ROGER (1/1)

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Texte écrit pour un concours interne avec pour thème "Masque(s)" (SFFF)

— Eh ! Bonjour, Alphonse ! criai-je depuis l'autre côté de la haie de cyprès, main levée. Comment ça va aujourd'hui ? Et votre femme, elle en est où ?

— Bonjour, Roger. Bah, c'est stable dans la merde, on va dire. D'après les médecins, elle est en rémission, mais bon… C'est ce qu'ils avaient déjà dit avant que cette saloperie ne recommence à la bouffer de l'intérieur.

— Faut y croire, c'est important. Partir vaincu, y a rien de pire.

— Ouais, je sais... Heureusement que vous êtes là pour me remonter le moral.

— Bon, je dois vous laisser. J'ai des casseroles sur le feu. Bon courage à vous deux. Embrassez madame de ma part.

— Je n'y manquerai pas. Bonne journée.

Après avoir récupéré le courrier dans la boîte aux lettres, je regagnai la cuisine. Coup de téléphone surprise.

— Allô ?

— Oui, bonjour monsieur Lamarrat. C'est madame Humbert.

— Ah, je me souviens. Vous êtes cette demoiselle en détresse que j'ai déposée aux urgences après un malaise sur le trottoir, c'est ça ? C'était quand ? Y a une semaine ?

— Oui. Je tenais justement à vous remercier pour ce que vous avez fait. De nos jours, certains se seraient peut-être contentés de filmer ou de me piquer mon portefeuille, allez savoir. Enfin, voilà, je ne vais pas vous embêter plus longtemps. Juste merci.

— Alors merci de me remercier. J'ose espérer que la majorité aurait fait ce que j'ai fait, tout de même. Je dois vous laisser également, j'ai des casseroles sur le feu et je crois que ça déborde.

— Pas de souci, au revoir monsieur Lamarrat.

— Oui, au revoir. Bon rétablissement, souhaitai-je avant de raccrocher rapidement. Qu'est-ce qu'il faut pas faire !

Retour dans la cuisine afin de vérifier la cuisson de la viande dans le four.

— Bordel de Dieu, que ça sent bon ! Je vais me régaler.

À peine eus-je le temps de me redresser que quelqu'un frappa à la porte d'entrée, m'arrachant un rictus d'agacement. Je reconnus l'ombre voûtée derrière la vitre opaque. Celle du voisin colle-au-cul.

— Qu'est-ce qu'il me veut celui-là ? pensai-je en ouvrant la porte, tout sourire. Alphonse ?

— Excusez-moi de vous déranger, je voulais juste vous rendre votre perceuse, tant que j'y pense. C'était bien aimable à vous de me la prêter. Sur ce, la bonne journée !

— Pas de souci. Elle n'était pas perdu. Bonne journée.

Le vioc lâcha un signe de la tête, quelque peu gêné, puis retraversa l'allée. De mon côté, je refermai la porte, la verrouillai à double tour.

— Eh Seigneur, tu peux pas faire en sorte qu'il me foutent la paix ? Y a encore de la place chez toi, non ?

Un bip retentit. Juste un texto : « Je savais pas que ta camionnette était bleue ».

Une blague de Yann, un collègue qui passait dans ma rue du moment pour se rendre au boulot. Il m'appréciait beaucoup. Et lui pensait que je l'appréciais tout autant. Il avait dû remarquer que j'avais passé le Vito au karsher. Je devais bien avouer qu'il était vraiment dégueulasse. Les joies des routes de campagne par temps de pluie. Mais tel avait été le prix à payer pour ramener de la bonne viande, à déguster en solitaire. Mon père actuel était chasseur. Mon défunt grand-père aussi. Rien à voir avec les précédents plutôt penchés sur la botanique et la décoration d'extérieur.

En attendant la fin de cuisson, je décidai de prendre un énième café avant de descendre à la cave me chercher une bonne bouteille de vin rouge pour accompagner mon repas, terminé par un solférino offert par la boulangère. Sûrement le résultat d'un sourire ravageur qui lui laissait croire que l'attirance était réciproque. Pauvre conne. Qui aurait envie d'une vache à bouclettes, sérieusement ? À part un bœuf ? Etais-je un bœuf ? Clairement pas. Plutôt un étalon. Du moins, cette fois. Et je devais bien en profiter pour me farcir un max de gonzesses. D'autant plus que, la dernière fois, c'était plutôt à un porc que je ressemblais. Même moi, j'avais des contraintes. Évidemment, je ne m'attardais pas dans ce genre de barbaque répugnante. Je me souvenais encore de la pendaison avec précipitation que je m'étais infligé pour me délivrer de ce tas de graisse. Si lourd que sa tête avait sauté comme un bouchon de champagne, coupée net par la corde. Jusqu'à ce Roger se pointe, fusil cassé, découvre le cadavre et le tripote. C'était soit lui, soit son congénère. Un autre gros tas. Non merci ! Roger m'avait convenu. Un célibataire ! J'adorais les célibataires. Beaucoup de liberté à la clé. Par contre, « Roger », pas terrible comme prénom pour le sex-appeal. Avec l'accent américain, ça passait mieux. Parfois, j'en utilisai tout simplement un autre. Pseudo jetable.

Coup d’œil sur le minuteur du four. Plus que quinze minutes. Parfait timing avec la cuisson-vapeur des légumes. Depuis le temps, j'étais devenu un vrai cordon bleu. C'était pourtant la toute première fois que j'essayais de cuisiner cette viande-là. Heureusement qu'il y en avait encore, des premières fois. À mon âge, il fallait redoubler d'imagination pour innover.

— Alors, voyons ces bouteilles. Oh ! Pas mal, dis donc. Tu as bon goût, mon cher Roger. Un grand cru.

Mon choix fait, je fis silence, tendis l'oreille. Peut-être était-il temps de faire un petit coucou au gibier que j'avais ramené cette nuit. Il m'en avait fallu du temps pour aménager ce garde-manger. Un vrai calvaire. Du fait-maison, mais le résultat était au rendez-vous. Les anges auraient pu y jouer de la trompette, personne n'aurait entendu quoi que ce soit au rez-de-chaussée. En l'occurrence, ce n'était pas le calme ambiant qui témoignait de mon travail de pro. Il s'agissait plutôt des conséquences d'une cuisse en moins, actuellement dorée au four. Honte à moi, je ne me souvenais même plus de son prénom.

— Carla ? Non… Ah oui ! Clara. Tu t'es débattue comme un beau diable, Clara.

Je ne pouvais m'empêcher de sourire chaque fois que j'employais cette expression.

Ding-dong.

Qui vient encore me faire chier ? Le vieux débris, à tous les coups.

Je remontai, ouvrai la porte.

— Oui ? lâchai-je, le regard pétillant de sympathie devant le parasite d'à-côté.

— Désolé, j'ai oublié de vous rendre la deuxième batterie. Eh bien, ça sent drôlement bon chez vous ? De la dinde ?

— Bien vu, l'ami ! De la bonne dinde campagnarde. Clara, son prénom. Ah ! Voilà la cavalerie !

Les sirènes retentissaient, approchaient à vitesse grand V.

— Comment ça, Clara ?

— Vous ne regardez pas les infos ?

Il réfléchit puis éclata de rire.

— Humour très noir. Mais humour quand même.

— Bon, monsieur Colle-aux-basques ! Est-ce que vous pourriez vous éloigner maintenant ? Vous risquez de prendre une balle. Et ça ne m'arrange pas.

Son visage changea. Moitié confus, moitié apeuré.

Les flics s'arrêtèrent devant chez moi. Le vieux comprit enfin que ce n'était pas de l'humour. Je saisis mon fusil accroché non loin de l'entrée et commençai à tirer dans le tas. Plusieurs balles traversèrent mon corps, dont une en pleine tête.

Colle-aux-basques s'arrêta pour se retourner et observer la scène avec un petit sourire... diabolique.

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