors, on est tellement seul qu'on se met à parler aux calculettes ? Et elle te répond quoi ?
— Ça doit être pratique pendant les interros ! rajouta l'un deux.
— Elle répond rien. Je réfléchissais à haute voix, bande d'abrutis ! rétorqua la jeune tête brûlée.
— Oh ! Gueule d'aubergine veut faire le malin ! souligna le brun trapu devant lui en attrapant son interlocuteur par le col.
— Trois contre un ? Vous êtes trop balèzes. Si t'as des couilles, je te prends tout seul.
Son col se resserra davantage, à tel point que sa tête commençait à congestionner. Les traits haineux du troisième se teintèrent soudain d'incompréhension, puis en un rictus de douleur. Ses phalanges lâchèrent Lucas, confus.
— Quoi ? Tu te dégonfles ? osa ce dernier, oubliant l'échange avec sa mère.
Pas de réponse. Les deux autres nervis de pacotille, l'air stupéfait, regardaient leur chef s'attraper le poignet.
— Putain de merde, c'est quoi ce délire ? beugla celui-ci d'une voix terrifiée.
Son poing demeurait clos. Blanchi par endroits, comme si une pression s'exerçait sur sa peau. Comme si des doigts la lui écrasaient. La force était telle qu'une série de craquements, par intermittence, se fit entendre. Les hurlements du caïd attirèrent autant les yeux que les téléphones. De sa main, il ne restait déjà plus qu'un amoncellement déformé, disloqué, de chair et d'os. Les surveillants braillaient tout en écartant la foule d'élèves. L'un d'entre eux, devant pareil dégât corporel, appela aussitôt le SAMU tandis qu'une fille s'évanouissait sous son nez.
Puis, un à un, les portables en train de capturer l'événement se virent propulsés à une vitesse ahurissante contre le sol goudronné. Tous pulvérisés. Ce qui engendra un tsunami humain orienté vers la sortie. Les tympans vibraient à présent au son d'une détresse stridente. Si Lucas avait fait preuve de bêtise en s'adressant à sa calculatrice devant les autres élèves, il fit au moins preuve d'un peu plus d'intelligence en se mêlant à la masse, déferlant dans la rue. La journée de cours se terminait plus tôt que prévu.
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