LA REINE DU BAL (2/5)
— Oui, je comprends ta réaction, Nora. Mais tu vas voir, Sylvie sera aussi belle que toi pour le bal. Tout le monde n'a pas la chance d'avoir ton visage. Et cette peau... Éblouissante, vraiment. Pas de cicatrices, pas de grains de beauté disgracieux, rien. D'ailleurs, je veux que tu voies Sylvie comme elle sera pour le bal. Je reviens.
La reine s'éclipsa. Verrouilla derrière elle.
Devant moi, la pauvre Sylvie, du moins ce qu'il en restait. De sa tête, ne demeuraient que les muscles, les os, les lèvres, les oreilles et les paupières. Bien qu'horrifiée, je notai la méticulosité du dépeçage dont avait fait preuve notre bourreau. En outre, elle avait cautérisé l'ensemble des tissus encore en place pour stopper les saignements. Mais la victime avait-elle survécu à ce supplice ?
— Eh ! Sylvie ! fis-je, sans trop hausser la voix.
Aucune réponse. Je guettai un pouls au niveau du cou ou des artères apparentes, à défaut un mouvement respiratoire. Hélas, ma légère myopie me privait de ce genre de détails subtils. Reine réapparut avec quelque chose de flasque à la main.
— Voilà la Sylvie du bal ! chanta-t-elle, une once de fierté dans la gorge.
Elle positionna sur la décharnée une espèce de masque de femme et l'attacha au niveau de l'occiput par un moyen impossible à discerner depuis ma position. Ensuite, elle plaça une longue chevelure brune, similaire à la mienne, sur sa poupée humaine, puis dégaina un flacon de parfum au verre rose. Une puissante odeur de framboise embauma aussitôt la pièce. Mon corps tremblait. Ainsi donc j'avais échappé à ça ?
— Alors, tu la trouves comment ? me consulta la reine.
Je devais réfléchir et vite. L'option du pieux mensonge serait-elle la meilleure ? Quelle réaction aurait-elle en flairant la ruse et la fausseté de ma réponse ? Ne rien exprimer la vexerait sûrement.
— Ah, mais suis-je bête, tu ne l'as pas vue avant, c'est vrai ! poursuivit-elle. Je l'ai prise en photo avec mon Polaroïd avant l'Embellie. Tiens, regarde.
— Oui, elle est mieux maintenant.
Bonne réponse. Reine m'enlaça.
— Tu n'imagines pas à quel point ça me fait plaisir, ma petite Nora.
Flatterie et compliments, mes nouvelles armes de survie.
— Et le bal, c'est pour quand ? me renseignis-je, incarnant mon nouveau rôle de bon chien-chien docile et amical.
— Eh bien, Vivie n'a pas l'air très en forme aujourd'hui. C'était ma cavalière du jour, mais je crois que ça sera toi finalement.
Je ravalai salive et venin, jurant contre un Dieu auquel je n'avais jamais cru.
— Et après le bal, que se passe-t-il ? repris-je, incapable de contrôler le déferlement d'angoisse dans mes mots, malaise ignoré… non… pire encore... inexistant dans les oreilles de la reine.
— C'est la surprise ! sautilla-t-elle en applaudissant à la vitesse de l'éclair devant son menton. D'ailleurs, ça va être l'heure. Est-ce que tu as soif ? Envie de pipi ou autre ?
— Soif et pipi, oui.
Pipi, peut-être l'occasion d'être enfin détachée et de passer à l'action. Seul problème, rien à l'horizon pour me défendre et physiquement, je ne ferais pas le poids. Une allumette face à une enclume. Aucune chance. Je réalisai alors que mes ongles étaient coupés ras et vernis.
Reine attrapa le verre dans l'étagère, le remplit d'eau du robinet et me désaltéra.
— Bois proprement, si tu mouilles ta robe, je devrai la changer, m'informa Reine. Voilà, c'est bien. Bon, pipi maintenant.
De là où j'étais, je n'avais pas pu inspecter le fond du seau. Elle en extirpa une couche et mon dilemme : pisser dedans ou me retenir, au risque de finir par me pisser dessus, souiller ma robe et me mettre davantage dans le pétrin… Pas le choix. Avant de se rapprocher de moi, elle enfonça la bonde puis fit couler de l'eau chaude dans l'évier. Mauvais présage.
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