LA REINE DU BAL (4/5)
Je gigotais sur mon fauteuil. Désespérée. Seule. Reine avait mis les freins. Rien à faire à part attendre et me laisser submerger par mille questions.
Pourquoi moi ? Pourquoi aujourd'hui ? Pourquoi ci ? Pourquoi ça ? La vie est une vraie tartine de merde ! Et mes enfants, ont-ils prévenu la police ? Est-ce qu'au moins, on me cherche ?
Le bruit du verrou annonça le retour de l'azimutée.
— Ta da ! Tu me trouves comment ?
Comme un camion propre et customisé pour l'occasion, mais comme un camion quand même, connasse.
— Pas mal.
— Je savais que cette robe te plairait. C'est ma préférée.
Une robe multicolore, très florale, décolletée jusqu'au dessus du nombril. Entre ses deux seins généreux, une ancienne cicatrice, verticale.
— Malformation cardiaque, lâcha Reine. Du passé. Je vais bien maintenant. Allez, c'est parti !
L'armoire à glace retira les freins et me déplaça comme une marchandise dans un caddie au beau milieu d'un couloir en T. Au bout de l'axe central se dressait une autre porte métallique, assez épaisse pour étouffer la valse jouée derrière. Le sol du couloir brillait. En émanait un parfum de jasmin. Reine repassa devant, ouvrit et révéla la fameuse salle de bal. Vaste, incroyablement décorée du sol au plafond et surtout occupée par plus d'une trentaine de corps assis autour de tables rondes séparées, disposées autour de la piste de danse carrée. Je reconnus Sylvie, en compagnie de celles qui devaient être Judith et Barbara, avec ce même faciès atroce, aspect masque, qui les défigurait, à l'instar de toutes les autres. Si la plupart se tenaient immobiles, certaines bougeaient encore, silencieuses. Résignées peut-être. Ou mourantes ? Etais-je donc la seule à avoir conservé mon visage ?
Reine avait insisté sur le fait que ma robe ne devait même pas recevoir une goutte d'eau, mais la peur commençait à suinter par mes pores. Je tremblais de plus belle.
— Tu as froid, Nora ? Tu veux un gilet ? proposa Reine, tandis qu'elle s'arrêtait au centre de la piste au carrelage imitation marbre blanc veiné de noir. Ne t'inquiète pas, les bougies vont te réchauffer. Et on va danser.
Haut situé, pile au-dessus de ma tête, un lustre en cristal grandeur nature, digne d'une salle de palais, menaçait de nous aplatir. Des statues, des colonnes et autres symboles d'une époque ancienne, ornaient ce lieu majestueux et glauque à la fois. Mon regard s'attardait sur les écorchées à robes, vissées dans leur fauteuil. Pas une goutte de sang n'en tachait le tissu.
— Tu vois, Nora, toi, tu es spéciale. Tu n'as pas eu besoin de l'embellie car tu es tout simplement parfaite. Je t'ai enfin trouvée. Dansons et fêtons l'événement !
Reine détacha mes liens au niveau des poignets et plaqua son corps contre le mien de façon à pouvoir me mettre debout. Une force de titan. Elle pourrait m'écraser contre elle, m'asphyxier si elle le souhaitait. Plus petite, bien qu'encore en appui sur les cale-pieds du fauteuil, mon front lui arrivait au niveau du nez. Difficile de danser la valse avec un poids aux chevilles, mais Reine s'en moquait. Nous faisions du sur-place, sa poitrine contre moi, sa joue contre mes cheveux.
— Je t'aime, Nora. Je t'aime tellement. C'est toi, la plus belle. Toutes les autres sont belles aussi, évidemment, mais toi, tu es ce dont j'ai toujours rêvé. Toi, tu ne me rejetteras pas.
Reine me reposa dans le fauteuil, me saisit le visage avant de m'embrasser, langue sortie, laissant une main s'inviter sournoisement sur mon sexe. Je ne pus refréner un réflexe de recul brutal, combinée à un mouvement de rejet. Ni une, ni deux, Reine me rattacha les poignets, redoublant de fermeté.
— Je sais, Nora. Mais toi aussi, tu vas m'aimer, affirma-t-elle en essayant derechef d'apposer ses lèvres sur les miennes.
— Plutôt crever, saloperie de timbrée ! assénai-je, incapable de maîtriser plus longtemps le fauve en moi.
En un éclair, mon front heurta violemment sa pommette. Le visage de Reine se figea dans un rictus de profonde tristesse.
— Non ! Noooon ! Tu l'as abîmé ! Fais-moi voir ! gémit-elle, comme si une catastrophe venait de se produire. Vite ! Il faut le sauver !
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